Serigne Saliou, Sokhna Aïda,
Voilà 25 ans maintenant que j’ai fait allégeance à Serigne Béthio Thioune. Depuis lors, j’ai pu observer le Thiant sous différents angles et à travers différentes stations. Mais aujourd’hui, je dois avouer que ce qui se passe dans nos rangs est sans précédent dans l’histoire du Thiant. Même si tous les deux vous vous évertuez à surveiller votre langage en public, ce n’est pas le cas des disciples thiantacone qui sont avec vous et qui, depuis quelques temps, brillent par leur discours haineux, en privé et dans les réseaux sociaux. Avec le recul, cette situation regrettable pousse plus d’un à se poser un certain nombre de questions.
Serigne Béthio Thioune, un héritage qui se désagrège ?
L’héritage de Serigne Béthio serait-il en train de s’effriter ? Rien n’est moins sûr. Mais pour l’instant, même les oiseaux le savent : la famille de Serigne Béthio Thioune est fragmentée en deux blocs qui se regardent avec mépris et hostilité. Ironie du sort. Quand je pense que nous avons toujours clamé que le Thiant était la forme la plus achevée de la dévotion et la voie royale pour accéder au Seigneur Très-Haut, je ne peux m’empêcher d’être triste et perplexe. En effet, comme l’a toujours soutenu Serigne Béthio, les différences et les querelles et conflits qu’elles engendrent existent uniquement à la base de la pyramide spirituelle, mais tout ce qui monte converge. Cela est très vrai. Plus les disciples s’élèvent et s’approchent de Dieu, plus ils se rendent compte qu’ils sont un et indivisibles. Cependant, ces dernières années, tous les gens de ma génération, qui ont assez duré dans le Thiant, ont certainement pu constater une déviation progressive dans les comportements des Thiantacone, ce qui a finalement fini par les installer dans un certain radicalisme et dans des camps selon leurs sensibilités.
Aujourd’hui, rares sont les daara de Serigne Béthio qui ne sont pas scindés en deux groupes, l’un favorable à Serigne Saliou Thioune, l’autre à Sokhna Aïda Diallo. Si, au dernier moment, Sokhna Adja et Sokhna Bator n’avaient pas rejoint Sokhna Aïda, l’on se serait même retrouvé avec quatre camps rivaux. En soi, cette diversité n’est pas le problème, car si elle se fait dans l’unité, elle peut être source de motivation, de rivalité saine, d’émulation, etc. C’est exactement ce que Serigne Béthio cherchait en instituant les Cheikhs. C’est aussi ce qu’il a plus tard fait en confirmant des leaders, comme Serigne Khadim Thioune, Sokhna Aïda, Sokhna Bator et Sokhna Adja, à qui il a rattaché, chacun, un certain nombre de daara.
En vérité, le vrai problème c’est de voir des personnes qui, naguère, partageaient tout (moments de gloire comme d’épreuves), mais qui, je ne sais par quel miracle ou malheur, se retrouvent maintenant à un tel niveau d’inimité que l’on se demande s’ils ont vraiment jamais été ensemble. Cela n’est pas musulman, n’est pas mouride, n’est même pas humain. Le Prophète Mouhamad (PSL) ne partageait pas les idéaux des mécréants mais il était juste et équitable envers tous ses voisins de la Mecque. Malgré toutes les injustices subies, il n’a jamais éprouvé de rancœur envers qui que ce soit parce qu’il savait que ses voisins-là, qu’ils soient bons ou mauvais, étaient tous des créatures de Dieu. C’est cela la réalisation spirituelle, la sainteté.
C’est cet acte de haute portée symbolique et pédagogique que je vois quand je me souviens des évènements de Mbacké où un thiantacone, voulant particulariser son guide, a tenu sur Cheikh Ibrahima FALL des propos qui ont irrité toute la communauté Baay FALL. Aussitôt après, Serigne Béthio a parlé à la radio pour présenter ses excuses au Khalif des Baay Fall et à tous les musulmans. Cela suffisait déjà largement. Mais il ne s’est pas contenté d’excuses publiques ; cette année-là, pour démontrer la sincérité de ses propos et son estime pour le fidèle compagnon de Serigne Touba, il a demandé à tous ses disciples de donner à tous leurs nouveau-nés mâles le nom de Cheikh Ibrahima FALL Quelle noblesse !
La spiritualité, ne rime-t-elle plus avec la bonne conduite ?
Rappelons-nous encore que la spiritualité n’est pas un vain mot ; loin de là. On en parle en termes de « réalisation », d’ « accomplissement », etc., des mots qui suggèrent que le parcours du disciple avec son guide spirituel l’a mené à un certain niveau de connaissance, de compréhension, de longanimité, de dépassement, de maîtrise de soi. Une personne spirituellement réalisée, ou quelqu’un qui s’en approche, est immanquablement quelqu’un qui a atteint un certain degré de politesse légale (yar ak teggin), cette parure des personnes intelligentes et savantes dont Serigne Touba parle dans Nahju:
« elle [la politesse légale] est en vérité la couronne de la noblesse de caractère, celui qui s’en vide … s’est certes dépouillé (de ses parures) et a ruiné sa vie et finira par être détesté des créatures et du Créateur (v. 50).
