Elle était de tous les déplacements sur le terrain, de tous les meetings, en coulisses lors des apparitions à la télévision dont le face à face décisif avec Marine Le Pen. De toutes les interviews du candidat Macron avec les journalistes au QG d’En Marche aussi, un œil sur ses mails, un autre sur son smartphone tout en écoutant chaque réponse du « chef ». Allure juvénile – en perfecto et baskets – Sibeth Ndiaye, 37 ans, dont déjà 15 de militantisme syndicaliste étudiant (à l’UNEF) et politique (au PS), n’est pas une « simple » attachée de presse : elle a été l’un des rouages cruciaux de la campagne En Marche, conseillère écoutée du premier cercle autour du « chef ». Inconnue jusque-là du grand public, Sibeth Ndiaye a crevé l’écran lors de la diffusion du documentaire « Les coulisses d’une victoire » réalisé par Yann L’Henoret et diffusé sur TF1 au lendemain du second tour de la Présidentielle. Gagnant ainsi une inattendue popularité (le nombre de ses abonnés sur Twitter est passé en 24 heures de quelques centaines à près de 28 000), elle qui a toujours préféré « l’ombre à la lumière », en travaillant aux côtés de cadors de la politique de Claude Bartolone à Arnaud Montebourg en passant par Dominique Strauss-Kahn pour terminer dans la troupe des « bébés Macron ». Franco-Sénégalaise (elle a demandé la nationalité française en 2016), elle est née et a grandi à Dakar, a été diplômée à la fac à Paris, d’un DESS en économie de la Santé.
Après une campagne au tempo insensé, cette mère de trois jeunes enfants s’apprête à entrer à l’Elysée où elle pourrait occuper le poste (clé) de responsable de la communication du nouveau chef de l’Etat. Et enchaîner de nouveau sur un rythme effréné. Cela n’effraye pas celle dont le prénom signifie en langue diola « elle a gagné tous les combats. » Interview avec une discrète, déterminée et pragmatique. Sibeth Ndiaye, celle qui murmure à l’oreille du nouveau président, nous parle de son engagement, de ses inspirations, de son couple mixte et de ses enfants.
ELLE. Comment vivez-vous cette soudaine notoriété ?
Sibeth Ndiaye. J’ai toujours préféré l’ombre à la lumière. C’est la raison pour laquelle je travaille pour des personnalités politiques sans désirer moi-même être élue. Cette « notoriété » sera éphémère…
ELLE. En regardant les réactions et commentaires sur vous sur les réseaux sociaux, après la diffusion du documentaire sur TF1, on remarque que votre parcours semble inspirant pour beaucoup de jeunes. En quoi leur parle-t-il tant à votre avis ?
Sibeth Ndiaye. Je ne me suis jamais vécue comme un modèle et cela n’a pas changé après 90 minutes d’un documentaire au demeurant excellent. Si, malgré tout, ce que je fais peut être inspirant pour d’autres en ceci que cela démontre qu’une femme avec des enfants en bas âge peut accéder à des responsabilités et vivre à fond son engagement professionnel, j’en suis heureuse. Je suis aussi très consciente que cela ne serait pas possible sans le soutien de mon mari qui m’a toujours encouragée et a accepté de s’occuper de nos petits. Nos jumelles sont nées en 2010 et notre fils en 2013. Leurs prénoms sont africains et ils portent le nom de famille de leur père français « de souche ». Je souligne cela parce que nous avons toujours considéré important pour nos enfants de vivre dans les deux cultures.
ELLE. Qu’est-ce qui, au fond de vous, vous pousse à vous engager, à vous battre pour vos idées ?
Sibeth Ndiaye. Mon moteur, depuis toujours, c’est le refus de l’injustice. La pire phrase pour moi, c’est « on ne peut pas faire autrement ». Cela a été la raison de mon engagement syndical et de mon choix de militer à Gauche. Je suis « en même temps » (NDLR Clin d’œil à l’expression systématique employée par Emmanuel Macron) quelqu’un de pragmatique. Je veux transformer le réel de manière concrète et pas me contenter de rêver à un monde meilleur qui n’adviendra pas.
ELLE. On peut penser que le parcours de vos parents – votre père, Fara, a fondé le Parti démocratique sénégalais et votre mère, Mireille, d’origine allemande et togolaise, fût une pionnière dans la magistrature à Dakar – a inspiré votre engagement politique et social ?
Sibeth Ndiaye. J’ai grandi dans une famille d’engagés. Mon enfance s’est nourrie du récit de la lutte pour les indépendances à laquelle mes parents, étudiants venus des colonies, ont participé. Ma mère a été un modèle de femme « au travail » avec quatre enfants. En arrivant au Sénégal, elle est devenue la deuxième femme juge du pays. Je garde en tête une anecdote qu’elle me racontait de cette période : elle a commencé à fumer à 26 ans parce que cela faisait plus « masculin » au tribunal … Elle a gravi les échelons jusqu’au plus haut niveau de la magistrature parce qu’elle était compétente. De son côté, mon père aimait à répéter qu’il fallait être la meilleure à l’école pour viser toujours le plus haut possible. Tous deux m’ont inculqué l’amour du travail, la passion de l’égalité et l’envie de me dépasser. Ils sont aujourd’hui décédés mais il n’est pas un jour sans que leurs vies ne me servent, à moi, d’inspiration.