Manuel Valls a choisi le communautarisme musulman pour enjeu central de sa confrontation avec Benoît Hamon. Parmi tous les thèmes possibles du second tour d’une primaire présidentielle, il a jugé que c’était celui-là, et aucun autre, qui méritait qu’il lui consacre le plus d’efforts de campagne. Cette stratégie est symptomatique d’un problème profond, grave, dans le rapport que notre société entretient avec l’islam français.
La France de 2017 a un problème de peur et de haine envers sa minorité musulmane. Plus d’un Français sur deux déclare qu’il réagirait mal au mariage de son enfant avec une personne de confession musulmane. Deux Français sur dix croient que la France est en guerre avec l’islam. Deux Français sur dix également jugent que la grande majorité de leurs compatriotes de confession musulmane ne sont pas intégrés et que c’est de leur propre faute. Les trois quarts estiment que l’islam cherche à imposer son mode de fonctionnement aux autres. En outre, quatre Français de confession musulmane sur dix ont déjà été injuriés ou ont subi des remarques blessantes du fait de leur religion, et 13% ont déjà été agressés physiquement du fait de leur religion. (1)
Il existe en France des sympathisants de branches intégristes et obscurantistes de l’islam. Mais ils sont quantitativement marginaux. Il existe des musulmans réfractaires envers les lois de la République. Mais ils sont largement minoritaires. Il existe des recrues françaises chez l’organisation Etat islamique ou chez Al-Qaeda. Mais seul un pourcentage infime de nos compatriotes soutient leur idéologie totalitaire. Tirer argument de ces phénomènes pour diaboliser les Français de confession musulmane est donc objectivement fallacieux. En laissant pourtant le débat public être envahi par des généralisations à l’emporte-pièce sur «l’islam», «les musulmans», «le communautarisme», notre société en arrive à une représentation collective de sa minorité musulmane qui est délirante, c’est-à-dire déconnectée de la réalité : une islamopsychose.
Mettre en doute la compatibilité de l’islam français avec la République est erroné car cet islam n’existe qu’au travers des Français qui vivent cette foi. Or ces derniers adhèrent dans leur écrasante majorité aux valeurs républicaines : plus de 80% sont favorables à l’égalité hommes-femmes et à la laïcité (2). L’idée qu’ils ne veulent pas s’intégrer est fausse : par exemple, un quart de ceux qui sont d’origine maghrébine sont membres d’une association, signe très fort d’intégration dans la société ; et seulement 2% sont membres d’une association religieuse, ce qui invalide la thèse d’une envie majoritaire d’entre-soi confessionnel (3). Asséner que les Français de confession musulmane ne peuvent pas s’intégrer est également un mensonge : environ les trois quarts sont déjà soit assimilés, soit intégrés.
Quant à la phrase «La communauté musulmane doit se désolidariser des attentats», elle constitue une infamie. Elle signifie en effet que tout musulman est présumé coupable de solidarité avec le terrorisme jusqu’à preuve du contraire. Au demeurant, après chaque attentat, il y a avalanche de messages de Français de confession musulmane sur les réseaux sociaux pour dire «Pas en mon nom», «Pas mon islam», et ainsi de suite. Cela n’empêche pourtant pas diverses personnalités publiques, à chaque fois, de regretter d’un ton solennel qu’ils «ne se désolidarisent pas assez».
Lutter contre les organisations terroristes jihadistes est une chose. Laisser notre société verser dans la diabolisation de sa minorité musulmane en est une autre. Il est grand temps que les politiques publiques traitent le fait que malgré des niveaux de diplôme quasiment identiques, le chômage touche 12% de la population totale mais 30% des Français de confession musulmane (4). Il est grand temps que la laïcité, principe de neutralité spirituelle de l’Etat et de son administration, cesse d’être usurpée par la pseudo-laïcité, principe d’hostilité envers le fait religieux musulman dans l’espace public. Il est grand temps que les personnalités qui pratiquent la reductio ad islamum, en attribuant «l’islam» comme cause à mille problèmes, soient systématiquement interrogées par les journalistes sur leurs preuves concrètes à l’appui de pareilles accusations.
Il est grand temps que les médias de référence répondent systématiquement par le fact-checking aux informations fausses et aux préjugés rances propagés sur la minorité musulmane par divers essayistes et éditorialistes. Il est grand temps que nos arènes de débat imposent aux tenants de l’islamopsychose des contradicteurs aptes à déconstruire leurs prêches. Il est grand temps que les islamologues restés dans une approche rigoureusement scientifique du fait religieux musulman surmontent leurs réticences envers l’univers médiatique, pour venir y faire un travail de vulgarisation, de dédiabolisation, sur la réalité de l’islam français et des Français de confession musulmane. Et il est grand temps que les associations de défense des droits humains entrent en mobilisation générale, dans le débat public comme sur le front judiciaire, contre la diabolisation de la minorité musulmane.
La France des valeurs républicaines doit cesser de baisser les yeux et de raser les murs. Elle doit relever la tête pour opposer aux identitaristes, qui sont de dangereux communautaristes, son idéal d’universalisme et de fraternité. La diabolisation des musulmans a assez duré.