Il nous a vendus, à grand renfort de publicité médiatique, sa camelote de « Conviction républicaine ». Un livre qui est un condensé des discours du prince, écrit par des conseillers dont certains souffrent du sentiment de «ne servir à rien » face au rouleau compresseur d’un président, que d’ex collaborateurs présentent, comme quelqu’un qui est convaincu de détenir la vérité absolue. Qui se suffit à lui-même. Plus enclin à s’écouter qu’à tendre l’oreille à la nuance, la remise en question, l’objection, voire, à la dérision. Il serait allergique à la contradiction et ne supporte pas ceux ou celles qui lui opposeraient un avis contraire à ses vérités gravées dans le marbre.
CE QU’IL DIT….
Des convictions républicaines, il en a, ou pour parler vrai, il en a clamées. Le président dit dans l’introduction du livre, « incarner la République et le renouveau » dont il « s’efforce chaque jour d’être l’adepte et l’artisan intransigeant dans l’action ». Et cela, « par conviction républicaine ». Tout, dit-il, dans son parcours d’élève, d’étudiant et de commis de l’Etat, conforte l’idée que « rien mieux que la République ne sanctionne l’effort dans la durée. C’est que la res publica a cette faculté de rendre la chose publique accessible à toutes et à tous du fait du mérite de chacune et de chacun. Parce qu’elle récompense le mérite plutôt que l’origine et le rang social ».
Son Excellence a aussi avancé dans « Conviction républicaine », « qu’être juste avec soi, c’est tout d’abord être juste avec tous les autres (personnes physiques et morales) dans la parole et dans les actes ». Et de conclure : « c’est cette conviction qui sous-tend, plus qu’une autre, mon discours et mon action à la tête de l’Etat ».
La conviction républicaine est-elle de l’ordre de la parole ou de l’acte ? Nous pensons qu’elle relève du second, puisque la politique est essentiellement action, reliée à la parole, selon les mots pleins de sens de la philosophe Hannah Arendt. C’est dans le feu de l’action que l’on peut juger de la posture républicaine ou non de celui ou celle qui le prétend.
Nous marchons sur les traces de Victor Hugo pour adresser au président Sall cette question : Qui de celui qui veut faire aimer la République ou de celui qui veut la faire haïr, est le vrai républicain ? Nous craignons que le chef de l’Etat soit dans le second cas de figure, à force d’agresser les libertés publiques.
…CE QU’IL FAIT
Notre République est mutilée, amputée, chahutée…avec ses libertés fondamentales (ou droits fondamentaux) malmenées, comme celle d’opiner, de marquer son adhésion, ou surtout son désaccord par rapport à une gouvernance hasardeuse ou une question d’enjeu national. Combien de marches interdites, parfois pour des raisons obscures ? Combien de citoyens sont pris à partie – lorsqu’ils veulent, contre vents et marrées, faire valoir leur droit à manifester – par des policiers ou gendarmes prompts à obéir aux ordres venus de la hiérarchie ? Il y a même des espaces et lieux interdits à la manifestation contestataire, matérialisés par l’insensé arrêté Ousmane Ngom, du nom d’un transhumant de luxe sous le parapluie du président Sall.
Le chef de l’Etat a aussi décidé de restreindre l’espace de liberté des réseaux aux fins de contenir certaines dérives portant les stigmates d’une société malade de ses élites et orpheline de repères.
Gare à tout discours qui ne va pas dans le sens de ce que pensent les tenants du pouvoir, pour courir le risque d’être taxé : « opposant », « ennemi de la République » ou « contempteur du chef de l’Etat ». Ou « politicien », lorsque vous marchez aux côtés d’une opposition qui exige le respect des libertés fondamentales. Ils assimileront à des « attaques » toute parole qui tentera de relever les incohérences d’une gestion présidentielle. Et comme des chiens enragés, ils se jetteront, toutes griffes dehors – parfois avec un brin d’hypocrisie – sur celui ou celle qui a osé « offenser » le prince. Ce ne sont pas Y EN A MARRE et Seydi Gassama que Macky Sall veut réduire au silence, qui nous démentiront.