Cependant, depuis la disparition de Serigne Béthio, jamais la politesse légale n’a autant été mise à rude épreuve. Beaucoup de Thiantacone ne semblent guère s’en soucier. En effet, comment un disciple qui se dit réalisé peut ouvertement dire du mal du fils ou de l’épouse de son guide spirituel ? Comment peut-il penser que de tels propos agréent Serigne Béthio ? C’est de la pure folie. En vérité, les propos et les actes du disciple ne sont que le reflet de son niveau de réalisation spirituelle. En ce moment, ce qui se passe chez nous autres Thiantacones montre que la plupart d’entre nous ont un niveau spirituel bien bas, malgré la quarantaine d’années que Serigne Béthio a consacré à notre éducation! Je suis persuadé que nous valons beaucoup mieux que cela !
L’émotion serait-elle vraiment thiantacone ?
Ce qui me chagrine et me fait surtout peur c’est que la plupart de ces Thiantacones ne sont guidés que par leur passion, une passion aveugle qui leur fait dire ou faire des choses très regrettables. Combien de vidéos ont été mises sur Youtube ou sur WhatsApp pour dénigrer Serigne Saliou Thioune ou Sokhna Aïda ? Des secrets de familles ont été exposés sur la place publique pour faire mal à l’un ou à l’autre. Et, c’est là qu’il nous faut plus que jamais rester très vigilants, car quand l’animosité atteint un certain seuil, l’irréparable peut se produire à tout moment. Plus grave encore, les plaies causées peuvent être si béantes qu’elles ne se cicatriseront jamais.
Le moment est venu de faire preuve d’introspection, de réflexion, des mots qui semblent absents de notre vocabulaire en ces temps qui courent à cause de cette passion aveugle qui est en train de nous emporter, et contre laquelle Serigne Touba nous a pourtant bien mis en garde dans Massaalikal Jinaan :
« Ta passion doit être maitrisée et dirigée par ta raison, mais n’inverse jamais cette formule car alors, tu t’attireras le courroux d’Allah le Très-Haut » (v. 664)
« Le vrai croyant est celui qui est guidé par sa raison, non par sa passion » (v. 665).
Même si la raison n’explique pas tout, retenons, comme le souligne le Coran, que Dieu ne parle point aux gens qui n’en sont pas doués. Et plus nous nous laisserons emporter par nos pulsions négatives, plus notre foi s’érodera, plus nous nous détesterons, plus le fossé se creusera entre nous et plus nous nous écarterons des règles de bonne conduite qui sont le fondement de la spiritualité musulmane. Il serait illusoire et naïf de penser que, là où il se trouve, Serigne Béthio agrée une telle situation, lui qui a toujours insisté sur le tryptique « réflexion, attitude, comportement ». Ne nous avait-il pas toujours mis en garde contre Bara Sow? N’avait-il pas toujours prédit que le malheur pourrait nous tomber dessus si nous ne l’évitions pas ? Mais cela a-t-il empêché des disciples de sa propre cour de le tuer, lui et Ababacar Diagne ? Finalement, qui a envoyé Serigne Béthio en prison si ce ne sont ses propres talibés ? Le voilà, notre problème : l’excès de zèle, la passion aveugle, hier comme aujourd’hui !
Que personne ne s’y trompe, c’est à cause de tout cela que le Khalif général a décidé de « mettre la main » dans les affaires de Serigne Béthio, j’en suis persuadé. Lui-même a dit, justifiant d’une certaine manière la raison pour laquelle il a insisté pour que le Cheikh soit enterré à Touba : « Serigne Béthio m’a confié des choses que je ne révélerai jamais dans ce monde. Je les garderai pour lui jusqu’à ce jour ». Qu’est-ce que Serigne Béthio a confié à Serigne Mountakha qu’il ne nous a pas dit ? Pourquoi de tous les petits-fils de Serigne Touba Cheikh Mountakha est-il le seul à qui Serigne Saliou Mbacké a recommandé Serigne Béthio ? Pourquoi de tous les petits-fils aînés de Serigne Touba Cheikh Mountakha, alors deuxième personnalité de la Mouridiya, est-il le seul a avoir rendu visite à Serigne Béthio pour lui présenter ses condoléances lors du décès du frère de ce dernier ? Ce Serigne Mountakha qui a assisté le « départ » de Serigne Saliou Mbacké et celui de Serigne Béthio !
Chers condisciples, les voilà les grandes questions qui méritent d’être méditées, pour toute personne douée d’intelligence. La foi n’est pas aveugle et Serigne Touba le rappelle bien dans Nahju : « gagner l’estime des gens est la moitié de l’intelligence » (v.133). Et Dieu parle à ceux qui sont doués d’intelligence, capables de lire à travers les événements de la vie. Même si je n’en suis pas un, je crois fermement que Serigne Mountakha, ce guide si sincère, si véridique, si magnanime ne nous veut que du bien. Mais ça, les simples d’esprits ne s’en rendront compte que bien plus tard.
