Des violations les plus flagrantes et les plus intenses du domaine public maritime, notamment dans le département de Dakar. C’est ce que dénonce une étude intitulée « Le domaine public maritime de Dakar : élites, pouvoir et impunité ».
« À se promener sur le littoral, tout le monde se rendra compte de l’occupation massive du domaine public maritime (DPM) le long des côtes, dans toute la presqu’île du Cap-Vert. Ce phénomène s’est accéléré de façon remarquable, depuis quelques années, et est lié à la boulimie foncière qui s’est emparée des élites politiques, administratives et religieuses depuis un demi-siècle », écrivent les auteurs de l’étude sur « Le domaine public maritime de Dakar : élites, pouvoir, et impunité » dont l’objectif est d’attirer l’attention générale sur la gravité des assauts répétés que l’on a fait subir au domaine public maritime (DPM) de la presqu’île du Cap-Vert, génération après génération.
« Nous avons atteint la côte d’alerte depuis belle lurette », préviennent-ils. « Le spécialiste en gestion du contentieux aérien et maritime, Mamadou Aliou Diallo, le reporter et chroniqueur au « Politicien », Pape Samba Kane, et le journaliste Jacques Habib Sy notent qu’à partir de 2000, avec la chute de l’ancien régime socialiste et l’arrivée aux affaires du pouvoir libéral, les nouveaux conquérants du DPM n’ont pas fait dans la dentelle.
Ainsi, très vite, des projets d’un gigantisme inapproprié sont sortis de terre et ont été imposés à des fins « d’embellissement » et de préservation de la mobilité urbaine, ce casse-tête quotidien des automobilistes dakarois et de sa banlieue surpeuplée.
« Les anciennes et les nouvelles élites politiques et économiques particulièrement gourmandes de terres, encouragées dans leur boulimie foncière par un État laxiste à souhait, se taillent rapidement, au cœur même des zones les plus convoitées du DPM dakarois, des terrains de 1 000 m2 en moyenne et y érigent des villas dignes de Saint-Tropez ou de Beverley Hill », dénoncent-ils.
« Nous avons atteint la côte d’alerte depuis belle lurette »
Cette ambiance de ruée vers l’or brun (le foncier maritime) n’est évidemment pas propice au respect des lois et règlements et quasiment toutes les occupations de terrains sur le DPM occidental et oriental sont sujettes à caution, notamment celles faites dans le sillage des travaux de l’Agence nationale de l’organisation de la conférence islamique (Anoci).
Apparemment, selon le rapport, des porteurs de projet ayant eu du mal, en des circonstances normales, à trouver les autorisations nécessaires, se sont engouffrés dans la brèche des urgences des décideurs publics pour obtenir les sésames nécessaires.
Dans ces conditions, dit-on, il y a lieu de s’inquiéter de la sécurité des bâtiments et autres lieux d’habitation construits sur la façade maritime, trop près de la mer, ainsi que celle des personnes les occupant. Il faut compter parmi ces bâtiments les infrastructures routières et les ouvrages fonctionnels, ainsi que les hôtels et cliniques construits ou encore en construction dans le cadre de la tenue au Sénégal du Sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) en avril 2008.
Il y a bien sûr des risques induits par l’avancée de la mer, les séismes, les glissements de terrain et le réchauffement climatique sur le littoral dakarois. Un tabloïde souligne que l’urbanisation inconsidérée de cet espace est un facteur aggravant pour ces risques.
Les mêmes craintes sont relayées par des architectes locaux qui soutiennent que les arguments selon lesquels ces constructions sur les falaises constitueraient des facteurs de stabilisation de la roche et contribueraient à stopper ou ralentir l’érosion des côtes ne sont pas recevables. « Ils les voient plutôt comme des facteurs aggravants et invitent les autorités au réalisme en ayant recours aux techniques éprouvées en matière de protection côtière. Selon eux, les vibrations subies par les côtes du fait de la multiplication de gros chantiers qui vont chercher des emprises à des profondeurs incertaines fragilisent la roche », relève-t-on.
Les deux nouvelles voies de la corniche où la circulation à grande vitesse est devenue la norme, ne contribuent pas, non plus, de leur point de vue, à stabiliser les côtes. En tout état de cause, ils en appellent au respect des lois organisant l’occupation du DPM.
Occupation massive et illégale du littoral dans la presqu’ile du Cap-Vert
L’étude souligne que l’occupation massive et illégale du littoral dans la presqu’ile du Cap-Vert n’est pas une affaire nouvelle, mais elle a pris une tournure alarmante, ces dernières années, avec l’avènement de nouvelles élites politiques, économiques et religieuses. Ces trois catégories se retrouvant parfois à travers les mêmes personnes. Les auteurs notent que la corniche de Dakar, qui borde la ville d’est en ouest, est le lieu privilégié de cette mainmise peu soucieuse de légalité, malgré tout un arsenal de codes et de lois, de plans d’aménagement et de directives superbement ignorés par ceux qui sont chargés de les faire respecter : les mêmes coteries, bien évidemment, qui occupent ces espaces destinés à une jouissance collective démocratique respectueuse des normes environnementales et des consignes de sécurité.