C’est donc un secret de Polichinelle d’affirmer que la République est prise en traite et jetée par terre, au nom d’une « conviction républicaine » qui masque mal l’aversion pour les valeurs démocratiques opposées aux choix politiques du Léviathan. Deux poids, deux mesures !
Le président Sall dit que la «res publica a cette faculté de rendre la chose publique accessible à toutes et à tous du fait du mérite de chacune et de chacun. Parce qu’elle récompense le mérite plutôt que l’origine et le rang social ». Cette parole a-t-elle une emprise sur la réalité sociale ? Oui, dans une certaine mesure, puisqu’il y a des citoyens qui exercent des responsabilités publiques du fait de leur mérite. Mais cette denrée est en passe de devenir rare dans un pays où la pratique politique devient une profession qui nourrit son homme. Et cela ne nécessite aucune compétence pour se voir confier des responsabilités, si l’on détient la carte du parti aux affaires.
LOGIQUES PARTISANNE ET COMMUNAUTAIRE
Cette pratique, malheureusement, est venue corrompre cet équilibre social, en faisant prévaloir des logiques partisane et communautaire. Désormais la carte du parti et l’appartenance à une communauté bien déterminée sont des sésames qui ouvrent toutes les portes, en faisant sauter le verrou du mérite. Quid de la justice sociale ? Nous sommes tous et toutes, fils ou filles de la République, et avons choisi, soit de militer dans un parti, soit d’être apolitique (au sens de la politique partisane). Tout en se mettant à son service. Doit-on alors souffrir de nos choix, comme ces Directeurs de sociétés nationales à qui le président a demandé de battre campagne, conformément à la directive du jeudi 7 février 2013 : « Perdre les élections dans sa localité, c’est perdre son poste de DG ». Ajouter à cela, le fait que le chef de l’Etat livre à la justice des pilleurs de deniers publics proches de l’opposition, tout en mettant sous le coude les dossiers de ceux appartenant à l’APR, au camp des alliés, y compris le « bétail » politique (transhumants) toujours à la recherche de prairies prometteuses. Pourtant, c’est le premier des Sénégalais qui déclare dans son livre qu’« être juste avec soi, c’est tout d’abord être juste avec tous les autres (personnes physiques et morales) dans la parole et dans les actes».
Que vaut cette parole, face à une injustice flagrante ? Que vaut cette déclaration lorsqu’on dénie à l’autre sa capacité et son droit à être différent ? A penser autrement ? A faire des choix qui parfois menacent nos intérêts ? Visiblement la parole présidentielle est condamnée à l’errance, incapable de se poser pour cerner les contours d’une réalité tangible, parfois qui nous interpelle de manière tragique. En somme, la parole du président a perdu toute sa charge performative à force de se liquéfier sous la grisaille d’un quotidien qu’aucune feinte politicienne, aussi exquise soit-elle, ne peut contourner. Il est là, imposant et se conjugue dans un présent qui emprunte à l’éternité : le coût du loyer frise l’indécence face à des propriétaires de plus en plus boulimiques et un Etat démissionnaire ; le casse-tête de la dépense quotidienne a fini de transformer les pères et mères de famille en magiciens ; les prix de certaines denrées flambent sous les caprices d’un marché déréglé. Sans compter la cherté des frais de scolarité des enfants, le transport, la prise en charge sanitaire etc. Cette réalité ne saurait être voilée par un discours qui met plus l’accent sur les réalisations d’infrastructures (point fort de la gestion de Macky) que sur le capital humain.
