Mutation dans les pratiques politiques au Sénégal : de l’adversité à l’animosité

Les dernières passe-d’armes entre Bathélémy Dias et Aliou Sall en disent long sur le degré de pourrissement des relations entre hommes politiques. Ça vole très bas au niveau des débats.

Chacun défend sa propre vérité sans aucune considération pour celle de l’autre. Il n’y a plus de confrontation d’idées. La classe politique est devenue hystérique. Et avec elle leurs partisans de tous bords qui suivent leur exemple dans cette folie collective où personne n’est épargnée.

Pourtant, la politique n’a pas toujours été ainsi au Sénégal. Du temps du Président Senghor, le père des indépendances, les adversités existaient bel et bien parfois entre hommes naguère proches, comme Senghor et Lamine Guèye, mais il y avait une concurrence saine même si par moment, on notait des actes de violence ayant abouti, en 1966 par exemple, à la mort de Demba Diop dont un fameux stade à Dakar porte le nom.

A partir de 1974, la naissance du Parti démocratique sénégalais (Pds) et les élections qui ont eu lieu en 1978, n’ont pas ôté aux compétitions politiques leur charme. Senghor a passé tout son temps à se moquer d’Abdoulaye Wade, de sa calvitie synonyme d’incapacité à porter un poids sur sa tête, de sa ruse l’assimilant à « djombor » ou lapin, etc. L’ambiance était bon-enfant.

En 1981, après le départ volontaire du Président Senghor, Abdou Diouf, celui qui lui succéda, permit le multipartisme intégral alors que son prédécesseur limitait les courants politiques à quatre.

Il s’en est suivi, dans les années 80 à 90, un contexte économique défavorable avec les programmes d’ajustement structurel qui ont poussé les Sénégalais à changer leur mode de vie avec la naissance de l’esprit « baol-baol » qui se propagea à Dakar et dans les autres coins du pays. Il se traduit par le règne du système D, de la débrouillardise, de l’informel à tous les niveaux y compris politique.

C’est le sauve-qui-peut avec son lot de changements de comportement, de mode de vie.

Dans ces circonstances, les élections de 1988 et de 1993, ont été les tests grandeur nature du règne de ce nouvel état d’esprit qui, avec les évènements avec la Mauritanie, ont fini d’accoutumer les Sénégalais à cette violence que nous notons dans notre société avec les agressions et les assassinats, mais aussi sur l’arène politique.

Entendons-nous bien. Nous ne disons que la période de Senghor était exempte de violence. Car, l’ancien président a dû faire face à une tentative d’assassinat à la Grande mosquée de Dakar en 1967. Il y avait aussi les évènements de 1962 qui augurent de ce que nous vivons aujourd’hui, à savoir que l’adversaire est perçu comme un ennemi, celui qui veut t’ôter la pain de la bouche, ou t’empêcher d’être quelqu’un.

Mais, il faut dire que les évènements de 62 étaient plus liés au contexte de la guerre froide qu’à autre chose. C’est notre conviction, en tout cas.

Tandis que ce qui se passe sous nos yeux relève d’une déviation grave dans les modes de pratique politique laquelle est née quand la politique a commencé à être perçue comme un moyen rapide d’ascension sociale. Quand l’administration ne recrute plus, le secteur privé est trop faible, la politique permet alors à ceux qui s’y lancent une promotion rapide et de celle de leurs fils et proches. Le clientélisme s’est alors développé à un degré tel que des hommes politiques se sont même spécialisés dans l’octroi de bourses d’études à l’étranger pour les enfants de leurs militants, entre autres passe-droits.

Une situation qui a abouti à une création frénétique de partis politiques, plus de 250, perçus comme des boutiques de promotion individuelle à travers la naissance nouvelle de coalitions devenues la seule alternative pour gagner le pouvoir.

Alors, cet engagement politique, devenu un moyen de réussite sociale, fait l’objet de toutes les attentions. Au lieu de se battre pour créer des entreprises, on crée des partis y compris à l’échelle familiale pour se battre pour la préservation de ses intérêts. Pour ceux qui ne peuvent pas en créer, la seule alternative est se ranger aux côtés de quelqu’un d’influent qui, subitement, s’occupe de baptiser tes enfants, de fournir les moyens pour des cérémonies funéraires, de t’envoyer à la Mecque, etc.

Dans ces conditions, comment voulez-vous que le climat politique soit apaisé ?

La politique est devenue une question de vie ou de mort pour nombre de ces hommes et femmes qui, lorsque vous les combattez sur ce terrain, vous traitent comme des ennemis.

Alors, tous les moyens sont bons pour abattre l’adversaire-ennemi. Celui qui veut contrecarrer ses projets de vie.

Il s’en est suivi une disparition de l’idéologie dans les partis, le manque de formation et de conviction des militants. Tout est question d’intérêt matériel. Ceux qui raisonnent, réfléchissement, s’orientent dans ce sens. Chacun a toujours raison. C’est un dialogue de sourds qui sont en plus aveugles parce qu’ils refusent de voir.

Conséquence, qu’importe le camp qui arrive au pouvoir, les mêmes pratiques seront observées quelles que soient par ailleurs les promesses naguère faites aux populations.

Ceux qui ne sont pas encore au pouvoir sont très raisonnables, gentils, disponibles. Une fois le pouvoir acquis, ils deviennent injoignables y compris de la part de leurs proches, arrogants et superficiels dans leur réflexion  et mode d’action.

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