« La décision prise par les autorités de l’État, à travers l’Anoci, d’embellir la corniche de Dakar et de construire de nouvelles infrastructures hôtelières sur cette façade maritime de la capitale du Sénégal, a transformé cette précipitation, faite d’initiatives individuelles quelque peu mondaines, en une véritable industrie d’accaparement de cet espace public à des fins privées », pestent-ils.
L’on a vu s’ériger le long de la corniche, en contrebas des falaises, sur les plages, taquinant l’eau, de solides bâtiments d’habitation ou destinés à un usage public comme des hôtels ou des cliniques, et même des écoles privées qui ont l’air de tout sauf de cabines démontables.
Imposants et massifs, indifféremment construits en contrebas de la falaise ou au-dessus d’elle, elles ont pour première particularité de montrer au passant l’opulence de leurs propriétaires pour les résidences individuelles haut de gamme, les complexes résidentiels, les hôtels 5 étoiles, les cliniques pour les grosses bourses, les parcs d’attractions et les clubs privés – certains de ces derniers datant de l’époque coloniale ou étant des survivances entretenues par l’ancien régime et ayant encore, apparemment, de beaux jours devant eux.
Seconde particularité de ces constructions, elles densifient, avec la nouvelle infrastructure routière et ses ouvrages lourds, le mur de béton entre l’océan et la ville, privant ainsi Dakar, une presqu’île étroite, des vents marins qui l’empêchaient d’étouffer de chaleur, relève l’étude.
Les auteurs de l’étude dénoncent une sorte de ruée sur les réserves foncières littorales de l’État par les mêmes classes dirigeantes, à travers les mêmes procédés, aux mêmes fins ou pire. « De fortes présomptions d’opérations financières frauduleuses, notamment de blanchiment d’argent, pèsent sur certaines des constructions immobilières luxueuses qui poussent comme des champignons dans Dakar, en contradiction flagrante avec l’état de pauvreté avancé du pays », regrettent-ils. Ils renseignent sur le peu de cas fait du bien-être des populations riveraines, et donc des questions environnementales qui conditionnent tout développement durable. Ils ont cité, entre autres, Le Lagon I et Le Lagon II.
Les hôtels, eux, sont construits en contrebas de la falaise, avec restaurant sur un ponton s’enfonçant dans la mer². Un mur de clôture allant au-delà des surfaces occupées par les bâtiments protège, et interdit au promeneur l’accès de la plage jouxtant ces établissements qui datent du début des années 60. Le fait accompli fait, ici, office de loi. Avant la construction du mur, dit-on, l’espace dit »Plage des enfants » était timidement fréquenté par le public. « Après, même ceux qui, connaissant la réglementation, insistèrent un temps en passant par la berge finirent par se lasser des brimades et autres remarques des vigiles, sinon des obstacles physiques érigés par les exploitants », a-t-on indiqué.
Il y a aussi le restaurant Le Niani, les clubs exclusivement réservés à une clientèle française (L’Union amicale corse, le Club de bridge, la Fédération sénégalaise (sic) de chasse et de tir, Les Caïmans, le Club multisports de rugby, de pétanque, de tennis, etc.), l’Hôtel des Sirènes, le Savana, le restaurant Terrou Bi et l’hôtel Le Virage, l’hôtel Gorée, l’hôtel Gorée de Mixta, etc.
Diversité faunistique et florale menacée
Il faut aussi noter que le littoral ouest-africain est avant tout un fabuleux conglomérat d’habitats dépositaires d’une biodiversité marine et biologique à la singularité marquée par les récifs coralliens du Cap-Vert, les rarissimes phoques moines, des cétacés de toutes sortes comprenant des dauphins, des orques, des baleines, des lamantins, des hippopotames « marins », des tortues marines menacées d’extinction et les plus grandes concentrations mondiales d’oiseaux d’eau, sans compter des espèces particulières d’algues très riches en protéines, etc.
D’après l’étude, cette grande diversité faunistique et florale est menacée par la pêche industrielle étrangère surtout, qui a pillé outrageusement les ressources halieutiques des pays côtiers, mais aussi par l’absence de repos biologique des espèces menacées (la Mauritanie faisant figure d’exception) par la surexploitation économique qui en résulte. Il y a moins de deux décennies, de nombreuses bandes de requins, de thons et de dauphins pouvaient être très facilement identifiées à partir des côtes.
Boubacar D Balde, urbaniste. Coordonnateur nationale IRAS membre de la conférence des leaders Diomaye président*