Une vaste campagne de désinformation est en cours contre la SENELEC, ses dirigeants et les travailleurs pour des raisons qui ne sont pas toujours claires mais surement pour des motivations liées à des intérêts stratégiques dans le sous – secteur. Les acteurs de cette campagne semblent être paradoxalement des partisans de la coalition actuellement au pouvoir. Ils s’adossent à la problématique de la souveraineté énergétique, évoquant la présence dominante des intérêts étrangers dans le secteur. Cependant, est – ce réellement, la souveraineté énergétique qui constitue leur principale motivation. Soulever, la question de la souveraineté énergétique, devrait être un exercice beaucoup plus centré sur les enjeux économiques (financement des investissements), sociaux (liés à l’accès à l’électricité en termes de couverture du territoire, au coût du KWh), politiques ( liées au choix des investissements à la viabilité du modèle juridique et ses incidences sur notre souveraineté), anthropologiques (au sens des enjeux de savoirs et de culture ).
Nous nous invitons à ce débat non pour défendre la SENELEC ou les travailleurs, ou parce que nous avons défendu le service public de l’électricité (en tant que militant du SUTELEC) mais plutôt parce que les enjeux sont plus importants que ce qui semble se donner comme dénonciations sensationnelles de personnes non vertueuses. Nous sommes aussi convaincu, que le secteur doit connaître des ruptures systémiques, dans ses orientations politiques et sa gouvernance. L’avènement de la communication de masse, via les réseaux sociaux a du même coup contribué à la naissance d’experts et d’influenceurs en tout genre qui occupent aujourd’hui les lieux communs de construction, de diffusion, de production de l’information. Ils sont de savants chroniqueurs, spécialistes en toute matière (politique, économie, technologie etc..). Dans notre cas, il s’agit de l’énergie où un éminent expert évoque ces questions avec une certaine suffisance que l’on croirait qu’il en est un ingénieur. Dans une conférence presse qu’il a récemment organisée, il parle des coûts de l’électricité variant de 25 francs à 71 francs de la part de certains opérateurs et les prix pratiqués par SENELEC notant les subventions de l’État, pour conclure que les subventions vont donc vers ces derniers. Sans entrer dans des détails, il faut simplement dire que l’électricité produite avec des modalités différentes n’a pas le même cout de revient. En effet le cout de l’exploitation de l’énergie est variable selon la source primaire de cette énergie. Il y a une corrélation entre le cout de l’énergie primaire et le cout de l’énergie dans son usage final. Ainsi, l’énergie hydro-électrique de Manantali, de Félou (provenant des barrages coute entre 20 frs cout variable et 40 frs cout revient moyen) l’énergie éolienne (source primaire renouvelable – le vent, cout moyen variable 69 frs) ou solaire (entre 25 à 71 frs etc.) et les couts des énergies produites avec une énergie primaire fossile ne sauraient valoir la même chose. En guise d’exemple, une turbine à gaz fonctionnant en cycle non combiné, peut générer des couts variables de (148 frs TAG 4 – 2022 à 385 frs TAG 2 – Rapport annuel Senelec 2022). Un professionnel de l’information, avec n’importe quel moteur de recherche aurait pu accéder à ces données sans au préalable disposer de connaissances profondes sur la question. En effet, en dehors du cout variable d’exploitation, il y a le cout de revient qui prend en compte les amortissements des investissements, qui sont différents selon la typologie des centrales. La question du cout de l’électricité, les subventions versées par l’État, sont des questions autrement plus sérieuses et complexes que ce qu’en dit notre expert.
Cela signifie que l’expert en question fait de l’amalgame à dessein (distillant de fausses informations) ou se veut expert d’une question qu’il ne maitrise pas. La deuxième hypothèse semble être la bonne, car nous l’avons entendu dire (comme invité dans une émission d’une télé numérique) à propos du dernier incident dans le poste source de Hann, qui est à l’origine d’un black – out sur l’ensemble du réseau interconnecté, qu’il fallait mener des investigations pour déterminer si cela ne relevait pas de sabotage car le réseau interconnecté se situerait du côté du Cap des Biches. Le réseau interconnecté c’est l’ensemble du réseau de SENELEC alimenté par les centrales de production et qui sont liées par le réseau de transport, à travers tout le pays et les pays de l’OMVS (et aujourd’hui la Gambie et la Guinée) pour faire simple. On peut déplorer les négligences coupables à l’origine de cet incident et recommander une enquête comme elle est requise dans de pareilles situations pour déterminer les responsabilités et non suspecter comme du temps de l’ancien régime, la SENELEC comme un repaire de forces dites spéciales. de souveraineté qui nous interpellent.
De même on peut s’interroger sur motivations patriotiques qui sont à l’origine des points de presse et conférences de presse de quelqu’un qui avait une relation contractuelle, dont la transparence posait un réel problème aux acteurs du secteur (les syndicats notamment) jusqu’à voir l’OFNAC recommander l’examen juridique de la question.
