Le Président Macky Sall a tweeté, le 11 janvier 2023 à 15h 31, une photo sur laquelle il posait, avenant, comme un voyageur dans un aéroport, tenant à la main une valise trolley. L’objectif était de faire la promotion de la préférence nationale, pour dire de manière triviale «le consommer local», en ce mois de janvier qu’il a dédié «mois du consommer local». L’initiative a pu être noble d’autant que le chef de l’Etat a écrit à l’occasion : «Dans le cadre du mois du consommer local, je félicite tous nos producteurs dont Maraz Origins, pour l’excellente qualité des produits, avec le soutien de la Der. Ensemble, achetons sénégalais, soutenons le consommer local.» Le fait de distinguer le producteur Maraz, quelle que soit du reste la qualité de ses produits, constitue une erreur, une faute même, pour ne pas dire un sacrilège. Il apparaît inconvenant qu’un homme politique, de surcroît un chef d’Etat, fasse de la publicité commerciale sous quelque forme que ce soit. On devine le geste spontané, désinvolte, innocent même et totalement désintéressé, mais les conséquences peuvent être graves. D’autres producteurs sénégalais, concurrents de Maraz Origins, peuvent légitimement s’offusquer de cette préférence présidentielle, de ce coup de pouce publicitaire, de la part de quelle égérie ! D’autres maroquiniers ont bénéficié de soutiens de la Der ou d’autres organismes publics et font eux aussi du travail de qualité.
On ne serait pas surpris de découvrir que tous les ministres et autres hauts responsables de l’Etat en arrivent à faire dans le mimétisme et s’imposent la nécessité de s’afficher avec des produits de Maraz Origins. Le Président Sall vient ainsi de faire un précédent dangereux pour l’éthique républicaine et gouvernementale, car il lui sera désormais difficile de sanctionner ou réprimander un ministre ou un haut fonctionnaire qui se prêterait à ce jeu, peut-être même pour des raisons moins nobles. Sur un autre aspect, le président de la République n’aurait plus de raison de décliner la demande d’une autre marque de produits sénégalais, de lui donner un coup de main dans une action ou campagne de promotion commerciale. C’est dire que le geste présidentiel n’a sans doute pas été mesuré, mais il convient de le regretter publiquement et de fermer définitivement la porte à toute récidive. En septembre 2020, le Président Macky Sall avait tenté de faire la promotion du tourisme local en se rendant à la réserve animalière de Fathala, pour poser avec des fauves. L’idée était très bien appréciée, mais certains n’avaient pas pour autant manqué de relever l’insistance douteuse des caméras de la Rts sur la casquette portée par le chef de l’Etat, et qui était frappée de la marque de Fathala. Un risque réel existe quant à l’utilisation des images présidentielles. Qui ne se rappelle pas qu’en 2008, le Président Wade avait été amené à rehausser de sa présence la cérémonie de lancement de travaux d’un programme immobilier privé. Le promoteur avait surfé sur cette caution et placardait les photos à ses expositions, qui suffisaient pour convaincre les compatriotes de la diaspora, qui s’étaient alors rués pour verser d’importantes sommes au projet sans jamais recevoir les clefs des maisons promises.
Cette histoire reste encore le plus gros scandale au Sénégal dans le domaine de la promotion immobilière.
Des adversaires politiques du Président Macky Sall tournent en dérision (et c’est de bonne guerre) la pose pour Maraz Origins, présentant dans les réseaux sociaux la photo comme prémonitoire du moment où le Président Sall prendrait congé du Palais présidentiel en 2024. Le coup de «pub» pourrait du reste, de ce fait, être contre-productif pour la même marque, dans ce sens qu’il pourrait provoquer une certaine répulsion ; les adversaires politiques du Président Sall attacheraient la marque au nom de ce dernier et pourraient refuser d’acheter les produits. C’est sans doute un couteau à double tranchant car la haute cote de popularité pourrait booster les ventes et le désamour pour l’égérie aura l’effet inverse, donc doucher les ventes. Maraz Origins aimerait à coup sûr vendre à ceux qui aiment Macky Sall comme à ceux qui l’aiment moins. On a déjà pu observer au Sénégal, cette situation. La marque de montres, Mathydy, avait fait de Ousmane Sonko son égérie. Le leader du parti Pastef avait eu à poser, mettant en relief, comme un mannequin, un exemplaire de la collection Damel de Mathydy, le 26 mars 2021. Il reviendra sur la scène de shooting publicitaire avec la collection Cheikh Anta Diop de la même marque, le 11 octobre 2022. Les militants et sympathisants du parti Pastef avaient voulu s’approprier la marque, baptisée pompeusement dans les réseaux sociaux «la marque des patriotes». C’était suffisant pour susciter l’ire de nombreux clients qui refusaient dorénavant de porter la marque Mathydy, surtout que leur agent publicitaire préféré se trouvait empêtré dans un scandale sexuel éclaboussant. La maison Mathydy, prise de panique, a été obligée de chercher à rattraper le coup. La marque avait alors tenu à préciser dans un communiqué de presse, qu’elle est «totalement apolitique et le restera car elle est adoptée par des milliers de clients au Sénégal et à l’international, indépendamment de leur opinion politique, de leur croyance religieuse et de leur rang social». On peut dire que le mal était déjà fait et on observe depuis lors que Mathydy ne s’affiche plus aussi fièrement que par le passé. Allez savoir !
