« Militants de la première heure et oubliés au moment du partage du gâteau : Les cadres « apéristes » du département de Matam ruminent leurs frustrations ». Ce n’est pas le titre d’un film, mais celui d’un article de presse, paru hier dans les colonnes du journal « Le Témoin Quotidien ». Que de plaintes et de complaintes !
Le « Yoonou yokkuté », nom générique de la seconde Alternance, fait décidément beaucoup de mécontents. Et pas seulement dans les rangs de « Macky2012 », la coalition regroupant les partis politiques et mouvements ayant soutenu l’actuel président de la République dès le premier tour de la présidentielle de 2012 ! A juste titre, ces souteneurs de la première heure ont souvent fait des sorties fracassantes pour dénoncer leur mise à l’écart dans le partage des gâteaux, prébendes, privilèges, postes ministériels et diverses fonctions électives. Ce au profit d’alliés de la 25ème heure comme les partis de « Benno Bokk Yaakar » (Bby) voire des transhumants venus rejoindre les prairies marron-beige bien après la victoire ! Eh bien, apparemment, les alliés et souteneurs ne sont pas les seuls à ruminer leur colère et leur impression de s’être fait cocufier. Les propres partisans du président Macky Sall, ceux de la première heure, lorsqu’il traversait le désert sous le régime de Wade et que son parti naissant était pestiféré, ceux-là aussi broient du noir et ne trouvent pas de mots assez durs pour fustiger ce qu’ils estiment être « la trahison » du président Macky Sall à leur endroit.
Tout le monde sait, par exemple, que lorsque le président Abdoulaye Wade l’a défénestré de la façon humiliante qu’on sait, l’alors ex-président de l’Assemblée nationale avait bénéficié immédiatement du soutien affectif de trois régions ou départements en particulier : Fatick, dont il était d’ailleurs le maire de la capitale éponyme, Podor et Matam. Sans compter la grande banlieue de Dakar qui est un Fouta non pas en miniature mais en plus que grandeur nature. C’est ce qui explique que, sans appareil politique, et même sans parti, il ait pu faire un score plus qu’honorable aux élections locales de 2009 sous la bannière de la coalition « Dekkal Ngor » qui l’avait porté. Et parmi les départements emblématiques où cette coalition avait fait d’excellents scores face à la toute-puissante machine du Pds et de la Cap 21, il y avait celui de Matam, justement, où « Dekkal Ngor », sans moyens, a gagné les communes ou communautés rurales de Oréfondé, Agnam, Bokiladié, Sinthiou Bamambé et Hawré. Avec ces très bons résultats dès la phase éliminatoire, comme diraient les sportifs, confirmés par des victoires éclatantes aux deux tours de l’élection présidentielle, le département de Matam était donc en droit de s’attendre à récolter les fruits de son engagement prématuré en termes de postes ministériels, de directions générales de sociétés nationales ou de présidences de conseils d’administration. Trois ans et demi après la victoire euphorique du « Yoonu yokkuté » devenu entretemps « Pse » (Plan Sénégal Emergent), le compte n’y est pas vraiment en terme de retombées. Ou de retour sur investissement, diraient les capitalistes ! Certes, pour ce qui est des présidences de conseils d’administrations, il est servi et bien servi avec 11 Pca. Mais, et c’est le grand hic que déplorent les cadres du département, « ces postes concernent des sociétés ou agences secondaires à l’image de la Grande muraille verte et ne permettent même pas à leurs titulaires d’avoir les moyens d’aller faire la politique au Fouta ! ». Certes, le Pca le plus balèze du Sénégal en terme de rémunération, celui de l’Artp, est originaire de Matam, mais de la région, pas du département ! Pour ce qui est des directions générales de sociétés nationales, c’est carrément l’indigence : une seule direction, celle de l’Ita (Institut de technologie alimentaire) qui, on en conviendra, n’est pas à proprement parler ce qu’on peut appeler une grosse boîte. Et encore, font remarquer les grincheux Apr, le titulaire du poste, bien qu’étant originaire du département de Matam, milite à Thiès. Comme le relève un de nos interlocuteurs, « nous ne dirigeons pas une seule société ayant ne serait-ce qu’un milliard de francs de budget ou pouvant permettre de recruter cinq personnes ». Quant aux postes ministériels, n’en parlons pas. Le département de Matam ne dispose que d’un sous-ministère, celui des Télécommunications, ayant à sa tête Yaya Abdoul Kâne « le ministre de Farba Ngom ». A ce point de leurs récriminations, nos interlocuteurs osent les comparaisons qui tuent : « Certes, le président a gagné à Fatick aux locales ainsi que pendant les deux tours de la présidentielle. Exactement comme nous. Comment se fait-il alors que Fatick ait autant de ministres, de Dg de sociétés et de Pca ? Surtout qu’ils n’ont pas plus d’électeurs que nous. » La seconde comparaison concerne le département rival de Podor qui, bien qu’ayant voté au premier tour pour le président Abdoulaye Wade, dispose pourtant de deux grands ministères que sont l’Intérieur et les Infrastructures sans compter plusieurs directions de sociétés. Comparaison plus mortelle encore : dans le dernier gouvernement du président Abdoulaye Wade, la région (pas le département) de Matam comptait cinq ministres et non des moindres (Kalidou Diallo, Adama Sall, Sada Ndiaye, Diakaria Diaw, etc.) sans compter, disent les « apéristes » frustrés, « le tout-puissant Hassane Bâ ». Or aujourd’hui, dans le gouvernement de Mohamed Dione, à part Yaya Abdoul Kâne, il n’y a que Mamadou Talla qui est du département de Kanel et est considéré plutôt comme étant le ministre de la diaspora. Le département de Kanel qui ne dispose lui aussi que d’une seule direction générale, celle de la Lonase, occupée par Amadou Samba Kane… qui avait battu l’Apr aux deux tours de la présidentielle avant de se rallier à sa bannière. On dira certes que Farba Ngom vaut à lui seul tous les ministres de la République mais quand même !
Sans doute pour corriger un peu les choses, le président de la République vient de nommer Sidy Kane de Thilogne ministre-conseiller, c’est-à-dire aux mêmes fonctions qu’il occupait sous le président Abdoulaye Wade. Ce qui n’est évidemment pas pour réconcilier les « apéristes » de la première heure avec le Président vu que, déjà, le président du conseil départemental de Matam, le sieur Amadou Djibril Diallo, occupait les fonctions de président du conseil départemental du Port de Dakar… jusqu’au lendemain de la chute du président Abdoulaye Wade. Le bienheureux ! Sa traversée du désert aura été assurément de courte durée. La ville la plus importante du département, Ourossogui, étant dirigée par un socialiste et la capitale régionale, Matam, ayant comme maire le transhumant Mamadou Mory Diaw, il ne reste aux « apéristes » authentiques que des miettes… ainsi que leurs yeux pour pleurer. Bref, on pourrait multiplier les exemples à l’envi pour montrer que les cadres « apéristes » du département de Matam, du moins ceux de la première heure, en tout cas avant l’accession au pouvoir, ne sont pas contents. Mais que voulez-vous : à l’heure du partage du gâteau, ceux qui disposent des couteaux les plus longs et les plus aigus prennent toujours les meilleures parts. Tant pis s’ils sont arrivés à table juste au moment de ce partage, après avoir raté l’entrée et le plat de résistance ! Et si les meilleures parts ont déjà été prises, ils peuvent toujours se les faire remettre… sous la menace de leurs longs couteaux. Les premiers attablés n’avaient qu’à bien s’armer et savoir que les promesses des politiciens, eh bien, n’arrangent que ceux qui y croient !
Moustapha BOYE