Le journaliste et grand-reporter de la Zik Fm, Birahim Touré, a pris sa plume pour « rapporter », indique-t-il, l’analyse de son papa et journaliste émérite, Djadji Touré, fait sur l’esclavagisme en Lybie où des images de vente d’homme ont récemment été filmées et diffusées par une chaîne de télévision américaine.
« Il y a assurément de l’intox dans cette affaire d’esclavage en Libye même si le fond est vrai. Car en vérité, l’Arabe a toujours considéré le Noir comme esclave. Pour comprendre la situation des Noirs dans les pays arabes, et particulièrement en Libye, il convient d’aller au-delà de l’actualité. Il faut voir comment le Noir est perçu dans ces sociétés.
En remontant dans le passé commun des deux peuples, l’Arabe a toujours vu le Noir sous le sceau de préjugés raciaux. Ibn Khaldum, pourtant grand savant, désignait les Noirs par le terme « wahsiyyin » qui veut dire sauvage. Il avait même pensé comme Hegel l’a fait plusieurs siècles après lui que les Noirs sont dépourvus de toute humanité. Dans sa troisième Muquaddima, il écrit: « leurs mœurs sont très proches du comportement des animaux ». Le Noir est donc chosifié dans cette culture.
Aujourd’hui, dans aucun pays arabe, on n’a rompu avec cette image d’homme servile collée au Noir. Pour désigner le Noir, on utilise toujours, l’expression « abd » qui veut dire « esclave ». Si on voit dans les prénoms cette expression, c’est parce que l’Arabe se considère comme « esclave d’Allah ». Dans le cas du noir, on ne parle pas d’esclave d’Allah, mais d’esclaves d’autres humains. Le Noir est resté associé à une catégorie inférieure dans la hiérarchie sociale et par conséquent ne doit être soumis qu’aux activités dures. Dans le discours officiel, ce qui vient de l’Afrique est rapporté à l’esclave. Dans le Munjid, un dictionnaire contemporain, les arachides cultivées en Afrique subsaharienne sont désignées par l’expression « fustuq al-abid », qui veut dire « pistaches d’esclave ».
L’Arabe fait un lien entre la couleur noire de la peau des Noirs et le diable. Quand vous avez une crise d’épilepsie, les Arabes disent: « jaat’hou l’gnawa taâ l’wusfân », ce qui veut dire : les esprits des Noirs viennent encore le posséder », cela est rapporté par Bakary Sambé.
L’adoption de la religion musulmane n’a pas permis de diminuer cette considération. Bakary Sambé dans un article très intéressant rapporte que des Pèlerins sénégalais qui faisaient le hadj avaient demandé à un Saoudien de leur indiquer la tombe de Bilal (le muezzin du Prophète Mahomet) afin qu’ils puissent s’y recueillir. Le Saoudien refusa en disant: « quelque soit le statut religieux d’un Noir, il demeurait « mamlûk », la possession d’un maître.
Le noir dans les pays arabes est dans une misère sociale. C’est cet imaginaire entretenu depuis longtemps dans les pays arabes qui a favorisé la « vente aux enchères » des Noirs dans les marchés aux esclaves. Si cette pratique indigne les Africains noirs, elle ne dit rien aux Arabes et à leurs dirigeants qui ont toujours pensé que le Noir est inférieur et n’a pas forcément droit à être traité humainement.
Les dirigeants libyens qui promettent des enquêtes sont bien informés de la pratique et savent qui sont les dirigeants des marchés aux esclaves. C’est cet imaginaire qu’il faut déconstruire. La déconstruction de cette pensée doit aller de pair avec la « décolonisation » mentale de l’Africain qui est prêt à renier son propre être pour montrer aux autres qu’il est civilisé.
Si l’Africain est traité ainsi, c’est aussi parce qu’il n’est pas fier d’être lui-même. Il est laudateur de ce que les autres sont. Sans ce travail préalable, nos indignations seront vaines. Sous la pression des populations, les chefs d’État font faire des déclarations pour condamner. Mais passé le temps de l’indignation, des Noirs seront encore vendus dans les pays arabes sous les yeux des dirigeants arabes. »