Les bons et mauvais coups d’hommes publics, agents publicitaires souvent à leur corps défendant
Il est rare de trouver des chefs d’Etat ou des hommes politiques tout court, se prêter au jeu d’agents commerciaux. Les services de communication et du protocole semblent y veiller systématiquement. On refuserait que l’image de l’homme politique soit détournée à de telles fins. Des expériences ont été observées, par exemple, en France. Arnaud de Montebourg, éphémère ministre de l’Economie, du redressement productif et du numérique en 2014, avait de la peine à se sortir d’une polémique suscitée par l’utilisation, à des fins de promotion commerciale, de son image par une marque française produisant des marinières. Il expliquait s’être volontairement prêté au jeu et de manière totalement désintéressée pour inciter à la promotion des produits français. Aux Etats-Unis d’Amérique, le Président Donald Trump avait poussé la provocation et l’arrogance jusqu’à se faire prendre en photo, assis à son bureau à la Maison Blanche, avec sur la table, des pots de produits alimentaires de la marque Goya ostensiblement disposés. Donald Trump cherchait à toiser son monde, à verser dans le «je-m’en-foutisme», du fait que des membres de sa famille, notamment sa fille, Ivanka, se plaisaient à faire de la réclame commerciale pour la marque Goya. La bravade trumpienne en avait ému du monde, jusque dans le camp de ses farouches partisans du parti républicain.
Certaines têtes couronnées acceptent parfois l’utilisation de leur image ou même jouent des rôles dans des affiches ou spots publicitaires pour la promotion de bonnes causes de portée générale, surtout dans le domaine caritatif ou sur des questions sociales. C’est ainsi, par exemple, que le Président Nicolas Sarkozy avait fait une campagne de lutte contre le Sida, avec une affiche très parlante : «Voteriez-vous pour moi si j’étais séropositif ? C’est le Sida qu’il faut exclure, pas les séropositifs.» La campagne avait fait un carton. La Reine Elisabeth II, poussée par son petit-fils, le Prince Harry, avait, elle aussi, accepté de faire une vidéo pour répliquer au couple Barack et Michelle Obama, dans le cadre des Invictus Games, une initiative sportive du Prince Harry mettant en scène des blessés de guerre.
D’autres chefs d’Etat ont vu leur image utilisée, à leur corps défendant, dans des campagnes publicitaires. Nous-mêmes au journal Le Quotidien, nous avions tourné, en notre faveur, une photo du Président Abdoulaye Wade, tenant entre ses mains un exemplaire de notre journal. L’idée espiègle était de répondre au Président Wade, qui avait organisé une conférence de presse pour s’en prendre spécialement, avec véhémence, à notre journal dont le crime avait été de révéler au public, le scandale de grosses «dépenses extrabudgétaires» pour un montant dépassant 172 milliards de francs. La photo du Président Wade lisant attentivement l’édition révélant le scandale avait été placardée dans les rues avec le slogan : «Pour tout savoir avant tout le monde, faites comme lui.» Cela avait fait mouche !
Il faut dire que «les faits et gestes des présidents, et parfois de leurs femmes ou compagnes, sont scrutés minutieusement par les médias. A tel point que les communicants cherchent parfois à profiter de certaines situations pour mettre en exergue une entreprise et marquer ainsi les inconscients. De nombreuses publicités utilisent les politiques comme icônes publicitaires. Certaines entreprises ou associations surfent sur l’actualité politique, les élections ou encore la vie privée des présidents pour se faire connaître. Les caricatures sont nombreuses et permettent parfois de réaliser le buzz».
