Dans cet entretien, Me Alassane Dioma Ndiaye livre ses inquiétudes quant à la manière dont le parquet conduit l’affaire Ndiaga Diouf. Laquelle vaut à Barthélémy Dias de poursuites pour coups mortels. Il s’explique.
Partagez-vous l’avis de ceux qui disent que la réactivation de l’affaire du meurtre de Ndiaga Diouf est purement politique ?
Il y a eu 3 étapes dans cette affaire. D’abord, la justice a travaillé avec célérité parce que M. Barthélémy Dias a été arrêté, inculpé et placé sous mandat de dépôt. Après la liberté provisoire le juge a disqualifié les faits en homicide involontaire.
Mais c’est la deuxième fois, je crois, à partir de l’ordonnance de renvoi, où on a noté une sorte d’oubli de la part du parquet qui est resté pratiquement pendant deux ans sans enrôler le dossier. C’est inhabituel et anormal pour un dossier de correctionnel.
Apres cela on a noté cette troisième phase d’accélération du dossier. Malheureusement cette phase a coïncidé avec la radicalisation de Barthélemy Dias à l’égard du pouvoir politique et de la coalition Benno bok yakaar. C’est ce qui a pu faire dire à certains que si ce dossier a été accéléré subitement, c’est en raison des positions de Barthelémy Dias parce qu’on aurait pu enrôler le dossier bien avant.
Aucune difficulté technique ni juridique ne peut expliquer le fait qu’on soit resté deux ans sans enrôler l’affaire naturellement. Je pense que ceux qui défendent cette thèse n’ont pas tort, au regard de l’inertie pendant toute cette phase où Barthélémy était apparemment en phase avec le gouvernement.
La procédure s’est aujourd’hui heurtée à l’immunité du maire de Mermoz-Sacré Cœur. Etes-vous d’avis qu’en l’occurrence on a mis la charrue avant les bœufs ?
Ce qui s’est passé aujourd’hui (l’affaire a été renvoyée sine die) de la part du parquet suscite des interrogations. Parce qu’au moment d’enrôler on savait que Barthélémy était député. Au moment d’envoyer les citations on savait que Barthélémy était député. On attend le jour de l’audience pour se souvenir physiquement que Barthélemy était député et qu’on n’aurait pas dû enrôler sans au préalable lever son immunité. Ça aussi c’est inquiétant quand même parce que le parquet savait le statut de Barthélemy.
Comment les choses auraient-elles dû se passer ?
Si le parquet est convaincu que Barthélemy ne peut pas être jugé sans que son immunité ne soit levée, il n’aurait pas dû enrôler sans entamer la procédure de levée de l’immunité. C’est ce qui pose problème. Ce qu’on peut rapprocher au parquet, c’est d’avoir envoyé la citation tout en sachant qu’il fallait lever l’immunité auparavant. Et ça c’est pénible pour la famille de la victime. Parce que cette famille attend depuis 5 ans et aujourd’hui qu’on lui fait voir un éclair, immédiatement on pose une difficulté juridique qui peut encore prendre, côté procédure, du temps. Et nous militants des droits de l’homme, c’est ce que nous regrettons. Et nous pensons que cette affaire, comme l’a souhaité Barthélémy Dias, doit être jugée pour qu’on sache réellement ce qui s’est passé.
Certains disent que cette affaire Dias est une nouvelle preuve que la justice est parfois instrumentalisée par l’exécutif. Partagez-vous ce point de vue ?
Le Président de l’Union des magistrats du Sénégal l’a rappelé : la Justice est sous pression chaque jour. Ça, c’est naturel. Le magistrat est toujours en proie à la manipulation, à l’instrumentalisation. Mais c’est tout à l’honneur des juges de résister à ces pressions. Donc là aussi ce n’est pas nouveau qu’il y ait ce genre de pressions. Que ça vienne du pouvoir politique ou autre. Mais ce que la magistrature doit faire, c’est de prendre ses responsabilités et de ne pas céder à ces pressions. Parce que ce qui s’était passé dans l’affaire de l’imam Sèye conforte l’imaginaire collectif. Quand on condamne quelqu’un à une peine et que le Président considère cette peine comme très légère, puis à quelques jours de la sortie de prison, que l’affaire soit enrôlée et que rapidement cette personne soit condamnée à deux années, évidemment c’est comme si on voulait matérialiser la parole du Président. Je crois que c’est ce que la magistrature doit éviter. Donc, même si je ne peux pas confirmer formellement que dans l’affaire Dias, il y a une instrumentalisations de la justice, je pense qu’il appartient aux juges de tenir compte d’un certain nombre d’opinions formées autour de cette affaire-là.
La famille de la victime, elle, ne comprend pas pourquoi les organisations de défenses des droits de l’homme ne se mobilisent pas à ses côtés. Que lui répondez-vous ?
Il faut dire que cette famille n’a jamais sollicité une assistance judiciaire de la part des organismes de défense des droits de l’homme. Quand il y a un problème de cette nature, la position des organisations de défense des droits de l’homme c’est que justice se fasse, qu’il y ait en enquête, qu’il y ait une procédure judiciaire. Et si la famille ne demande pas l’assistance des organisations de défense des droits de l’homme en termes d’assistance judiciaire, ces dernières respectent le droit de la famille de choisir librement ses avocats. C’est ce qui s’est passé. Mais on ne comprend pas que la famille de Ndiaga Diouf puisse dire aujourd’hui que les organisations de droits de l’homme l’ont laissée pour compte.