Comme la majorité des pays africains, le Sénégal est touché de plein fouet par le nouveau coronavirus. La maladie est arrivée dans notre pays le 02 mars 2020. À ce jour, 1709 personnes ont été diagnostiquées positives, avec un taux de létalité de 1%. Dix-huit (18) morts sont déplorés. Dans le même temps, le dernier point de la situation présenté par les services du ministère de la Santé fait état de 1.040 malades encore sous traitement alors que les cas déclarés guéris ont grimpé à 650.
Face à cette situation du reste préoccupante, les équipes médicales sont à pied d’œuvre, non seulement pour gagner la bataille de la prévention mais aussi pour trouver le meilleur remède aux fins de guérir les patients qui peuplent les 09 sites de traitement.
Il faut dire que la prise en charge des malades s’est avérée un vrai casse-tête dès le début du fait de l’absence d’un protocole de traitement unanime. Ce, jusqu’à ce que la lumière de Marseille s’alluma sur le monde.
L’infectiologue marseillais, le Pr Didier Raoult a préconisé l’utilisation de la chloroquine contre le Covid-19. Une aubaine pour son homologue sénégalais.
Dans un premier temps, le chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Fann préfère y aller avec toutes les précautions d’usage.
L’hydroxychloroquine est administrée aux patients. Les résultats ne vont pas tarder à se faire jour. Au fur et à mesure que le Sénégal enregistrait de nouveaux cas, l’azithromycine, un antibiotique est associé à l’hydroxychloroquine pour une meilleure efficacité.
Et selon une étude préliminaire rendue publique par le Pr Seydi lors du bilan des deux mois de lutte contre le Coronavirus, ce protocole est encourageant. « Nous avons constaté que la durée médiane d’hospitalisation des patients qui n’avaient pas pris de médicaments était de 13 jours. Cette durée médiane était de 11 jours quand les patients avaient pris de l’hydroxychloroquine. La durée médiane était de 09 jours quand les patients avaient pris l’association hydroxychloroquine+azithromycine. Nous avons noté d’autres résultats intéressants. La précocité du traitement permettait d’avoir une durée médiane d’hospitalisation juste de 08 jours. C’est pour dire que les résultats que nous avons sont encourageants sur le plan efficacité mais mieux encore. La priorité étant de ne pas nuire ; sur une analyse qui a concerné 362 patients il n’y avait que 12 qui avaient des effets secondaires. Parmi ces 12, 04 ont pu continuer le traitement tandis que les autres ont arrêté. Et à l’arrêt du traitement, les signes ont disparu, on n’a pas eu besoin de donner un autre traitement. Il y a quelques patients qui n’étaient pas liés au traitement mais puisque ces signes ont apparu au moment où on a démarré le traitement, on a considéré que c’était lié au traitement. Ça veut dire que ce traitement est bien toléré jusqu’au moment où je vous parle », détaillait-il dans un entretien avec la RTS, retranscrit entièrement par Dakaractu.
Requinqué par ces résultats, le responsable de la prise en charge médicale des patients COVID-19 au Sénégal a décidé de maintenir l’association hydroxychloroquine et azithromycine comme traitement. Pour autant, le Pr Moussa Seydi n’écarte pas la piste malgache.
Le remède salvateur
Contre le nouveau Coronavirus, Madagascar a proposé un remède développé par l’institut malgache de recherches appliquées : le Covid-organics (CVO), conçu à base de la plante d’artémisia annua et d’autres plantes médicinales.
Mais le jeune président malgache, Andry Rajoelina se charge de faire la publicité de ce « remède miracle » qui, selon la présentation qu’il en fait, peut autant guérir que prévenir le Covid-19. Sans attendre, une opération de charme sera déployée en direction des pays africains et le Sénégal fait partie des premières nations à s’intéresser à la potion malgache.
À travers une conversation par visio-conférence, le président Macky Sall manifeste l’intérêt du Sénégal à disposer de quelques échantillons en vue d’un test sur ses malades, sans écarter la possibilité de passer une commande si cela s’avère concluant. Emboitant le pas au Sénégal, la Guinée Bissau fera mieux.
Le président Umaro Sissoco Embalo dépêche un avion spécial à Antananarivo pour s’approvisionner en Covid-organics, mais se chargera en même temps de convoyer les cartons offerts par la Grande Ile aux pays de l’Afrique de l’Ouest. C’est ainsi que le Sénégal recevra ses doses en préventif et en curatif.
Malgré les bons résultats obtenus par le Pr Seydi avec l’utilisation du « protocole Raoult », les sénégalais tiennent à « essayer » le remède malgache. Mais ce ne sera pas avant un essai qui attesterait de l’efficacité du CVO. C’est le moment attendu par Dr Daouda Ndiaye pour entrer dans la danse.
