Mame Diarra Bousso Diatta, 26 ans, chrétienne. Un mélange de mystère et de mystique la lie à Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, le fondateur du mouridisme. Elle prie Jésus, apprend le Coran, va au Magal de Touba, à celui Porokhane, mais aussi au pèlerinage de Popenguine et à la messe.
L’intimité de sa chambre, dans la demeure familiale, sise aux Parcelles-Assainies de Dakar, révèle le complexe voire l’ambivalence de celle que sa famille surnomme affectueusement «Porokhane». Ici, Islam et Christianisme s’épousent dans une harmonie bouleversante. Une photo de Cheikh Ahmadou Bamba, qui date de «plus de 26 ans», et une autre image du Cheikh plus récente tapissent le pan d’un mur. A droite, au fond de la pièce, un portrait du Christ, mis côte à côte avec celui de Borom-Touba, attire l’attention et ne laisse personne indifférent.
Tout comme l’histoire du nom de baptême de cette étudiante en gestion commerciale. Une histoire étonnante et détonante entre les religions musulmane et catholique.
« Mon histoire, c’est d’abord une affaire entre mon père et Serigne Touba. Il me l’a racontée maintes et maintes fois… …
A 25 ans, mon papa, Jean-Baptiste, Sapeur-pompier de son état, repassait pour une énième fois l’examen du Certificat interarmes (Cia) à Kaolack. Lié d’amitié avec Sellé Seck Mbaye, son collègue et fervent mouride, qui ne cesse jamais de lui conter à longueur de journées les miracles que Mame Borom Touba a eus à faire dans sa vie.Dès le premier jour des épreuves pour le Cia, mon père sentait que la même histoire allait se répéter : il allait encore tout droit vers l’échec. Désemparé, démuni, harcelé de toutes parts par la peur bleue d’une issue malheureuse qui le conduirait à garder; durant toute sa carrière militaire, son statut peu gratifiant d’homme de troupe, mon père voyait le sol se dérober sous ses pieds. Dans un réflexe étrange, mon papa, catholique pratiquant, s’est mis, pendant la pause, à prier vers l’Est, comme le font d’ordinaire les musulmans. Il tendit ses mains vers le ciel et interpella Serigne Touba en ces termes : «Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, je ne vous connais pas, mais tout ce que mon ami m’a dit sur vous, je le crois et le ressens au fond de moi.
Si vous m’aidez à réussir à cet examen, je vous jure que quand la grossesse de ma femme sera à terme, et si c’est un garçon qu’elle mettra au monde, je lui donnerai illico presto votre nom. Si c’est une file, elle se nommera Mame Diarra Bousso, comme votre maman » Le miracle survient : mon papa réussit haut la main à son examen. Il n’en revient pas !
Quelques semaines plus tard, il décide de retourner à Dakar pour s’acquitter de ses obligations familiales. Une fois à la maison, ma mère, alors enceinte de moi, lui explique les visions qu’elle a eues une nuit de pleine lune : « Dans mon rêve, j’ai entendu une voix céleste qui récitait le Coran, un tremblement de terre survient soudainement, et je me suis mise à courir pour chercher un abri… Derrière une porte, une silhouette apparaît et Serigne Touba m’ouvre les bras, et me sauve, moi et mon enfant, de cette hécatombe ».
La coïncidence est troublante, bouleversante : pourquoi Serigne Touba sauve-t-il mon papa, un chrétien, de l’échec et apparaît-il en songe à ma maman ? Mystère ! Deux mois après, ma maman accouche. C’est une fille ! Mon père s’empresse de tenir parole. Le vendredi, il organise un baptême, selon la bonne tradition musulmane. Et le dimanche, il me baptise…à l’Eglise. Il me donnera ce nom si singulier qui ne laissera jamais indifférent : Mame Diarra Bousso Marie Diatta. Mame Diarra comme la valeureuse maman de Serigne Touba et Marie comme la mère de Jésus… « Je suis allée au Magal de Touba, pour la première fois, à l’age de 21 ans » Mon professeur de mathématiques m’interrogeait chaque jour que Dieu fait sur l’origine de mon prénom, car il savait que j’étais une chrétienne.