C’est la première fois que l’on voit un entrepreneur du privé organiser une conférence de presse pour dénoncer la nomination d’un DG issu de l’entreprise et annoncer un contrat gré à gré de 3500 milliards . Certains ont juste pensé qu’il était frustré de ne pas être nommé à ce poste du fait de son engagement dans la coalition DIOMAYE, on pourrait en douter au vu de l’argumentaire qui est convoqué par ce dernier. En effet, prenant prétexte de la prochaine mise en service de la centrale de WAE, un projet dont l’un des actionnaires est Samuel SARR ancien ministre de l’énergie, durant la gouvernance de Wade et aussi ex DG de la SENELEC, il pointe la responsabilité de la SENELEC dans la conclusion de ce contrat. Pour montrer que ce contrat serait au détriment de l’entreprise et du pays. On pourrait s’interroger sur les faits convoqués, d’autant que c’est la CRSE (loi 2002 – 01 abrogeant et remplaçant les alinéas 4 et 5 de l’article 19 de la loi 98- 29) qui étudie l’octroi des licences de production et lance les appels d’offres pour le cas des producteurs dits indépendants. La SENELEC, comme acheteur unique dans le cadre de la loi 98- 29 du 14 avril 1998 en tant que concessionnaire ne signait que les contrats d’achat d’énergie. Il était requis lors de la demande d’une licence d’une concession de montrer un contrat d’achat d’énergie, pour dire que la loi n’empêche pas un privé de négocier un contrat d’achat d’énergie avant de disposer d’une licence de production. Au total, il faut analyser le rôle clé joué par ceux qui pilotaient le secteur à cette période et non celui des dirigeants actuels de l’entreprise pour justifier leur manque de transparence. Par ailleurs, on pourrait se demander, pourquoi dans démarche patriotique il ne fait pas le point sur l’état des lieux quant aux positions dominantes du capital étranger au nom de l’IDE très chère à la BM dans la sphère de la production indépendante. En effet, si jusqu’à présent, les coûts de production (variables, comme fixes) sont au niveau où ils sont, cela reste lié aux choix des types de production notamment le recours au tout diesel avec des puissances unitaires faibles (en général inférieurs à 20 MW) avec des rendements non compétitifs. En effet, les cycles combinés des turbines à gaz donneraient des rendements plus compétitifs avec des puissances unitaires plus importantes. Des choix politiques inopérants depuis les indépendances dictées par les officines multilatéralistes (FMI- BM) nous ont mis en situation de retard d’investissement avant de nous brider avec ces solutions de sauvetage souvent orientées. La centrale de WAE, quoique l’on puisse en dire, est un investissement propre à des nationaux, ce que l’on ne peut dire à propos de 80 à 90 % des IPPs, installés depuis 1998. Il s’agit aujourd’hui à notre sens, pour sécuriser le secteur, de réaliser des investissements propres à la SENELEC au moins 55 % de la puissance installée dont au moins 25 à 30 % du mix énergétique avec des sources primaires renouvelables. En effet, quand au moins, 25 % à 1 /3 de l’énergie vendue est produite par des capacités louées, (Voir rapport annuel 2022 – 2023 Senelec – KPS fournit le tiers de l’énergie vendue par la SENELEC) cela signifie que nous sommes loin de la souveraineté. C’est dire que ces interventions sur la SENELEC, au nom d’un ancrage, d’une influence au sein de la coalition au pouvoir doivent être réorientées vers une véritable analyse du secteur, ses difficultés, les couts onéreux de l’électricité et la présence dominante des intérêts étrangers (la plupart des IPPs sont aux mains effectivement du capital étranger), sur la réforme en cours et les questions
Nous voulons simplement dire que le secteur doit régler des défis de souveraineté qui sont l’accès à une électricité moins chère, des taux d’électrification de 100 % couvrant tout le pays à travers l’interconnexion ou des solutions hors réseau avec du renouvelable. Cela suppose une réflexion sur les tous les enjeux , politiques ( notre capacité à décider par nous-mêmes, de ce que nous voulons ) économiques ( un intérêt à disposer de mécanismes de financement qui ne nous enlisent pas et nous libèrent de l’endettement – une planification bien pensée ) sociaux ( l’électrification universelle , des emplois décents dans le secteur , des accords d’entreprise et ou de secteur – énergie – favorisant l’épanouissement des travailleurs actifs comme des retraités) , anthropologiques (au sens des savoirs acquis , des savoirs produits à diffuser pour les nouvelles générations). Nous lançons un appel aux acteurs pour des assises qui permettront de penser le devenir du secteur de façon à donner un principe de réalité à la souveraineté énergétique qui est annoncée. Il faut sortir du statut quo. Il y a lieu de revoir le code de l’électricité, de revoir tout le cadre juridique qui est plus une copie coller vendu par la BM dans nos pays. Le problème est plus profond que ne semble le poser les acteurs actuels de cette communication contre la SENELEC.
Le 17 Septembre 2024
Abdoulaye SENE
Ancien SGA SUTELEC (1994- 2003)
Économiste – Socio anthropologue