Karim Wade, fils de l’ex-président sénégalais Abdoulaye Wade qui purgeait une peine de six ans de prison pour enrichissement illicite, s’est rendu vendredi au Qatar aussitôt après avoir été libéré sur grâce présidentielle, une mesure alimentant une controverse dans son pays.
Karim Wade, 47 ans, métis – sa mère est Française -, veuf, et père de deux enfants, a remercié ses parents, amis et soutiens et évoqué l’intervention de l’émir du Qatar en faveur de sa libération, dans une déclaration distribuée par sa formation, le Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition).
« Je remercie l’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani qui, par amitié pour moi, n’a cessé d’intervenir pour permettre qu’il soit mis fin à l’injustice que je subis depuis quatre ans. Je lui exprime ma profonde reconnaissance pour sa sollicitude », écrit M. Wade.
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Il souhaitait parcourir le Sénégal pour remercier ceux « qui n’ont jamais douté de (son) innocence ». « Mais, malheureusement, les conditions de ma sortie de prison en ont décidé autrement », soutient-il, sans autres explications.
Selon une source officielle et plusieurs médias sénégalais, Karim Wade, qui était détenu à Dakar, a quitté le Sénégal pour le Qatar à bord d’un jet privé, le site DakarActu précisant qu’il était en compagnie d’un procureur général du Qatar.
Son départ a surpris de nombreux partisans qui avaient commencé à se rassembler aux endroits où il était susceptible d’être conduit après sa libération.
Jusqu’à vendredi soir, aucun détail n’avait pu être obtenu sur les dessous de sa libération, sa grâce et ses déplacements, ainsi que la durée prévue de son séjour au Qatar, alors que son père et sa mère résident actuellement en France.
Le PDS, dont il est membre et que dirige toujours son père, « s’en tient à cette déclaration et n’en fera pas d’autre », a-t-on indiqué à l’AFP. Cette formation l’a désigné comme son candidat et cette décision demeure inchangée.
Karim Wade fut d’abord conseiller, puis un des ministres puissants de son père, Abdoulaye Wade qui a dirigé le Sénégal de 2000 à 2012. Il était surnommé dans son pays « ministre du Ciel et de la Terre », en raison de ses nombreux portefeuilles et prérogatives (Infrastructures, Transport aérien, Coopération internationale, Aménagement du territoire…).
« Il a mangé l’argent du pays »
Placé en détention préventive à Dakar depuis avril 2013, il avait été jugé – avec d’autres co-accusés – et condamné en mars 2015 à six ans de prison ferme et à plus de 210 millions d’euros d’amende pour « enrichissement illicite », ce qu’il a toujours nié. Le verdict a été confirmé en appel en août 2015.
Dans un communiqué publié dans la nuit de jeudi à vendredi par la présidence, le chef de l’Etat Macky Sall a annoncé la grâce accordée à Karim Wade ainsi qu’à deux de ses co-accusés, Ibrahima Aboukhalil dit Bibo Bourgi et Alioune Samba Diassé.
« Cette mesure dispense seulement les condamnés de subir la peine d’emprisonnement restant à courir (…) Les sanctions financières contenues » dans le verdict prononcé en mars 2015 « et la procédure de recouvrement déjà engagée demeurent », a-t-elle précisé.
C’est une « remise partielle de peine » fondée sur « des raisons humanitaires », elle « n’efface pas la condamnation qui figure toujours dans leur casier judiciaire », a insisté devant la presse le ministre de la Justice, Sidiki Kaba.
La libération de Karim Wade sur grâce était attendue depuis que, début juin, Macky Sall, en visite en France, avait évoqué cette éventualité dans un entretien à Radio France Internationale (RFI). Il l’avait de nouveau mentionnée mi-juin devant d’influents chefs religieux musulmans locaux, selon des médias.
Son maintien en détention était toutefois prôné par des organisations de la société civile et certains partis, y compris de la majorité présidentielle, à mesure qu’enflait la rumeur de sa libération.
De nombreux Sénégalais se sont déclarés choqués ou scandalisés par cette libération au mépris, selon certains, de promesses de campagne de Macky Sall qui s’était posé en chantre de la lutte contre la corruption et pour une « gouvernance vertueuse ».
« Karim Wade, il a mangé l’argent du pays » et a été condamné pour cela, « il doit purger sa peine. On ne devrait pas le laisser sortir comme ça, ce n’est pas normal! », a ainsi déploré Massaer Ndiaye, un Dakarois rencontré dans la rue.