L’on n’a pas encore fini d’épiloguer sur l’affaire Lamine Diack, et voilà qu’un autre ponte de la République vient d’être cité dans un scandale au Burundi et en République Démocratique du Congo (RDC). Cette personnalité, il n’est personne d’autre que la deuxième personnalité de la République du Sénégal, le Président de l’Assemblée Nationale, Moustapha Niasse.
C’est en tout cas la révélation faite par Médiapart qui nous parle d’un fraudeur du fisc et investisseur français qui fait la « danse du ventre » aux ministres africains, «son ami et associé, vieux routard de la vie politique sénégalaise et ancien représentant de l’ONU, qui rafle de juteux marchés pétroliers. Arcanes d’un scandale de corruption dans plusieurs États d’Afrique ». Ce businessman français Pierre Achach qui a été condamné le 3 décembre 2015 par la XXIIe chambre du tribunal correctionnel de Paris dans le cadre des investigations lancées par le parquet financier sur les fraudeurs du fisc des listings HSBC d’Hervé Falciani.
Mais l’intérêt de ce dossier de fraude fiscale, nous apprend-t-on, réside également dans son volet corruption, qui lève le voile sur les pratiques en Afrique centrale d’une société d’exploration pétrolière européenne. Plusieurs investisseurs de renom sont mêlés à ce scandale, au premier rang desquels figure Moustapha Niasse, actuel président de l’Assemblée nationale sénégalaise et ancien envoyé spécial de l’ONU en République démocratique du Congo.
Quand la Surestream Petroleum fondée par Niasse remporte aisément les marchés d’exploration des sous-sols du grand lac Tanganyika (Burundi, RDC, Tanzanie et la Zambie) sous le nez et la barbe des grandes firmes mondiales
La société d’exploration pétrolière au cœur de la tourmente a vu le jour en septembre 2004. Son nom : Surestream Petroleum. Fondée par Moustapha Niasse et son bras droit et ami Pierre Achach, l’entreprise remporte aisément en 2006 et 2008 d’importants marchés l’autorisant à explorer les sous-sols du grand lac Tanganyika, territoire à cheval sur le Burundi, la République du Congo, la Tanzanie et la Zambie, convoité par les plus grandes firmes mondiales.
Des révélations sur ladite structure «Surestream » de Niasse et Cie dépeinte comme «opaque » et habituée à des pratiques corruptrices, nous font état de plusieurs écoutes téléphoniques montrant comment Pierre Achach, directeur général adjoint de Surestream, a agi auprès du gouvernement burundais afin de renouveler deux contrats d’exploration accordés en 2008 et 2009 par le président Pierre Nkurunziza, qui n’avait jusqu’ici jamais délivré de licence pétrolière. … Un extrait de ces écoutes téléphoniques dévoile ceci : le 17 avril 2011, M. Achach après avoir rencontré le ministre de l’énergie et des mines, Moïse Bucum, lequel souhaite que Surestream lui paie un billet d’avion pour pouvoir se rendre à une conférence à Paris. Achach accepte, bien que conscient de l’illégalité de la démarche : « Rappelle le ministre, tu lui dis qu’on va organiser ça mais qu’il faut qu’on fasse un tout petit peu attention parce qu’une (…) société privée n’a pas le droit de payer un billet pour le ministre. ». Pour éviter d’éventuelles poursuites, Achach propose de réaliser les achats « avec l’agence de Dubaï » de Surestream, tout en suggérant « que le ministère nous fasse (…) une sorte (…) de demande, une demande de contribution pour la formation d’un agent ou quelque chose comme ça tu vois et puis nous on organise le truc »….Mais au-delà de ces écoutes, l’affaire Achach égratigne aussi sérieusement d’autres investisseurs africains. L’ombre de Moustapha Niasse, plane ainsi sur tout le dossier. Homme d’affaires redoutable au patrimoine considérable, Niasse a toujours flairé les bons coups, notamment avec Pierre Achach, qu’il considère comme son « fils », au point d’en être l’exécuteur testamentaire.
Une concession achetée à bas prix et des délais d’attribution très courts.
Au Burundi, en parallèle des investissements pétroliers, Niasse et Achach se lancent en juin 2009 dans le microcrédit en signant un contrat avec la Mutec, le leader national alors dirigé par Jean-Marie Rurimirije, conseiller spécial du président Nkurunziza. En 2010, lorsque Pierre Achach se sait visé par la publication des listing HSBC de Falciani,
Quand Niasse se décide à couvrir les arrières de son «protégé » M. Achach
Moustapha Niasse propose même de le couvrir. Dans un courrier daté du 15 mars, l’ex-émissaire de l’ONU reconnaît ainsi être le seul actionnaire et seul bénéficiaire économique de Basic International, société localisée en Suisse et dans les îles Vierges britanniques par l’intermédiaire de laquelle Achach a dissimulé le produit de sa propre fraude fiscale. La lettre ne sera finalement pas utilisée auprès des services fiscaux.