VOUS AVEZ DIT « CONVICTION » …
Le cœur de notre réflexion, c’est la notion de « conviction » que nous voulons interroger, en la reliant au profil psychologique du président, pour comprendre les ressorts d’un comportement qui laisse peu de place à la réfutation. Et met à nu ce besoin non dissimilé et quasi obsessionnel d’un chef d’Etat, de montrer l’étendue de ses pouvoirs face à toute personne s’inscrivant dans l’altérité.
Le Larousse définit la notion de conviction comme l’« état d’esprit de quelqu’un qui croit fermement à la vérité de ce qu’il pense ; certitude ».
Visiblement le souci premier du président Sall en « écrivant » ce livre, est de partager avec le public sa « Conviction républicaine ». L’empathie dans ce cas de figure, est-elle possible ? La parole ensoleillée ne fera pas tarir l’océan des « convictions » qui se déploie dans une temporalité inamovible, synonyme d’éternité. Puisqu’en matière de conviction, rien ne vient ébranler nos certitudes. Par conséquent, elle ne se dit pas, mais se constate ou se montre. C’est pourquoi, faire part de sa conviction devient suspect, comme si vous avez atteint le point culminant du questionnement, lequel est travaillé par une réponse qui se situe entre l’hypothèse (vérité provisoire) et le doute.
Le président se veut alors dominant, en titillant le sommet de ce que l’humain peut savoir au sujet de la République. Sa conviction républicaine le plonge dans une sorte de quiétude qui l’isole de l’apport extérieur, des rencontres enrichissantes. N’allez surtout pas lui dire qu’une autre République est possible, dans sa forme plus élaborée que la sienne. Il s’est déjà fait une religion, et ne quittera, pour rien au monde, le lit douillet de la certitude qui soigne contre les courbatures et les contorsions du doute et de la remise en cause. Il ne se fera pas le plaisir de suspendre son jugement, le temps de poser un regard amusé sur les mirages des apparences, comme ces philosophes de l’Antiquité.
Non, son parcours d’élève, d’étudiant et de commis de l’Etat, lui montre qu’un autre chemin est impossible. Surtout pas de celui de l’opinion qui est flexible, s’adapte à l’environnement hostile des contingences.
Il est écrit sur le dos écaillé du poisson-chat : « Ici s’arrête le voyage cogitatif !» La conviction donne un coup d’arrêt au mouvement, à l’épreuve insupportable du doute, décrète la mort de l’esprit et clôt l’infini champ des interprétations. C’est en cela qu’elle peut être porteuse de violence. Il est difficile de voir l’autre s’opposer à mes convictions, à ma vérité. Et c’est là que réside la source de certaines dérives « républicaines », secrétées par des despotes éclairés. Cette façon d’appréhender le monde avec des œillères, explique-t-elle le bras de fer du président Sall avec son opposition ? Impossible de nouer le fil du dialogue avec ses adversaires qui, à leur tour, sont convaincus d’avoir toujours raison face à un président qu’ils peignent en noir. La communication violente du chef de l’Etat (lexique emprunté à la lutte et à la jungle) et celle de son opposition (discours musclé, va-t-en-guerre) font écho au choc des convictions qui ne donnent aucune chance à une rencontre constructive.
D’ailleurs, la plupart des crimes de masse, comme le génocide, les attentats et les guerres, porte l’empreinte des convictions.
DES CONVICTIONS SAINES
Mais il existe aussi des convictions saines, celles qui font bouger les lignes : lutter pour une justice sociale, combattre le mal, les brimades etc. Le héros, ici, n’est nullement en quête de reconnaissance, il n’affiche aucun culte de la personnalité. Au contraire, il sait se faire discret, en s’effaçant face aux grandes œuvres qui portent sa signature. Il se met au service de son peuple sans songer à se servir. Le héros a une haute idée de la République. Il ne se retranche pas derrière le confort d’une loi ou arrêté absurde pour donner un coup de frein à l’évolution des droits publics. Nous avons choisi la République, advienne que pourra !
BACARY DOMINGO MANE