En août 1993, j’avais constitué, avec Mamadou Diop Decroix, une délégation de l’opposition politique au régime du Président Abdou Diouf, pour rencontrer une mission du National democratic institute (Ndi). La mission était envoyée à Dakar pour une évaluation du processus électoral dans le cadre d’une facilitation conduite depuis 1991 par le Ndi pour un dialogue politique.
A la sortie de la rencontre, Mamadou Diop Decroix me tomba dessus, pour avoir ruiné la propagande de l’opposition qui cherchait à discréditer les scrutins de l’élection présidentielle de février 1993 et des élections législatives de mai 1993. En effet, j’avais indiqué dans nos discussions que nous de l’opposition, avions certes de sérieuses réserves sur la sincérité du scrutin du fait notamment de l’absence d’identification des électeurs et surtout de pratiques d’achat de conscience et peut être même de bourrages d’urnes mais que nous ne pouvions continuer à discréditer le processus électoral sans apporter la moindre preuve. Le Parti démocratique sénégalais (Pds) revendiquait par exemple avoir remporté 63 sièges de députés sur les 120 en compétition ; sur la foi de procès verbaux qu’il détiendrait mais de tels procès verbaux n’avaient jamais été produits ni devant la Commission électorale nationale autonome, ni devant les observateurs internationaux encore moins devant les commissions de recensement des votes. Il s’y ajoutait un autre argumentaire de l’opposition selon lequel les résultats des scrutins avaient été faussés par l’usage massif d’ordonnances délivrées à des électeurs pour pouvoir voter. A l’époque, les électeurs qui n’avaient pas de cartes d’électeurs avaient la possibilité de se faire délivrer des ordonnances par le président du Tribunal départemental de ressort, pour exercer leur devoir citoyen. Or, il apparaissait dans tous les registres électoraux que pour la présidentielle quelques 46.000 ordonnances avaient été utilisées au total et seules 26 000 ordonnances avaient été utilisées pour les élections législatives. C’est dire que l’utilisation des ordonnances ne pouvait nullement fausser de manière déterminante les résultats de scrutins auxquels avaient pris part, chaque fois, plus de 1,2 million d’électeurs. L’ami «Decroix» me reprochait donc mes déclarations qui du reste, étaient conformes à la ligne de vérité adoptée par mon parti, la Convention des démocrates et patriotes (Cdp Garab gui). Pour lui, même si cela était vrai, ce n’était pas à dire. Par contre, pour nous de la Cdp Garab gui, la débâcle électorale était amère mais il fallait s’en tenir à un langage de vérité, contrairement à certains autres alliés de l’opposition. Le Ndi, un organisme fondé par l’ancien Président Jimmy Carter, tiendra compte de nos remarques dans le rapport publié le 5 septembre 1993 relatif à l’évaluation des élections sénégalaises de cette année-là. La leçon de cette histoire est de s’interroger sur les rapports que les hommes politiques doivent avoir avec la vérité, mais aussi avec les institutions de la République. Voltaire disait, «plus mes compatriotes chercheront la vérité, plus ils aimeront leur liberté». Cette anecdote me revient à l’esprit après avoir lu dans certains médias des déclarations faites, la semaine dernière à Touba, par Mamadou Diop Decroix. Cet homme politique et député de surcroit, a estimé devoir apporter un soutien à des jeunes Mbacké Mbacké qui exigent la libération d‘un des leurs, Serigne Assane Mbacké, incarcéré dans le cadre de l’enquête sur l’incendie volontaire d’un domicile du député Moustapha Cissé Lô. Mamadou Diop Decroix n’a cure des principes d’indépendance de la justice encore moins de la gravité des faits criminels. «Decroix» déclare qu’il soutiendra les amis de Assane Mbacké dans leurs actions de défiance à l’endroit de la justice. On peut même se demander si l’expression aussi exubérante d’une quelconque compréhension des actes d’incendie volontaire perpétrés contre le domicile habité de Moustapha Cissé Lô ne constitue-t-elle pas une certaine apologie du crime ? C’est une dérive qui semble d’ailleurs gagner nos hommes politiques. Oumar Sarr, député lui aussi et coordonnateur général du Pds, qui se tenait à côté de Mamadou Diop Decroix à Touba, a sorti lui aussi une perle. Dans les colonnes du journal L’Observateur, Oumar Sarr a affirmé, sans ambages, que les étudiants qui avaient lapidé le cortège du Président Macky Sall à l’Université de Dakar avaient raison d’agir de la sorte. Servirait-il à quelque chose de poursuivre les étudiants si de telles déclarations de Oumar Sarr qui constituent une véritable apologie d’un crime sont laissées impunies ? Il faut dire que cela devient une banalité au sein de la classe politique sénégalaise de faire les déclarations les plus irresponsables et les plus farfelues. Après la réprobation et la condamnation générale des propos abjects sortis par l’ancien Président Abdoulaye Wade, en février 2015, contre son successeur Macky Sall et sa famille, on osait espérer que désormais les hommes et femmes politiques remueraient sept fois leur langue dans leur bouche avant de débiter des propos irrespectueux à l’égard de leurs adversaires, ou qui heurteraient les principes républicains. Seulement, de nombreux responsables de l’opposition semblent pris par un grave délire haineux résultant d’une profonde «blessure narcissique», pour emprunter à Sigmund Freud sa formule. Ils ne se font pas encore une raison que c’est bien Macky Sall qui a été élu par 65% des électeurs sénégalais pour conduire leurs destinées. Ne serait-ce que par respect pour cette forte majorité de citoyens et par respect pour l’institution de président de la République à laquelle aspirent ces hommes politiques, certaines mesquineries devraient être bannies du discours public. Même la Chine ferme ses camps de rééducation, mais une personnalité politique ne doit pas dire n’importe quoi jusqu’à se livrer à un libertinage et le cas échéant, les citoyens au nom desquels ils exercent des mandats devraient les sanctionner. En France, on se rappelle qu’en 2013, Anne-Sophie Leclère, candidate du Front national aux municipales, avait payé cash, non seulement par un cinglant revers électoral mais aussi par une condamnation pénale, le fait d’avoir comparé la ministre de la Justice Christiane Taubira à un singe et d’avoir affirmé qu’elle «préfère la voir sur un arbre (…) qu’au gouvernement». Avant elle, Jean Marie Le Pen continue encore de payer ses déclarations de 1987 selon lesquelles «les chambres à gaz était un détail de l’histoire de la deuxième guerre mondiale». Il a été condamné plusieurs fois par la justice française pour «apologie de crime, banalisation de crime et consentement à l’horrible». Pour en revenir au Sénégal, peut-être que cela aurait été dissuasif pour les autres, si Abdoulaye Wade avait été au moins assigné en justice pour ses insultes récurrentes proférées à l’endroit de Macky Sall. Ce n’est certes pas à cet âge qu’on peut changer Abdoulaye Wade, mais on ne devrait pas désespérer des autres. Quelle est aussi la responsabilité des médias dans ce charivari ? Le souci de donner la parole à toutes les sensibilités politiques ne devrait pas pousser à relayer n’importe quel propos. Une rédaction doit pouvoir apprécier souverainement de refuser de relayer un propos qui heurte la morale ou les principes républicains. De toute façon, des médias ont déjà été condamnés lourdement pour avoir ouvert leurs micros ou leurs colonnes à des hommes publics qui ont eu à y faire des déclarations. Seulement, à chaque fois, ce sont les médias, seuls (!), qui paient le prix fort.
Madiambal Diagne