« Je ne suis pas une sainte mais mon enfant était un ange »
Jeanne Gapiya est La présidente de l’Association nationale des séropositifs et malades du Sida au Burundi s’est confiée sur son combat contre VIH/Sida.
La brave dame a milité pour l’accès aux médicaments en Afrique dès l’apparition des premiers traitements.
Cette honorable femme traîne un lourd passé, elle s’est battue contre vents et marrées pour être ce qu’elle est aujourd’hui. Cette maladie a fait des ravages dans sa vie. Après avoir perdu son mari, son bébé, son frère et sa sœur, tous décédés du VIH/Sida, elle a retrouvé l’amour et refondé une famille.
Jeanne Gapiya-Niyonzima est une personne exceptionnelle . Cette pionnière est reconnue pour sa lutte acharnée face au sida, première femme à avoir publiquement révélé son statut au Burundi, considère chaque fois comme une victoire sur le virus.
C’est en 1988, lorsqu’elle amène son bébé d’un an, constamment malade, chez le médecin, que cette jeune mère apprend qu’elle est « certainement séropositive ».
« Le médecin a dit que comme mon enfant était séropositif, je devais l’être aussi, mais il ne m’a pas dépistée », raconte Gapiya.
Un test de dépistage du VIH qu’elle ne fera que cinq ans plus tard, étonnée d’être encore en vie alors qu’on lui a donné « deux ans à vivre au maximum » et pensant qu’il y a peut-être eu une erreur, mais qui confirmera le diagnostic du médecin.
A l’époque où on lui ‘révèle’ sa séropositivité, Gapiya est enceinte de son deuxième enfant. Le médecin lui conseille alors d’interrompre sa grossesse, pourtant très avancée. « La parole d’un médecin étant parole d’évangile », elle s’y résout.
« C’est une décision que je regrette encore aujourd’hui, car je me dis que mon deuxième enfant aurait pu avoir plus de chances de ne pas être infecté, comme c’est de plus en plus souvent le cas [grâce aux programmes de prévention de la transmission du virus de la mère à l’enfant] », dit Gapiya.
L’homme qu’elle a épousé deux auparavant, le père de ses enfants, est aussi séropositif.
Si leur infection au VIH est un « coup de malchance », préfère penser Gapiya, en revanche celle de leur premier enfant est le résultat d’un manque d’information.
« Mon mari avait développé deux fois le zona », se souvient-elle. « Deux zona c’est une indication, si je disposais à l’époque des informations que j’ai maintenant… »
Le zona ou herpès zoster est une maladie infectieuse qui se manifeste sous forme de douleurs nerveuses et d’éruptions cutanées. Il survient généralement chez les personnes dont le système immunitaire est affaibli, comme les patients infectés au VIH, ou chez les personnes âgées.
Pour son bébé et pour son mari, cette jeune femme énergique, sportive accomplie, férue de basket et de lancer de disque, décide de se battre.
« Que je meure ce n’était pas un problème », dit Gapiya. « Mon objectif était seulement de ne pas mourir avant mon bébé pour l’assister jusqu’à son dernier souffle. En même temps en tant qu’épouse, j’avais le devoir de m’accrocher pour mon mari ».
Mais lorsque son enfant décède à l’âge de 18 mois, suivi un an plus tard par son mari, tout s’effondre.
« Je me disais : que me reste-t-il pour continuer à lutter ? », se souvient-elle. « J’avais rempli mon devoir, il ne me rester qu’à prier pour partir avant d’être très malade ».
Pourtant elle doit encore endurer la mort de sa soeur, emportée par le virus en 1990, tout comme l’un de ses frères deux ans plus tard.
« Je ne suis pas une sainte mais mon enfant était un ange »
C’est sa famille, notamment ses nièces, qui l’aide peu à peu à remonter la pente. Jusqu’à ce 1er décembre 1995, où son combat va prendre définitivement une nouvelle dimension.
Alors qu’elle participe à une messe donnée à l’occasion de la journée internationale de lutte contre le sida dans la cathédrale Regina Mundi de Bujumbura, la capitale, l’appel à la prière lancé par le prêtre pour « avoir de la compassion pour les malades du sida, car ils ont pêché » provoque le déclic.
Elle se lève et s’adresse à l’assistance. « Je suis fidèle et je suis séropositive, qui êtes-vous pour dire que j’ai pêché ? ».
Ce jour-là, Gapiya est devenue la première femme à oser révéler publiquement sa séropositivité au Burundi.
« Je ne suis pas une sainte mais mon enfant était un ange, pourtant il était parmi les gens que l’on condamnait parce qu’il était mort du sida », explique-t-elle aujourd’hui. « Penser à mon enfant m’a donné le courage de réagir ».
A partir de ce moment, tout s’enchaîne. Elle quitte son emploi de gestionnaire dans une pharmacie, poste qu’elle occupait depuis neuf ans, pour se consacrer entièrement aux activités de son Association nationale de soutien aux séropositifs et aux sidéens, l’ANSS, créée deux ans plus tôt, et qui est aujourd’hui régulièrement citée comme un modèle de la lutte contre le sida au Burundi.
