La passeuse amoureuse a été déclarée coupable, mais dispensée de peine. Béatrice Huret, jugée mardi au tribunal de Boulogne-sur-Mer pour avoir aidé trois Iraniens, dont son amant, Mokhtar, à acheter un bateau et à prendre la mer pour un passage réussi le 11 juin 2016 depuis la plage de Dannes (Pas-de-Calais), est repartie libre. «J’assume mes actes depuis le départ, j’assumerai jusqu’au bout», a-t-elle dit au tribunal.
Cette formatrice en travail social était jugée avec trois autres apprentis passeurs : Laurent C., 42 ans, employé dans le nettoyage, Ghizlane M., 30 ans, équipière dans une chaîne de fast-food, et le migrant iranien Mohammad G., 26 ans, ancien technicien en aéronautique converti au christianisme. Ils risquaient tous dix ans de prison pour «aide au séjour irrégulier en bande organisée».
«En fait, on est une bande de bras cassés», dit Laurent C. à l’audience. L’homme s’accoude à la barre du tribunal comme sur un comptoir. «On voulait sauver les bouches cousues», dit-il. Il était dans la «jungle» de Calais début mars 2016 quand neuf Iraniens se sont cousu la bouche et avaient mené une grève de la faim de vingt-six jours pour protester contre la destruction de la partie sud du bidonville par la préfecture. Trois mois plus tard, cet habitant de Dannes a réussi à faire passer trois Iraniens – dont deux anciens «bouches cousues» – en Angleterre, en les aidant à acheter un bateau à moteur et en leur trouvant une plage de départ, le 11 juin 2016. Dans le bateau, il y avait l’ancien porte-parole des grévistes, un professeur de persan de 35 ans, Mokhtar. Et sur la plage, ce matin-là, Béatrice Huret, 44 ans, amoureuse de lui. Mokhtar vit aujourd’hui à Sheffield et il a obtenu l’asile en Grande-Bretagne. Elle passe le voir tous les quinze jours. Elle a écrit un livre, Calais mon amour, après que le Monde a découvert son histoire : une ancienne militante FN, veuve d’un policier de la police aux frontières, tombée amoureuse d’un migrant et jugée comme passeuse.
«Bande organisée»
A leurs côtés, le reste de la «bande organisée» ne paie pas de mine. Dont Mohammad G., – lui aussi un des «bouches cousues» de la «jungle» –, le seul qui ne comparaît non libre et le seul à s’être enrichi. Il a pris 3 ans de prison, dont 16 mois avec sursis. Il a fait 11 mois de préventive. Enfin, la Calaisienne Ghizlane M., longtemps amoureuse de Mohammad. Elle s’est brouillée avec lui depuis leur arrestation. Elle a pris six mois de prison avec sursis. Habitant à l’époque en face du bidonville, elle était une des rares riveraines à ne pas être hostile aux migrants. Elle a fait passer dans sa voiture, qu’elle avait achetée vaste à dessein, trois Iraniens, en compagnie de sa fille aînée de 8 ans. Elle les cachait dans le coffre, dans le creux prévu pour la roue de secours. Elle était censée en faire passer cinq, c’est ce qui était prévu avec Mohammad, qui devait être le cinquième.
Au quatrième voyage, elle s’est fait pincer. Chez elle, dans une boîte en carton, la police a découvert 16 350 livres britanniques en liquide (environ 18 500 euros). Mohammad a reconnu que l’argent était le fruit du passage de deux des trois voyageurs que Ghizlane croyait faire passer pour rien. Elle ne demandait que le remboursement des frais d’essence et de voyage. Lui avait fait passer gratuitement un copain, mais fait payer deux autres.
«Une relation sérieuse»
Laurent C., que tout le monde appelait «Gianni», était le lien entre eux. C’est lui qui avait demandé à Béatrice de loger Mokhtar et un autre Iranien. L’histoire d’amour, commencée par un regard au moment des «bouches cousues», a démarré en deux jours. Aider à trouver un bateau – payé avec les 1 000 euros envoyés d’Iran par la famille de Mokhtar –, remorquer l’esquif jusqu’à la plage… Elle ne voit pas ce qu’elle aurait pu faire d’autre. «Pour vous, c’est une relation sérieuse ?» demande le président. «Oui, très sérieuse. Si elle continue encore, c’est qu’elle est sérieuse.» Le président : «Vous avez dit que vous aviez agi par amour. L’immunité familiale, ou sentimentale, est susceptible de s’appliquer pour Mokhtar. Mais il y avait deux autres personnes dans le bateau.» Béatrice : «Il y avait six places. Si j’étais passeur, ils auraient été six.»
Le 11 juin, fébrile, elle a cherché toute la journée sur Internet des nouvelles du bateau, jusqu’à cet article qui l’a fait sauter de sa chaise, à 17h44, sur le site du Dailymail : trois Iraniens secourus à bord d’un bateau. Le referait-elle ? Oui, dit-elle, mais on dirait un non. «C’est un miracle qu’ils soient encore vivants. Ils n’ont pas croisé un seul bateau. On n’y croit pas avec le trafic qu’il y a. Une situation comme celle-là, il n’y en aura pas deux fois.» Sur le perron du tribunal, elle a appelé Mokhtar à Sheffield pour lui annoncer la nouvelle, en larmes.