Pharmacien de formation, il est le chef du service Parasitologie Mycologie de l’Université Cheikh Anta Diop. Le Dr Ndiaye est aussi expert OMS Paludisme, Traitement et résistance.
À la tête d’un comité scientifique de recherche sur l’utilisation des produits à base d’artémisia, il propose un protocole en vue d’un essai thérapeutique sur la plante et d’autres extraits de plantes sénégalaises. Ce, au sortir d’une réunion à laquelle il avait convié ses pairs pharmaciens sur les aspects règlementaires de l’utilisation du CVO.
Comme Dakaractu l’écrivait ce vendredi 08 mai, le protocole est déjà envoyé au Comité national d’éthique pour la recherche en santé (CNERS) qui devrait l’étudier la semaine prochaine. Mais le Professeur Ndiaye affiche déjà un enthousiasme débordant quant à l’efficacité de la plante sur le COVID-19. Selon lui, le Sénégal va vers l’utilisation du CVO et d’autres plantes de chez nous dans la guerre contre la maladie à coronavirus. Cet intérêt soudain vis-à-vis de l’artémisia va susciter des interrogations dans l’opinion publique sur les réelles motivations du Pr Ndiaye. Le premier à donner un coup de botte, c’est Birahime Seck du Forum Civil.
Les interrogations de Birahime Seck et le changement de discours du Pr Ndiaye sur l’artémisia
À travers une tribune postée sur sa page Facebook et intitulé « L’artemisia, le protocole du Prof Ndiaye et la fausse dualité ministérielle entretenue », le Coordonnateur du Forum Civil se demande pourquoi le Professeur Ndiaye attend ce moment pour faire de l’artémisia un trophée de guerre alors que la plante existe au Sénégal depuis des lustres.
Cette interrogation mérite son pesant d’or d’autant plus que le discours du Pr Daouda Ndiaye sur l’artémisia a bien évolué.
Dans un entretien avec « Thiey Dakar » diffusé le 15 février 2019 sur Youtube, l’expert de l’OMS pour le Paludisme disait littéralement son opposition de l’utilisation de l’artémisia en tant que plante et monothérapie sur la malaria.
« Il faut qu’on comprenne que l’artémisia annua n’est pas une plante nouvelle. C’est une plante très ancienne. Je peux dire les plus anciennes au monde. C’est avec cette plante qu’effectivement, les dérivés de l’artémisinine sont synthétisés au plan industriel. Donc, les propriétés qu’on donne à cette plante sont avérées. Mais il y a une raison qui justifie aujourd’hui l’interdiction de la plante par l’OMS. Moi en tant qu’africain, vivant en zone d’endémie, voulant éliminer le paludisme, qu’on m’emmène une plante pouvant éliminer le palu et que je rejette, ça n’a pas de sens. Mais tout de suite je vous dis que je suis contre cette plante et je vous dis pourquoi. Pas la plante en tant que molécule ; mais en tant que stratégie », arguait-il. « Tout ça est lié à ce qu’on appelle les phénomènes de résistance. C’est un couteau à double tranchant. Cette plante pourrait guérir tout de suite mais est ce qu’on doit traiter des patients, traiter toute la population et demain compromettre l’éradication du paludisme. Je dirai non », avait-il tranché. Pourquoi en ce moment, n’avait-il pas jugé nécessaire de faire une étude clinique sur la plante vu que le Paludisme tue en Afrique plus que partout ailleurs ? L’artémisia est cultivée au Sénégal depuis…2007.
L’argument de l’émergence de résistance est battu en brèche par le Dr Jérôme Munyangui. Dans le documentaire « Malaria business », le chercheur congolais affirme qu’une étude sur 1 000 patients avait prouvé que les tisanes d’artémisia étaient plus efficaces que les médicaments conventionnels contre le paludisme, les ACT (combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine), recommandés par l’OMS. Interviewé par une chaine congolaise suite à la sortie du remède malgache contre le Covid-19, il a réaffirmé que l’argument de la résistance que pourrait développer le parasite transmetteur du paludisme contre l’artémisia ne saurait tenir car « la plante regorge de plusieurs molécules antipaludiques ».
Spécialisée en infectiologie au Worcester Polytechnic Institute (WPI) aux Etats-Unis, l’américaine Pamela Weathers s’intéresse à la molécule d’artémisinine et à la plante Artemisia annua depuis plus de vingt-cinq ans, écrit le Monde. En 2011, poursuit Sabah rahmani dans l’article « Artemisia : une tisane contre le paludisme ? » publié le 24 avril 2018 sur lemonde.fr, elle fait une découverte inattendue : « Après avoir nourri des souris avec des feuilles sèches, nous avons découvert que 40 fois plus de molécules d’artémisinine entraient dans le sang que lorsque les souris avaient reçu l’artémisinine pure. Nos études ultérieures ont montré que les feuilles sèches étaient également beaucoup plus efficaces sur un modèle de rongeurs atteint de paludisme », résume la chercheuse, qui a publié l’étude dans Phytochemistry Reviews.