Suivie par quelques autres personnes infectées au VIH que son courage a décidé à sortir de l’ombre, Gapiya décide de « croire en la vie » et de « prévenir les autres ». A la télévision, dans les écoles, partout où elles peuvent, ces quelques personnes témoignent, encouragent au dépistage volontaire et au changement de comportement.
En 95, il y a encore très peu de centres de dépistage au Burundi. Surtout, l’annonce des résultats du test se fait sans aucun accompagnement psychologique du patient, une « brutalité » dont Gapiya et beaucoup d’autres ont été victimes et qu’ils veulent éviter aux autres.
L’ANSS renforce donc ses activités de soutien aux personnes vivant avec le VIH, pour accompagner le dépistage mais aussi tout simplement pour créer un espace de dialogue, car selon Gapiya, « avec cette maladie il n’y a rien de plus grave que de garder tout le traumatisme pour soi, c’est le jugement des autres qui tue ».
Alors qu’elle se consacre à ce plaidoyer, un nouveau défi se présente à elle.
A cette époque, les conflits civils qui ont ravagé la région des Grands Lacs pendant une décennie et fait des dizaines de milliers de morts au Burundi battent leur plein. A la suite d’un coup d’état militaire qui ramène au pouvoir l’ancien président Pierre Buyoya en juillet 96, les pays de la région décident d’imposer au Burundi un embargo économique.
C’est ce moment-là que choisit la méningite à cryptocoque, l’une des infections mycosiques –causée par un champignon- opportunistes les plus fréquentes chez les personnes infectées au VIH, pour se répandre. Cette infection peut être mortelle si elle n’est pas traitée, généralement avec du fluconazole.
« Il n’y avait plus aucun flacon [de fluconazole] dans le pays, chaque jour il y avait un mort à l’hôpital », se souvient Gapiya, pour qui c’est aussi l’année où elle doit commencer à prendre des antirétroviraux (ARV).
Fatiguée de crier son indignation sans être entendue, elle décide d’agir.
Munie de l’argent qu’elle a pu collecter auprès des malades et de leurs familles, Gapiya prend sa voiture et se lance dans une opération qu’elle renouvellera à plusieurs reprises : faire la navette entre Bujumbura et Kigali la capitale rwandaise située à 180 kilomètres de là pour aller chercher les médicaments.
Une équipée risquée car les embuscades des groupes rebelles sont quasi-quotidiennes, mais que Gapiya ne regrette pas. « Au moins, quelques personnes ont pu être sauvées ».
Parallèlement et dans ce contexte difficile, l’ANSS qu’elle préside continue à plaider auprès de la communauté internationale et de son pays en faveur de l’accès aux soins des personnes vivant avec le VIH.
Des efforts qui finissent par payer. En 1998, avec le soutien de plusieurs partenaires internationaux, comme l’association française Sidaction puis les Nations unies, l’ANSS ouvre le centre ‘Turiho’ (‘Nous sommes vivants’, en langue kirundi) à Bujumbura, qui offre des services de conseils, de dépistage et de traitement du VIH/SIDA.
Aujourd’hui, ce centre suit plus de 3 300 personnes venues de plusieurs pays de la région, dont 1 200 sous ARV, ces médicaments qui prolongent et améliorent la vie des personnes vivant avec le VIH.
De longues et âpres négociations avec les firmes pharmaceutiques internationales et le gouvernement burundais pour obtenir la réduction du coût des ARV et leur détaxation se sont également révélées payantes, faisant passer le traitement de 350 dollars par mois au milieu des années 90 à 33 dollars pour les génériques en 2003.
Avec l’arrivée du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui a accordé au Burundi un financement de plus de huit millions de dollars en 2003, les ARV sont devenus gratuits en 2004 pour quelque 4 600 patients qui en bénéficient aujourd’hui dans l’ensemble du pays.
Depuis l’année dernière, Gapiya s’est lancée dans un nouveau combat : la prise en charge des orphelins du sida. Aujourd’hui 240 de ces orphelins sont pris en charge dans le cadre d’un projet pilote, ‘Paris sida sud’, financé par la mairie de Paris à travers l’organisation Sidaction.
Remariée à un homme lui aussi séropositif, qui travaille pour le Programme commun des Nations unies sur le sida (Onusida), Gapiya vit depuis l’année dernière en Namibie où est basé son mari, mais revient régulièrement au Burundi suivre « ses » projets.
Gapiya, l’infatigable activiste, a été récompensée pour son engagement. Consacrée ‘ambassadeur de l’espoir’ par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en 96, elle a également reçu le Trophée de la journée internationale de la femme en 2003 à Rome.
« Je ne suis pas extraordinaire, tout le monde peut jouer un rôle à condition d’avoir de la volonté », affirme-t-elle.
Et à défaut de se sentir une âme de combattant, il est toujours possible « d’avoir un minimum de considération pour les malades », a-t-elle conclu.
Source : BBC