Mouride et serviteur de Serigne Touba, il se décida un jour à aller voir mon père pour avoir des éclaircissements à ce sujet. Après une demi-heure de tête-à-tête, il sortit de cet entretien convaincu que je dois impérativement me rendre à Touba. Auparavant, mon père entrait souvent dans des colères noires, parce que je n’arrivais pas à me décider pour aller au Magal, et faire une ziarra à la famille de Serigne Touba. C’est mon prof de maths qui va m’inciter à mettre pied dans le berceau du mouridisme. Le jour-J arriva, très fière de mon allure, je m’étais bien habillée pour l’occasion. Mon prof vient me chercher à la maison, et c’est parti pour une bonne dizaine d’heures de route avant d’arriver sur les lieux saints.
Le voyage était agréable, la quête de l’inconnu m’intriguait. Dans ma tête, j’imaginais déjà un « Touba » car, malgré le fait que je le voyais à la télé, je m’étais déjà faite une idée, et une représentation de la chose. Des maisons alignées toutes peintes en blanc qui brillent au soleil, un long minaret doré avec des arabesques peintes en couleur beige-sable, le tout dans une citadelle, propre et bordée de fleurs. Ma surprise fut grande ! Du monde partout et ça grouillait dans tous les sens, des Khassaïdes emplissaient l’atmosphère : Extraordinaire ! C’était plus beau encore que je ne l’imaginais.
Accueillie en princesse par une vieille connaissance de mon professeur, mon initiation aux ablutions commença : il n’est jamais trop tard, je la réussis avec brio, un foulard sur la tête, je pris le chemin de la mosquée pour faire le Ziar. Je pris goût à la chose et je suis revenue deux fois de suite au Magal, accompagnée d’un ami de mon père, un Mbacké-Mbacké, petit-fils de Serigne Touba. Je ne le regretterai jamais. Néanmoins, je n’y suis plus retournée depuis 3 ans… Je ne sais pas pourquoi… En 2005, je suis partie en pèlerinage, à Porokhane, pour mieux m’imprégner de l’oeuvre de ma marraine…
Un jour, l’épouse d’un marabout mouride, qui habite dans mon quartier, aux Parcelles-Assainies de Dakar, fit irruption dans la cour de notre demeure et demande après ma mère : mise au courant de l’origine de mes prénoms, elle tient coûte que coûte à ce que je découvre Porokhane, fief de ma marraine. Ma maman la reçoit, discute avec elle, et donne son consentement pour que j’accompagne la dame à Porokhane. C’était voulu. Au fond de moi, j’aimerais découvrir les merveilles et les bienfaits que ma marraine a apportés aux hommes en général et au peuple sénégalais en particulier. Je fis tous les passages que les pèlerins ont accomplis. J’en suis revenue davantage fière de porter ce nom.
Le jour de la Tamkharit, je me suis mise à prier jusqu’à l’aube. J’apprends aussi le Coran chez des voisins musulmans. N’empêche je pratique régulièrement ma religion chrétienne, car je cois aussi au Christ. Du coup, ma situation n’est pas toujours facile à vivre. Mes prénoms font souvent l’objet de polémiques et de curiosités, à l’école, ils interpellent les curieux, et des questions à n’en plus finir s’en suivent et m’agacent la plupart du temps. A l’Eglise, je préfère qu’on m’appelle Marie, car je ne veux pas faire l’objet d’attraction. A 26 ans je ne suis pas encore mariée, tous les prétendants que j’ai eus auparavant sont des musulmans, sauf un. Mais cela ne me gênera point de me marier avec un musulman ou un chrétien. Peu importe, car je me sens bien avec les deux religions. Je suis un peu des deux… C’est mon histoire ! ».