Monsieur le président, c’est avec une profonde sincérité que je me permets de vous écrire pour vous souhaiter une bonne fin de ramadan et une très belle fête de Korité. A travers votre auguste personne, mes voeux sont, aussi, destinés à l’ensemble du peuple sénégalais. Je prie Dieu qu’il couve le Sénégal de Sa Sakhina, raffermisse nos cœurs et apaise toutes les souffrances visibles comme cachées.
Monsieur le président, comme la plupart de mes concitoyens, j’ai vu les images triomphalistes de la police sénégalaise exhibant «le trophée de guerre» qu’a constitué Modou Fall, alias Boy Djinné. Comme des millions de Sénégalais, j’ai écouté le message –j’espère qu’il ne sera pas testamentaire- qu’il vous a adressé : vous Macky Sall et votre ministre de la justice, l’ancien président de la Fédération internationale des Droits de l’Homme, Me Sidiki Kaba.
Vous êtes, Monsieur le président, le chef de la magistrature suprême et le plus légitime d’entre nous tous pour agir et parler en mon nom ; puisque je suis une composante du peuple sénégalais au nom de qui les policiers comme les magistrats posent des actes de souveraineté.
Et j’aimerais que les actes -dégradants et humiliants- qu’ont posés et vont commettre des policiers comme des magistrats – et qui bafouent tous les droits de la personne humaine– ne soient pas fait en mon nom. Moi Babacar Touré Junior, je les désavoue publiquement et me désolidarise de ces actes humiliants.
Monsieur le président, comme tous les voyeurs, j’ai particulièrement suivi ces passages où le maigrichon prisonnier, menottes aux poignets, a été baladé devant les caméras, entouré par une escouade de policiers visiblement heureux d’avoir mis « hors d’état de nuire un dangereux criminel».
Mais, au risque de vous décevoir, Monsieur le président, je refuse de féliciter la police et je ne partage pas la joie béate de certains de mes compatriotes de voir Modou Fall entre les mains des policiers. Je n’ai pas du tout aimé savoir que, de Tambacounda à Dakar, Modou Fall sera seul entre les mains des fonctionnaires.
Et qu’il devra, ensuite, passer des heures de garde à vue –avec ces mêmes hommes de tenue- avant de finir, certainement, en détention préventive pour de longues années ; s’il ne meurt pas mystérieusement en prison comme l’ont été d’illustres –c’est selon- prédécesseurs sur le tableau de chasse des policiers.
Monsieur le président, si je suis inquiet pour ce garçon -que je n’ai jamais rencontré de ma vie-, c’est qu’un précédent analogue est resté gravé dans ma mémoire. Et la suite réservée aux acteurs de ce précédent épisode hante toujours mon sommeil.
J’étais à la caserne Samba Diéry Diallo, en 1998, lorsque Alioune Abatalib Samb, alias Ino, et sa bande y ont été exposés dans les mêmes conditions. En son temps, j’étais très jeune et n’ai rien dit ou fait pour marquer ma désapprobation. Aujourd’hui, 18 ans après, je suis mal à l’aise avec cette scène dont la suite a été dramatique.
Comme Ino, en 1998, c’est un Modou Fall insolant qui nous a été présenté hier à la télé. Comme Ino, il a levé les mains en l’air et fait le V de la victoire, bien qu’entravé et entouré d’hommes en tenue. Comme Ino, il a promis qu’il ne resterait pas en prison éternellement: à cause des conditions inhumaines de détention qui y ont droit de cité.
Et, il n’est nullement besoin que je vous précise, Monsieur le président, que Alioune Abatalib Samb et Abdou Konteh sont sortis entre quatre planches de la prison de Reubeus. Des gens ont passé 10 années en prison parce que, simplement, ils ont, un jour, rencontré et salué Ino ou Alassane Sy, Alex, avant que les juges ne les écoutent et les déclarent innocents de ce qu’on leur reprochait.
Ceux qui leur ont survécu, Monsieur le président, les juges de la dernière session de la Cour d’Assise au Sénégal -en 2008- ont dit qu’«au nom du peuple sénégalais», ils décidaient qu’ils devaient passer le reste de leur vie derrière les barreaux.
Je ne voudrais pas voir Modou Fall, Boy Djinné et ses compagnons, connaître le même sort, injuste. S’il faut préciser ma pensée, j’aimerais vous dire que je crois fermement que Ino et ses camarades ne méritaient pas le sort qui leur a été réservé. Parce que, Ino et sa bande, même s’ils ont volé, parfois sous la menace d’arme et violé une nonne, n’ont jamais tué personne: la peine qui leur a été infligée est disproportionnée.
Au moment où les officiers de police judiciaires, à travers le monde, auditionnent les accusés pour remettre un dossier solide aux magistrats, «la police sénégalaise, Monsieur le président, votre police, pratique encore la torture pour extorquer des aveux à ses suspects» comme l’ont dénoncé, en de nombreuses reprises, les associations de défense des Droits de l’Homme.
Or, c’est connu de tous les assidus des commissariats et brigades de gendarmerie: lorsque la torture interroge, c’est la douleur qui répond. Quand on violente quelqu’un pour avoir des aveux, il ne vous dit que ce que vous avez envie d’entendre afin que la douleur cesse. Monsieur le président, la Constitution sénégalaise que vous avez juré de protéger comme tous les traités internationaux dont le Sénégal est signataire ont aboli de telles pratiques qui sont d’un autre siècle.
Monsieur le président, je suis d’autant plus inquiet pour ce jeune homme que ses droits les plus élémentaires ont été violés dès qu’il a été interpellé par la police. Tous les bons journalistes comme les assidus du droit privé savent que nul ne peut être filmé dans une position dégradante. Dans un Etat de droit -en dehors des Usa qui est un Etat particulier, Monsieur le président, aucun média sérieux ne peut diffuser les images d’un homme entravé.
Or, comme des millions de Sénégalais, j’ai vu défiler -sur des chaines de télé- des images de Modou Fall, ligoté comme la bête à sacrifier sur l’autel de la police. Pour, certainement, laver l’honneur de la police qui s’est sentie humiliée par les nombreuses évasions du jeune homme.
Et, c’est cette police-là, censée protéger nos droits, qui est responsable de cette flagrante violation du droit de Modou Fall à son image; puisque Boy Djinné était sous leur garde.
Pour toutes ces raisons légitimes, Monsieur le président, en guise de Ndéwénel , je vous implore de veiller, personnellement, sur l’intégrité physique, morale et psychique de Boy Djinné. Et de prendre les mesures, toutes les dispositions nécessaires afin que pareille violation du droit à l’image d’un mis en cause -qui se trouve dans une situation dégradante- ne soit plus possible dans ce pays.
Je vous conjure, Monsieur le chef de la magistrature suprême, de mettre les juges à l’aise avec ce dossier pour que, au nom des vices de procédures que j’ai soulevés, ils puissent remettre en liberté le mis en cause et mettre fin à toutes poursuites le concernant. Je vous en serais éternellement reconnaissant.
Babacar Touré
Journaliste-écrivain
Directeur de Publication de Senenews.com