L’assouplissement des mesures d’urgences a comme libéré les Dakarois qui s’empressent de reprendre les habitudes prohibées par les autorités sanitaires, au moment où la progression de la contamination ne cesse d’inquiéter dans la capitale sénégalaise et sa banlieue. Ici et ailleurs, le constat est unanime : les comportements qui favorisent la prolifération du virus pathogène ont repris de plus belle et l’été qui s’annonce risque d’accentuer le phénomène du relâchement.
Il est onze heures aux allées Papa Guèye Fall. Ce lieu, occupé par des vendeurs de pneus et autres accessoires de véhicules, grouille de monde. Aux abords de la chaussée, des jeunes, en petits groupes çà et là, discutent de tout et de rien en attendant de potentiels clients. Ici, la distanciation sociale n’est pas respectée. On a l’impression que les gens ne soucient plus des ravages de la maladie du nouveau coronavirus qui a déjà étendu ses tentacules au Sénégal.
Plus d’un mois après que le président de la République a assoupli les mesures restrictives en demandant aux Sénégalais de vivre avec le virus, beaucoup de citoyens ne se donnent plus la peine de respecter les mesures barrières édictées par les autorités sanitaires pour lutter contre la maladie. « Ce que vous constatez ici reflète l’image du Sénégal. Depuis quelques temps, les Sénégalais ne respectent plus les mesures d’hygiène. Il y a un relâchement total. Parcourez tout le long de l’allée, vous n’y verrez pas de lave-mains alors qu’au début de la pandémie, on les voyait partout », a constaté M. Souaré, trouvé en train d’égrener son chapelet, le visage couvert d’un masque blanc. Il est l’un des rares à en porter encore.
« On ne peut pas se fuir éternellement… »
A quelques pas de là, au niveau du rond-point Petersen, l’ambiance est à son paroxysme. Les vendeurs rivalisent de chansons et d’applaudissements pour attirer les clients et autres passants sur cette voie. C’est à qui mieux mieux. Les vrombissements des véhicules et les sons des klaxons donnent un cocktail sonore qui bouche les oreilles. Vendeurs, acheteurs et simples passants disputent la chaussée avec les véhicules. Les mesures préventives liées à la pandémie sont négligées. Certains en font fi maintenant. C’est du moins le constat fait par Soda Kébé, cette mère de famille qui, tous les jours, quitte la banlieue de Dakar, plus précisément à Yeumbeul, pour proposer ses fruits à la gare de Petersen. Masque porté avec une certaine désinvolture, elle constate un délassement de l’application des mesures barrières.
De l’avis de Soda Kébé, ce comportement s’explique par le fait que certains sénégalais n’ont plus peur de la maladie qu’ils considèrent juste comme une grippe. « Il y en a même certains qui doute de l’existence de la maladie », déclare-t-elle. Coumba Kane, vendeuse de jus, et ses deux amies, trouvées en pleine discussion ne respectent pas la distanciation sociale. Si elle et l’une de ses amies ont porté le masque, tel n’est pas le cas pour la troisième dame. « Même si nous ne respectons pas la distanciation sociale, nous portons nous avons toutes des masques. Mon amie a laissé le sien sur son étal », s’empresse de justifier la vendeuse qui rappelle qu’il y des réalités qui sont communes aux Sénégalais. « On ne peut pas se fuir éternellement. C’est cette vie que nous connaissons ici : s’asseoir à côté, se parler entre dames, partager des tasses de cafés. C’est ça la réalité sénégalaise. Dieu nous préservera de cette maladie. Il est difficile de respecter tout ce que nous dicte corona », lance-t-elle. Ses deux amies acquiescent.
PETIT À PETIT, LES MASQUES TOMBENT
Vendeur de masques, Papa Badiane constate, lui aussi, le relâchement quasi généralisé. A l’en croire, au début de l’apparition de la maladie au Sénégal, il vendait, au moins, 100 masques par jour. Mais, constate-t-il pour s’en désoler, depuis quelques semaines, son chiffre d’affaires baisse. « C’est à peine si j’arrive à vendre une cinquantaine de masques », révèle-t-il en se faufilant entre les véhicules pour proposer sa marchandise.
Dans les marchés, dans les moyens de transport en commun, les boulangeries, les magasins rares sont maintenant ceux qui respectent les mesures barrières.
Au garage de la ligne 3 des bus TATA, l’ambiance bat son plein. Chauffeurs, clients et vendeurs ambulants vaquent à leurs occupations. Saybou Fall est conducteur de bus de la ligne 3. Il rassure que les mesures barrières sont respectées par les conducteurs. Ceux qui les enfreignent, souvent, ce sont les clients qui voyagent. « Malheureusement, c’est nous qui payons les pots cassés. Quand un client ne met pas son masque, on nous atteste. J’ai déjà payé plus de 50 mille francs CFA à la police à cause des clients qui ne respectent pas le port du masque », dit-il.
Pour lui, des sanctions sévères doivent être infligées à ceux qui refusent de respecter les mesures barrières notamment le port du masque qui, à son avis, est obligatoire pour tout le monde. Il convient de signaler que ce relâchement des sénégalais est intervenu dans un contexte où le Sénégal a dépassé la barre des 5000 personnes testées positives au coronavirus, avec plus de 1600 patients actuellement en traitement, dont une vingtaine de cas graves, sans compter la soixantaine de décès enregistrés.
PLAGES PRISES D’ASSAUT
Dans la banlieue, le constat est le même. La reprise de la pratique du sport en public semble servir d’exutoire face à ceux qui en étaient longtemps privés par les mesures de restrictions. Dans les communes de Yeumbeul Nord et Wakhinan Nimzath, tout donne l’air que les jeunes conjuguent la Covid 19 au passé. Même s’ils ne parviennent pas à accéder au littoral, ils jeunes s’arrêtent à environ 300 mètres de la mer. Le rondpoint de la cité Gadaye, sur la Vdn3, les sert de lieu de regroupement. Ils s’y retrouvent à tout prix, au point de braver les interdits et défier les forces de l’ordre, notamment de la police de Wakhinane Nimzatt, qui ont tenté de les contenir. Même les policiers chargés de veiller au grain semblent dépassés. Visiblement, ils ont perdu leur verve du début de l’état d’urgence.
Ici, inutile de parler de gestes barrières ou de port de maque. Ils sont relégués au second plan. « Le masque n’est pas adéquat avec le sport ». Comme Malick, ils sont nombreux à sortir cette phrase en guise de prétexte.
Avec les vacances d’été qui s’approchent à grands pas, nombreux sont ces jeunes de la banlieue qui attendent la levée des mesures restrictives pour vivre pleinement ces beaux temps à la plage. Avec le virus, s’il le faut. Et à voir comment la plage est prise d’assaut, la crainte d’une contamination en masse plane comme une épée de Damoclès. Au point que l’un des baigneurs nous interpelle : y a-t-il un risque d’attraper la Covid-19 en se baignant dans l’eau de la mer ? Une réponse que nous avons tentée d’avoir via un biologiste en service à l’hôpital Le Dantec. « La principale voie de transmission du SRAS-CoV-2 dans les plages passe par les sécrétions respiratoires générées par la toux, les éternuements et le contact de personne à personne. Le respect de la distanciation sociale sera un outil de protection majeur, sur le sable comme dans l’eau », renseigne-t-il.
Un baigneur averti…