Macky Sall pense se jouer de notre intelligence

Macky Sall
Macky Sall

Le président Macky Sall a fait face hier à une partie de la presse pour aborder un seul sujet : la date de la présidentielle de 2024 et les modalités d’y aller. Le chef de l’Etat a estimé que le moment était assez sérieux, le contexte assez grave pour ne pas parler de questions partisanes. C’est pour cela d’ailleurs qu’il a refusé de répondre aux questions relatives à son candidat Amadou Ba et à sa coalition Benno bokk yaakaar.
Pourtant, rien que sur la forme de l’interview, on peut se demander si l’heure est réellement grave pour lui pour oublier le parti ou la coalition présidentielle.  En effet, parmi les journalistes qui faisaient face au président, deux sont de sa formation politique, l’Apr : il s’agit du modérateur, Racine Talla et du directeur général du Soleil, Yaxam Mbaye. Si c’est la Rts qui a organisé l’interview, comme le dit Racine Talla (Pourquoi la Rts devrait-elle organiser l’interview à la place de la communication du palais ?), la chaîne publique compte suffisamment de ressources humaines compétentes et apolitiques pour jouer au modérateur, si tant est qu’il y avait un besoin de modération.  
Il en est de même du quotidien Le Soleil qui dispose de journalistes chevronnés pour mener à bien la tâche et surtout poser directement les questions en évitant toutes les précautions de politesse prises par Yaxam Mbaye. Cette mauvaise sélection a fait qu’à un moment de l’interview, le président avait en face de lui, non pas un journaliste, mais un militant de son parti qui demandait à être rassuré par le chef de son camp.
 « Est-ce que votre famille politique, vos partisans peuvent être sûrs que le président Macky Sall qu’ils ont connu et qui les a protégés et accompagnés est toujours là et qu’ils n’ont rien à craindre ? », demande Yaxam Mbaye. Une question qu’un journaliste non partisan n’aurait jamais posée ! Rien que cette sélection pousse donc à s’interroger sur la sincérité du président Macky Sall quant à la gravité de l’heure.
Sur le fonds, Macky Sall soutient qu’il va partir le 2 avril prochain à l’expiration de son mandat. Mais au lieu de remettre le pouvoir au peuple souverain qui le lui avait confié en 2012, il décide de le placer entre les mains de gens qu’il a lui-même choisis pour un ‘’dialogue’’. En lieu et place d’une élection qui permet aux citoyens de décider à qui confier le pays, c’est un groupe d’individus qui vont se réunir au palais pour dire qui sera le président de la République après Macky Sall, le temps que le scrutin, enfin, se tienne. En voilà une étrange manière du chef de l’Etat de remercier le peuple, après tant d’années.

A la recherche d’une brèche
Mais le plus grave dans son intervention, c’est surtout l’un des probables résultats attendus du ‘’dialogue’’. Selon Macky Sall, il est possible d’avoir une élection plus inclusive, si les politiques trouvent un consensus. Et même si les candidats et ceux qui se disent spoliés sont invités à la table, Macky Sall pense que les voix les plus déterminantes sont celles des partis politiques. S’ils parviennent à s’entendre, il est possible que d’autres prétendants puissent participer à la présidentielle.
Et depuis hier, la question revient sans cesse : que fait-on alors de cette liste définitivement publiée par le Conseil constitutionnel ? Est-il envisageable une seconde que le chef de l’Etat invite les acteurs politiques à ignorer royalement la décision du Conseil pour statuer à sa place ? Sur quelle base juridique ? Selon quelle légitimité ? Son décret et sa loi rejetés, que lui reste-t-il encore si ce n’est de fixer une date pour une élection dans les meilleurs délais ?
A la place, Macky Sall parle de pardon, de dialogue, d’amnistie. Après avoir semé les graines du chaos en voulant enterrer un opposant politique, en refusant d’écouter l’opposition sur le processus électoral et en réprimant toute forme de contestation, il vient aujourd’hui se soucier d’une élection apaisée, inclusive. Il veut se poser en rassembleur désintéressé qui ne se soucie que de l’image du Sénégal.
Le revirement de 2021
Ainsi, il fait semblant d’ignorer que le problème fondamental ici, c’est lui. Parce qu’il a décidé de partir, Macky Sall pense qu’il est au-dessus de la mêlée et qu’il peut jouer le rôle d’arbitre, de sage. Alors qu’en vérité, il est au cœur de la mêlée. C’est lui-même le problème en ce sens qu’il refuse d’organiser l’élection comme prévu et de quitter le poste comme prévu. C’est sa légitimité même qui se pose. Mais l’homme semble n’avoir pas compris, et il est en train de se prévaloir de sa propre turpitude.
En mars 2021, il avait dit à la jeunesse : « je vous ai compris ». Le revirement a été spectaculaire avec un régime autoritaire. En 2024, il dit se soumettre au Conseil Constitutionnel promettant de ‘’faire pleinement exécuter’’ sa décision. Aujourd’hui, il pose les jalons d’un autre revirement, il cherche une brèche. Il espère ainsi se jouer de notre intelligence ! Mais en réalité, il joue avec sa propre intelligence, il ne se rend pas compte qu’il est déjà pris dans son piège.  

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