Que faut-il faire ?
Serigne Saliou Thioune,
Vous êtes l’héritier de Serigne Béthio, consacré par la tradition et par le Khalif général des mourides. Tous les Thiantacone, de quelque bord qu’ils se situent, doivent vous reconnaître comme tel. Quant à Sokhna Aïda, je suis persuadé qu’elle n’a jamais aspiré à être guide des Thiantacone et ne refuse pas de s’aligner derrière vous. Elle veut seulement être reconnue comme quelqu’un à qui Serigne Béthio a délégué des responsabilités. Je suis sûr qu’une seule chose a empêché Sokha Aïda, Sokhna Bator et Sokhna Adja de venir vers vous : la crainte de se voir humiliées, rabaissées. En effet, si vous, vous avez toujours tenu des propos courtois et conciliateurs, ce n’est pas le cas pour certaines personnes de votre entourage qui, déjà le jour des funérailles, ont déclenché les hostilités. Je sais aussi que dans le camp de ces dames des personnes ont tenu des propos discourtois.
En vérité, dès les premières heures de la disparition du Cheikh, le climat était si chargé qu’il était très propice à la séparation. Des propos ont fusé de part et d’autre, les esprits se sont braqués et les voies de communication aussitôt se sont bloquées. Ça, c’est l’œuvre du diable qui n’aura de répit que quand il aura divisé les familles, fragmenté les couples, dressé frère contre frère, sœur contre sœur.
Si l’on en est arrivé à une telle situation, je pense, c’est qu’aussitôt après la disparition de Serigne Béthio, personne n’a malheureusement eu le réflexe d’anticiper sur la rupture qui se préparait. En effet, il y a parmi nous, des personnes respectables et respectées par tous. Des personnes crédibles et dignes de confiance auprès de toute la famille de Serigne Béthio (enfants et épouses). Ces personnes auraient pu jouer un rôle décisif de médiateurs afin de tempérer les ardeurs de part et d’autre et de faciliter le rapprochement des deux camps. Mais chacun a pensé qu’il lui fallait rallier un camp ou l’autre, pour ne pas être traité de traitre. Dès lors, la rupture était inévitable.
Aussi, Serigne Saliou Thioune, avez-vous aujourd’hui la lourde responsabilité de refaire ce que le diable a défait, en réunissant la grande famille des Thiantacone, quoique cela vous coûte. Je suis convaincu que ce sera l’un des plus grands actes de leadership de toute votre vie. Aujourd’hui, vous avez le choix entre faire chemin avec ceux qui vous suivent déjà, ou vous arrêter et tendre la main à ceux qui ne vous sont pas encore favorables. La première option est simple et tentante, mais la deuxième est celle que prennent les hommes d’élite. Et je nourris le secret espoir de vous voir parmi ces leaders spirituels transcendants et transformateurs.
L’on dit en leadership que le plus grand défi d’un leader c’est de gagner le cœur des autres parce que c’est là que commence le vrai leadership. De grâce, touchez le cœur de ces dames, parlez-leur avec le cœur comme vous savez si bien le faire, et sans intermédiaire, et elles vous suivront jusqu’au bout du monde. Vous le savez mieux que moi, tout être humain aime être tiré vers le haut, pas vers le bas. En continuant à traiter publiquement Sokhna Aïda de « mbalit » (poubelle), certaines personnes de votre entourage ne s’honorent pas et ne vous honorent guère, car il s’agit, après tout, de l’épouse de votre distingué père. Et les Wolofs le disent bien : « jigeen dañu koy sagal », surtout en ces temps où elles sont durement éprouvées. Ne laissez surtout pas leurs cœurs s’assombrir, car vous les perdrez à jamais. Faites revenir ces dames de cœur et d’engagement et, sous votre leadership, le Thiant repartira de plus belle.
En vérité, aller à la rencontre de ces dames est une démarche qui vous honore parce que conforme à la philosophie du leadership de Serigne Saliou Mbacké (votre vénéré homonyme) qui disait à ce propos :
« Si je me mets devant vous pour vous diriger, je marcherai droit devant, tout en ayant un œil sur vous. Si je vous distance, alors je m’arrêterai pour vous attendre. Si vous tardez à me rejoindre, j’irai à votre rencontre. Si je vous trouve partis, alors je marcherai sur vos pas parce que je ne me séparerai jamais de vous ».
Voilà une belle sentence qui devrait servir de viatique à tout leader !
Serigne Saliou Thioune,
Je vous ai toujours connu comme un homme élégant et serein et je sais que vous avez toutes les capacités pour gérer cette situation pour le plus grand bien de tous les Thiantacone ; surtout de ces nombreux disciples qui ne sont aujourd’hui dans aucun camp parce que déboussolés. Et quand vous aurez réussi ce coup de maître, là où il se trouve, j’en suis sûr, Serigne Béthio se fendra de son incroyable sourire et s’exclamera : « Jërëjëfeti Serigne Saliou ! Le diable a menti, ma famille est enfin réunie».
BSD