Après le Burundi, Niasse et Cie vont à la conquête de la RDC
Moustapha Niasse et ses amis ne sont pas limités qu’au Burundi puisque leur société pétrolière a aussi remporté d’importants marchés en RDC. La proximité de Moustapha Niasse avec Joseph Kabila, aux rênes du pays depuis le décès de son père Laurent-Désiré Kabila en janvier 2001, est notoire. Mandaté par Kofi Annan pour accompagner la transition jusqu’aux accords de Pretoria du 17 décembre 2002, Moustapha Niasse est en bons termes avec Kabila qui l’invite à son mariage en 2006. Il est ainsi présenté comme un «ami intime» du président lorsqu’il intègre, le 23 janvier 2006, le conseil d’administration de MagIndustrie, société basée à Toronto qui compte alors «poursuivre le développement d’importants projets industriels en République démocratique du Congo» dans les domaines de l’énergie et de l’exploitation de minerais.
La main tendue de Niasse à un fils du pays, Baudouin Ebeli Popo, un lobbyiste touche à tout en RDC
Dans leur entreprise au Congo, Niasse et Achach prennent aussi le soin de s’associer à un enfant du pays, Baudouin Ebeli Popo, puissant homme d’affaires qui a ses entrées au palais présidentiel. À 56 ans, Ebeli Popo présente un CV long comme la carrière d’un dictateur : ancien administrateur de la banque centrale du Congo, membre de la direction de l’inspection des banques, conseiller du premier ministre, propriétaire de la chaîne de télévision Business Radio Television Africa… Ce lobbyiste touche-à-tout vend sans complexe son entregent : « La connaissance profonde du rouage de l’administration est un atout me permettant à tout moment d’assister à ma juste valeur (sic) tout celui qui veut se tailler un chemin dans ce grand chantier qu’est la RD Congo. »
Il s’associe à Surestream en prenant des participations dans la filiale nationale Surestream Petroleum RDC. Sans surprise, Surestream RDC signe en novembre 2005 un contrat pour l’exploitation de trois blocs congolais du lac Tanganyika. Le montant de la concession interpelle : 125 000 dollars, là où le gouvernement l’estime aujourd’hui à dix fois plus (1,25 million de dollars). Les délais d’attribution également : à peine quatre mois seront nécessaires à la signature d’un décret présidentiel en février 2006. Du jamais vu. « C’est la seule société pétrolière ayant conclu un accord d’exploration avec le gouvernement de transition qui obtiendra l’aval du chef de l’État quasi immédiatement », écrit le chercheur Benjamin Augé dans sa thèse de doctorat sur l’Afrique médiane.
La situation se complique en revanche en 2011, quand les autorités s’opposent au renouvellement immédiat des trois autorisations d’exploration. Après trois ans d’attente, le gouvernement donne finalement son feu vert à une prolongation des recherches pour les blocs de Yema et Matamba-Makanzi, où Surestream s’est associé avec Glencore, prix du Public Eye Awards de la multinationale la plus irresponsable en 2008 pour, entre autres, « ses pratiques agressives d’évasion fiscale ainsi que sa propension à tirer profit d’une régulation étatique faible ». Le dossier du bloc de Ndunda, pour lequel Surestream s’est associé en 2010 avec le géant italien ENI, est, lui, toujours à l’arrêt. La situation est en passe de se résoudre pour Ndunda, assure à Mediapart, Beaudouin Ebeli Popo, qui voit dans ce contretemps des difficultés administratives : « Les gens qui doivent expliquer les choses à la haute hiérarchie du pays sont les fonctionnaires, mais j’ai toujours condamné l’administration. On ne sait pas exactement ce qui s’est passé. L’État voulait jouer sur la rétroactivité de nouvelles lois sur les coûts de renouvellement. Ce n’est pas facile de travailler ici. ». Contacté par Mediapart, ni Moustapha Niasse ni le cabinet de Joseph Kabila n’ont répondu à nos sollicitations.
« Soit il faut payer, soit il faut Moustapha Niasse. On ne demande rien à M. Niasse ».
Au téléphone avec un interlocuteur non identifié, Pierre Achach, alors sur écoute, a, lui, donné en 2011 une tout autre explication à ces blocages : « Ben c’est-à-dire que tu sais euh ils ont une longévité qui est faible les ministres en Afrique tu vois par exemple au Congo j’en suis à mon 8e ministre depuis 5 ans et demi. (…) Tu vois donc ça c’est un problème parce que ben c’est que c’est compliqué parce que chaque fois qu’il y en a qui arrive il faut recommencer la même danse du ventre, euh le même truc tu vois donc. »
Une « danse du ventre » qui « coûte » selon Achach, sauf si l’on compte parmi les siens Moustapha Niasse : « Soit il faut payer, soit il faut Moustapha Niasse. On ne demande rien à M. Niasse. » Cette affirmation prend une résonance particulière dans le contexte politique actuel : alors que la Cour constitutionnelle congolaise a invalidé en septembre le calendrier électoral et que le pays est en proie à de vives tensions, le président Joseph Kabila a proposé fin novembre le nom de Moustapha Niasse comme l’un des quatre médiateurs des Nations unies pour assurer une nouvelle mission de médiation. « On ne demande rien à M. Niasse »…