L’artémisinine est une molécule isolée de l’artémisia annua. Mais tous ces bienfaits et vertus de l’artémisia, le Dr Daouda Ndiaye les reconnaissait mais ne voulait pas prendre le contre-pied de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Au vu de ces éléments, difficile de croire qu’il est animé de bonne foi dans cette étude concernant l’efficacité de la plante chinoise contre le Covid-19.
Le ministère de l’Enseignement supérieur s’en lave les mains
Birahime Seck décèle dans la démarche du parasitologue une tentative d’installer une « fausse dualité » entre le ministère de la Santé et de l’Enseignement supérieur. Le comité scientifique au nom duquel l’essai thérapeutique sera conduit, serait chapeauté par le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Une source haut placée au sein de ce département ministériel à Dakaractu : « Non, il le fait sur décision du ministre de la Santé ».
Au ministère de la Santé, aucune voix ne semble vouloir se prononcer sur cette affaire. Il n’empêche, le Pr Ndiaye courrouce plus d’un dans le secteur de la santé. Des spécialistes contactés par Dakaractu s’étonne que le chef du Service de Parasitologie Mycologie de l’Université Cheikh Anta Diop « s’agite » et « met son nez dans toutes les sauces ».
Les virus aux virologues
C’est d’autant plus gênant qu’il ne serait pas le mieux placé pour mener une étude pareille. Un expert consulté par le site atlanticactu.com est formel : « Daouda Ndiaye n’est pas virologue alors qu’il a en face une maladie virale. Il n’est pas aussi infectiologue. Lui, il est dans la parasito. Il n’a rien à faire dans cette maladie et tout le monde le sait au Sénégal. Mais il a tellement fait de tapage que le ministre qui était contre lui au début a finalement décidé de l’intégrer. Au Sénégal, il suffit d’être trop critique pour que les gens s’approchent de toi et t’intègre. Mais quand tu es silencieux, les gens ne vont pas te respecter et vont te mettre des bâtons dans les roues ». « Il peut parler des virus, dans le sens où les parasites et les virus sont des microorganismes. Avec de la culture générale, un parasitologue peut parler de virus comme un virologue peut parler de parasites. Par contre, le Sénégal ne manque pas de virologues, donc pourquoi lui? Je ne sais pas. Son engouement pour l’artémisia, je comprends pas », ajoute une virologue interrogée par Dakaractu.
Le scientifique recommandé par le Pr Seydi
Pour sa part, le Professeur Moussa Seydi avait souhaité travailler sur l’artémisia avec le Professeur Bassène qu’il a présenté comme une référence dans la pharmacopée. Professeur de classe exceptionnelle de la Faculté de médecine de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), Emmanuel Bassène est titulaire de chaire de pharmacognosie.
« Il pourrait trouver des méthodes assez simples, moins contraignantes pour nous dire très rapidement (il faut qu’on collabore ensemble) est-ce que c’est efficace ou non. Quoi qu’il en soit, il a été trouvé efficace à Madagascar, mais on peut trouver d’autres résultats. Il est difficile de se baser sur les résultats des autres pour avoir une démarche », renchérissait le responsable de la prise en charge médicale des malades Covid-19 au Sénégal.
« Le ministère de la santé prendra certainement les dispositions nécessaires pour autoriser l’admission du Covid-organics au Sénégal avec la commission du visa et les essais thérapeutiques éventuels par l’équipe du Professeur Seydi. Nous verrons après cela comment mettre en œuvre les tests avec les extraits de plantes locales », répond le concerné qui a été contacté par Dakaractu.
Mais l’affaire semble déjà décidée ou presque (le comité national d’éthique pour la recherche en santé n’a pas encore donné son avis) au détriment de toutes les règles d’éthique comme le soupçonne bien Birahime Seck.
Dans son texte publié sur Facebook le 08 mai dernier, il détecte une « concurrence souterraine entretenue ou pire d’une tentative de déconstruire le travail apprécié jusque-là fait par l’équipe de Seydi ». Ça en a tout l’air, puisque le Pr Ndiaye est l’un des premiers détracteurs de la chloroquine. Même si son propos visait à « éviter l’automédication et la chimioprofilaxie », force est de constater qu’il a manqué de retenue et de tact en s’en prenant au Pr Raoult parce qu’il a trouvé un traitement à même d’arrêter la saignée causée par le Coronavirus.
Il militait pour la prudence dans l’utilisation du protocole Raoult, mais paradoxalement, il semble très pressé d’aller vers l’adoption de l’artémisia dans le traitement des malades Covid-19. D’où la question : qu’est ce qui fait courir le Pr Daouda Ndiaye ?