Le chef de l’Etat, Macky Sall a intérêt à envoyer un signal fort, notamment sur la question relative à la gestion des élections, s’il veut que l’opposition, au-delà, les Sénégalais, croient à la sincérité de l’appel au dialogue lancé le jour de l’Aid El Kébir, Tabaski. C’est du moins la conviction de l’analyste politique, Momar Diongue, qui estime qu’il faut une personnalité «neutre» pour la gestion des élections ou tout au plus, faire recours à la formule de Wade, consistant à créer un «ministère neutre» chargé des élections. Dans cet entretien accordé à « Sud quotidien », le Directeur de publication du Magazine «Vision Mag», est revenu sur la notion du dialogue telle que perçue par le chef de l’Etat, mais aussi sur le format, sans oublier le contenu dudit dialogue. M. Diongue reste, par ailleurs, persuadé que la Société civile doit être le principal acteur, dans un contexte d’absence de régulateurs sociaux et de confiance entre les acteurs politiques.
Le Chef de l’Etat, Macky Sall a encore lancé un appel au dialogue politique. En quoi devrait consister ce dialogue et sur quoi dialoguer ?
Je pense qu’il ne faut surtout pas se méprendre sur le dialogue tel que perçu par le président Macky Sall. Il ne faut pas circonscrire ce dialogue à la classe politique. Je crois que sa perception va plutôt vers un dialogue national, qui recouvre bien vrai un dialogue politique entre le pouvoir et l’opposition, mais aussi un dialogue social.
Je crois qu’il l’a évoqué avec le monde des travailleurs. Mais, il a également saisi le prétexte des deux Tabaski, pour appeler les acteurs religieux à un dialogue. Vous voyez que le dialogue tel que perçu par le président de la République, avait trois dimensions. Je crois d’ailleurs que c’est ce format qu’il avait donné à son dialogue au sortir du référendum, quand il avait lancé le dialogue national le 28 mai 2016. Je crois que le Président est plutôt sur cet angle-là, plutôt qu’un dialogue qui réunirait pouvoir et opposition uniquement.
Quel doit être le format pour un dialogue politique sincère aujourd’hui ?
Je pense que le président Macky Sall ne doit pas considérer le dialogue comme une opération cosmétique. Parce que, ce fut une opération cosmétique au sortir du référendum. Il avait initié ce dialogue le 28 mai 2016 pour deux choses. Il l’avait fait pour régler le cas Karim Wade, parce que l’opinion ne pouvait pas comprendre qu’on ait lancé la traque des biens mal acquis et que Karim Wade, qui a été reconnu coupable et condamné, puisse être élargi.
C’était une mesure impopulaire, ou du moins incompréhensible de la part des Sénégalais et auquel le Président a voulu préparer les Sénégalais. Il n’a pas voulu prendre seul la responsabilité d’une telle initiative. La deuxième chose, c’est qu’au sortir du référendum, il fallait aussi prendre une mesure tout aussi impopulaire, à savoir la création du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct), dans un pays comme le Sénégal où la situation économique est difficile, il y a une morosité sociale ambiante, créer une nouvelle institution comme le Hcct, avec un budget de 9 milliards, c’était aussi quelque chose que le Président voulait faire digérer aux Sénégalais.
Ce sont ces deux choses qui avaient poussé le Président au dialogue, pour ne pas prendre sur lui la responsabilité de l’élargissement de Karim Wade et la création du Hcct avec 150 membres et un budget dans une situation particulièrement difficile. C’est ce que j’appelle une opération cosmétique. C’est-à-dire, lancer un dialogue juste pour régler des questions ponctuelles, mais qu’il ne s’agisse pas de dialogue sincère.
Maintenant, pour que le dialogue auquel il vient d’appeler, puisse être différent de celui-là, il va falloir que le Président envoie du moins un signal, lequel signal viserait le départ d’Abdoulaye Daouda Diallo du ministère de l’intérieur. Ça peut ne pas être un départ du ministère. Abdoulaye Daouda Diallo, investi de la confiance du président de la République, peut rester au ministère de l’Intérieur. Mais, je crois que le président de la République, pour rassurer les acteurs politiques, et pour montrer qu’il est vraiment dans une dynamique de dialogue, doit au moins régler le cas de la gestion des élections.
Même s’il garde Abdoulaye Daouda Diallo au prochain remaniement ministériel, qu’il fasse recours à la formule de Wade, qui avait consisté à faire recours à une personnalité «neutre» pour gérer les élections. Ça, c’est une décision qui lui revient et qu’il peut prendre pour rassurer la classe politique quant à sa volonté d’aller à un dialogue politique. Mais, tant que le Président n’aura pas lancé un signal de ce type, l’opposition va croire qu’il veut les embarquer dans un dialogue qui n’aboutira à rien du tout et que son appel au dialogue est simplement un appel circonstanciel.
Parce qu’on était le jour de l’Aid El Kébir, il était bon ton dans un contexte comme celui-là, d’appeler à l’apaisement et au dialogue sans y croire totalement. Si le Président veut que la classe politique et, au-delà de la classe politique, les Sénégalais, croient à la sincérité de son appel au dialogue fort, ce signal, dans le cadre du prochain réaménagement du gouvernement, devrait consister à régler le cas Abdoulaye Daouda Diallo, qu’au-delà de la classe politique, même les Sénégalais ont décrié dans la gestion des élections.
