Brillant avec son club, mais trop peu influent en équipe nationale, le capitaine des Lions suscite des critiques – Trois journalistes sportifs dissèquent ce double visage du numéro 10 de Liverpool
Les prestations de Sadio Mané exaltent, enivrent, réjouissent, contentent et… font jaser. En médecine, on aurait parlé de troubles bipolaires pour ses performances en club et en sélection. Mais analyser les rendements de Sadio Mané sous cet angle relève d’un raccourci facile. Le feu follet des Reds a effectivement plus de chance de briller avec le club de la Mersey, pour des raisons de probabilité mathématique. Avec 38 journées à jouer en Premier League (EPL), la Ligue des champions de l’Uefa (UCL), la FA Cup, le natif de Bambaly peut jouer en moyenne jusqu’à… 3 matches par semaine. A contrario, les rencontres espacées de la sélection nationale font qu’il joue à peine une dizaine de fois dans l’année pour le Sénégal. Rien qu’en EPL, il a été 28 fois titulaire sur les 29 matches qu’il a joués pour la saison 2017-2018, soit 2 208 minutes jouées, alors que, dans le même temps, il n’aura eu l’occasion d’évoluer en sélection que sept fois pour les éliminatoires du Mondial, quatre fois en match amical et trois fois pour la Can. Cette surexposition médiatique du public sénégalais au foot anglais, européen de manière générale, explique en partie ce désagrément.
Après son doublé en ouverture de l’EPL, cette saison, les commentaires sont allés bon train sur les réseaux sociaux. Le n°10 n’a pas à s’inquiéter de soutiens, sensiblement majoritaires, mais des questionnements sur ses prestations en sélection se font jour, des fois, de manière virulente. ‘‘Les gars, les gens qui l’ont dénigré, c’était justifié, car il n’a rien foutu en équipe nationale. ‘Lolou laniou wakh na dieul ay’ responsabilités quand il vient en sélection. C’est tout ce qu’on lui demande’’ (sic), explose un internaute sur une page célèbre dédiée au foot.
Le management en question
Les réponses coulent de source, pourtant. Avec le calendrier européen, ses statistiques en Epl et en Ucl pour la saison 2017-2018 (23 buts) sont plus consistantes que le total de ses réalisations en six années avec l’équipe fanion du Sénégal (54 sélections, 16 buts), incluant deux campagnes de Can et un Mondial particulièrement décevants. D’ailleurs, pour la dernière élimination du Sénégal en Coupe d’Afrique contre le Cameroun, son pénalty manqué durant la série des tirs au but avait provoqué le courroux de certains supporters qui ont caillassé la voiture de son oncle à Dakar, rapportait ‘‘Les Echos’’. ‘‘Il les rate pratiquement avec le Sénégal, alors qu’en club il a une réussite totale’’, remarque l’administrateur du site ‘’orangendamlisport’’, Oumar Diarra.
Le ressentiment a été toutefois très contenu envers le meneur des ‘‘Lions’’, qui a bénéficié de circonstances atténuantes auprès de la majorité du public. L’argument qui explique cette clémence est du fait des conditions qui concourent aux performances de Sadio chez les Reds. ‘‘Il est plus facile de jouer en club, car les automatismes sont là. C’est comme un orchestre qui répète. En équipe nationale, on ne répète pas et on se doit de jouer. C’est plus compliqué avec les équipes africaines. Quand vous y arrivez, il y a des réglages à faire (…) En équipe nationale, on n’a pas toujours le profil de mêmes partenaires qu’en club’’, estime le chroniqueur sportif Abdoulaye Diaw qui souligne une complication similaire en sélection pour les monstres du foot mondial que sont Ronaldo et Messi. Preuve de ce souci du bien-être optimal du joueur, Liverpool ne le laisse pas livré au… Sénégal. En novembre 2017, pour la phase de qualification au Mondial russe, contre l’Afrique du Sud (10 novembre), le club a dépêché spécialement Scott Mc Auley, un médecin du club, pour suivre la convalescence de Mané souffrant d’une blessure contractée un mois plus tôt aux ischio-jambiers. D’ailleurs, la Fédération sénégalaise de football accédera à la demande de l’entraineur Klopp de libérer le joueur pour un suivi médical plus rigoureux, alors que l’équipe devait jouer trois jours plus tard.