La marque de voitures de location Sixt avait proposé de remplacer le scooter de François Hollande, qui prenait ce moyen de déplacement pour rejoindre nuitamment Julie Gayet. Le site de rencontre Ashley Madison a utilisé l’image de présidents pour promouvoir l’adultère, l’agence de communication Mens Com avait ressuscité François Mitterrand, dans une campagne de publicité pour le Tgv. Une photo de l’ancien Président Wade avec Bara Gaye, alors responsable des jeunes de son parti, avait fait fureur sur les réseaux sociaux. Le Président Wade avait chaussé des baskets de la marque Nike. Ces chaussures avaient attiré l’attention. On ne sait pas si le «look» était délibéré ou que la marque américaine a cherché à l’utiliser à son profit, mais le slogan : «Eh oui, les baskets, ça fait «jeune !» avait bien circulé. L’histoire ne dit pas non plus comment l’ancien Président Léopold Sédar Senghor avait été amené à être l’icône de la marque française de parfums «Jehanne Rigaud». Une collection Léopold Sédar Senghor, avec la photo du Président-poète et les couleurs nationales vert-jaune-rouge, avait été commercialisée juste après son départ du pouvoir. La collection semble avoir disparu des rayons depuis lors.
Post scriptum : Du faux pour légitimer la nouvelle «francophilie» de Ousmane Sonko
La sortie de Ousmane Sonko à travers les chaînes France 24 et Radio France internationale (Rfi), le 6 janvier 2023, a fait débat. Le nouvel esprit d’ouverture manifesté à l’endroit de la France par le leader du parti Pastef a suscité des réactions interloquées de nombreuses personnes. Le feu a même pris entre Ousmane Sonko et certains de ses amis activistes qui, non seulement s’étonnent que Ousmane Sonko consente à s’exprimer à travers des médias qu’il a toujours voués aux gémonies, mais aussi ne voudraient accepter, le moins du monde, cette tendance à se «normaliser» ou se «présidentialiser» aux yeux des officiels français. Pour chercher à faire bonne figure ou pour rattraper le coup, les idées ne manquent pas aux «spin doctors» du parti Pastef, au risque d’échafauder les coups les plus tordus.
C’est ainsi qu’un article a été publié le 8 janvier 2023, à travers un site jusqu’ici inconnu du grand public, atlantiactu.com. Le papier, intitulé «Sénégal : le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère des Affaires étrangères français «bénit» un rapprochement de Paris avec Ousmane Sonko», a néanmoins assez circulé à travers les réseaux sociaux. Il s’avère que cet article a été construit sur du faux. En effet, jamais ce centre (Caps), dirigé au Quai d’Orsay par Lafont-Rapnouil, n’a produit un tel document et n’a encore moins eu à apprécier des relations entre Ousmane Sonko et les officiels français. Mieux, interrogés, les diplomates français et des responsables du Caps assurent que le dernier rapport élaboré par le Caps l’a été en 2020, et relativement aux effets potentiels de la crise du Covid-19 sur les pays africains. D’ailleurs, en son temps, le ministère français des Affaires étrangères avait sorti un communiqué pour indiquer que les conclusions du tel rapport ne sauraient engager le gouvernement français, d’autant que le Caps était une structure consultative indépendante.
Atlantiactu.com (du reste le seul média à évoquer le sujet) est identifié comme un site d’informations créé à Dakar par des militants du parti Pastef. Mais le plus sordide est que l’article comporte des extraits du rapport de 2020 (trois ans plus tôt) sur le Covid-19 et qu’on a voulu mettre en perspective avec le contexte de l’entretien de Ousmane Sonko avec les médias publics audiovisuels français. Il s’y ajoute une autre incongruité qui consiste à citer un prétendu Département Afrique qui n’existe pas au Caps et dont aucune des personnes citées dans l’article n’est membre, ne travaille ou ne collabore, d’une façon ou d’une autre, avec le Caps.
En quelque sorte, il s’est agi d’un vulgaire bricolage pour faire croire qu’il y a eu une intelligence ou une connivence entre le Caps et Ousmane Sonko pour inciter ou permettre aux médias de réaliser l’entretien. Ce qui est totalement faux, encore une fois. Au demeurant, est-ce à dire que le subit désir d’être bien vu par la France est si prégnant ou vital pour Ousmane Sonko que son groupe ne reculerait devant aucune forfaiture pour y arriver ?
Par Madiambal Diagne