Pour que le dialogue politique ne soit pas biaisé, que doit être le contenu dudit dialogue ?
Pour le dialogue politique, je crois que le contenu est très clair et le Président même l’a esquissé. Il a dit qu’entre acteurs politiques, il est bon d’évaluer le processus électoral qu’on vient de vivre. Ça me paraît fondamental. Parce qu’il ne faudrait pas perdre de vue qu’on est à un an et demi de l’élection présidentielle, qui va cristalliser encore plus de passions que ne l’ont fait les élections législatives.
Tout le monde a eu à décrier l’organisation de ces élections législatives et la gestion solitaire qu’a eu à faire le gouvernement depuis l’échec des travaux de la revue du Code électoral. Si vous vous souvenez bien à l’époque, il y avait 12 points qui avaient été inscrits dans le cadre des discussions entre le pouvoir et l’opposition, donc toute la classe politique. Il y avait 8 points d’accord et 4 de désaccord. Je crois que ces 4 points de désaccord auraient dû faire l’objet d’une discussion ultérieure. Parmi ces points de désaccord, il y avait le mode du scrutin.
Mais ça, c’est derrière nous, parce que l’opposition voulait que les modes de scrutin proportionnel et majoritaire soient revus de manière à ne pas permettre ce qui s’est passé dernièrement. Parce ce qui s’est passé dernièrement, c’est que le président de la République Macky Sall, même s’il n’a pas atteint 50% des suffrages, se retrouve avec une majorité écrasante à l’Assemblée, parce qu’il a été favorisé par le mode de scrutin majoritaire.
Maintenant, il y a une question qui devrait être discutée dans le cadre d’un dialogue entre le pouvoir et l’opposition. C’est par exemple, le recours au bulletin unique. Nous avons une démocratie qu’on dit assez mûre et il y a beaucoup de démocraties, qui sur l’échelle des valeurs, se retrouvent en deçà de la démocratie sénégalaise, et qui ont recours depuis quelques temps, au bulletin unique. Ça peut régler le coût exorbitant des élections, surtout avec les élections qu’on vient de passer avec 47 listes, des bulletins à imprimer au nombre de 329 millions.
Il y a aussi l’audit du fichier électoral. Je crois que jusqu’à présent, il y a des doutes sur la viabilité du fichier électoral. Ça aussi, ça devrait faire l’objet d’une discussion. Ensuite, il y a un des points du référendum, notamment la modernisation des partis politiques et leur encadrement. Nous sommes dans un contexte où il y a beaucoup de partis politiques, le Sénégal ne compte pas moins de 250 ou 260 partis politiques. Ça aussi, devrait faire partie intégrante des points de discussion entre le pouvoir et l’opposition, pour voir comment rationaliser les partis politiques.
Qui doivent être les acteurs du dialogue politique, si l’on se rappelle que lors des concertations initiées par la CENA pour la modification du Code électoral, une bonne frange de l’opposition, dite significative, disait ne pas se reconnaitre dans le consensus obtenu ?
C’est le président de la République qui a l’initiative du dialogue national et il l’a fait. Mais, il me semble quand même qu’il y a un segment qui doit être encore beaucoup plus impliqué dans le dialogue national et dans la recherche d’un dialogue : c’est la société civile.
Nous sommes dans un contexte où l’on vit l’absence de régulateurs sociaux comme ont pu l’être par le passé, les guides religieux. On a vu ici, à plusieurs reprises, des Khalifes généraux et j’ai en mémoire le rôle qu’a toujours joué Sérigne Abdoul Sy Dabakh quand on était dans des situations de blocage et de crispation du jeu politique. On a vu également le Cardinal Thiandoum, le rôle qu’il a également joué dans cette direction.
Maintenant que nous n’avons plus des guides religieux de ce profil et dont la voix portait, il est temps que la société civile s’implique. Moi, je verrais bien la plateforme des acteurs de la société civile s’impliquer, quand bien même l’initiative appartient au président de la République, il l’a fait, mais qu’eux, s’impliquent. C’est eux qui doivent être les principaux acteurs. Parce que, comme on est dans une situation de défiance, on est dans une situation où les acteurs ne se font pas confiance, où les positions peuvent être très crispées, il y a un des acteurs qui peut jouer à la médiation et permettre le rapprochement entre les deux parties.
Parce que, depuis que le Président a lancé son appel au dialogue, vous voyez que beaucoup d’acteurs politiques se sont automatiquement braqués, rejetant d’emblée la main tendue par le président de la République. Si maintenant, c’était la société civile qui prenait cette initiative, qui invitait les acteurs au dialogue, je crois que ça aurait beaucoup plus de chances d’aboutir plutôt que ça vienne du président de la République uniquement.
Parce qu’on est dans un jeu où les acteurs ne se font pas confiance. A partir de ce moment-là, il n’y a que des acteurs neutres, comme ceux de la société civile, qui doivent intervenir et qui doivent s’impliquer.