Attente légitime du public
S’il y a un point sur lequel les journalistes sportifs semblent d’accord, c’est que cette attente du public est fondée et légitime. ‘‘Cette attente du public est légitime. C’est comme l’Argentine qui attend la Coupe du monde de Messi en le voyant briller avec le Barça. On n’a jamais eu un top joueur qui s’est imposé dans un top club européen. C’est la première fois. On a eu les Oumar Guèye Sène au Psg et à Marseille. Ce n’étaient pas des gens qu’on voyait tous les jours, peut-être une fois tous les deux mois. Sadio, on le voit tous les weekends. En première journée d’EPL, il a déjà un doublé à son actif, alors qu’au Mondial, il n’a eu qu’un seul tir cadré. C’est légitime que les Sénégalais attendent beaucoup de lui. C’est à lui de savoir que c’est le n°1 sénégalais et d’aller voir comment il peut apporter plus à l’équipe, comment la tirer vers le haut. En somme, accepter, de fait, d’être la star de cette équipe’’, analyse le journaliste de ‘’Stades’’ qui suit l’évolution du joueur depuis une bien maigre 3e division avec la balbutiante Génération Foot.
Récompense peut-être anecdotique, mais preuve de sa saison de feu, l’administrateur du site ‘’orangendamli sport’’, Oumar Diarra, est également d’avis que les espoirs sénégalais placés en Mané se comprennent. ‘’Ça se justifie, dans la mesure où Sadio est un joueur qui a tout ce qu’il faut avoir’’, déclare-t-il.
Seul le doyen Abdoulaye Diaw met un bémol, en trouvant que ‘‘le public lui en demande trop’’. Si ce dernier estime que le rôle de patron de l’équipe est un motif de pression supplémentaire pour le n°10, Demba Varore en a déjà fait le constat. ‘‘C’est quand il a commencé à être la star numéro un qu’il a eu des prestations en demi-teinte avec le Sénégal’’.
L’effet Jurgen Klopp
Après sa saison en Angleterre et sa finale de l’Ucl, puis son doublé en ouverture de l’EpPLrécemment, le dépositaire du jeu des Lions est devenu une pointure du foot mondial. A tel point que le site sportif américain ‘’Bleacher Report’’ le classe au cinquième rang de favoris pour sa liste du Ballon d’Or 2018, derrière Firmino, Messi, Salah et Ronaldo. Une vidéo révélée hier par le journal ‘’Liverpool Echo’’ montrait également comment Mané (et Salah) ont rendu les cheveux blancs à Pep Guardiola qui, pendant ses discussions d’avant-match avec les Citizens, élaborait des plans anti-rapidité. Avec le Sénégal pourtant, le succès tarde à venir. Pour les observateurs, l’influence personnelle des coaches n’est pas à négliger dans les prestations du feu follet. L’entraineur allemand de Liverpool, Jurgen Klopp, est réputé être très tactile avec ses joueurs et démonstratif dans ses accès de joie ou d’insatisfaction. Un peu à l’opposé d’Aliou Cissé, plus distant et un brin sévère, en apparence du moins. A tel point qu’il en a gagné le surnom de ‘’Yahya Jammeh’’.
‘‘Klopp pousse tout le temps Mané à être plus relâché, à l’aise. Un peu le contraire de Cissé qui, lorsqu’il parle à ses joueurs, est plus rigide, plus solennel, moins dans l’encouragement que Klopp qui sait tirer meilleur parti de Sadio que lui, sur le plan psychologique. Ce qui fait qu’il a de meilleures perf’ en club qu’en équipe’’, juge Demba Varore.
Une situation que le chroniqueur sportif à la Rfm trouve normal, dans la mesure où le coach allemand ‘‘passe plus de temps avec ses joueurs qu’Aliou Cissé. Klopp vit avec eux pratiquement. Aliou Cissé est avec eux, le plus souvent sur 4 à 5 jours ou le temps d’une Can ou d’un Mondial, un mois tout au plus. C’est plus une question de cohabitation. Sadio connait plus ses partenaires en club. En sélection déjà, vous êtes une vingtaine, alors qu’en club, vous êtes 15 ou 16. C’est plus restreint’’, croit savoir Laye Diaw. Même son de cloche chez Diarra qui avance qu’‘‘on a plus la possibilité de le voir à l’œuvre sur de longs mois, alors que Cissé ne peut l’avoir que sur cinq à six jours, si ce n’est en compétition’’.
Mais fidèle à son analyse tactique, Abdoulaye Diaw se refuse à tout insight psychique. La différence entre les organisations en club et en sélection continue d’expliquer, en très grande partie, ses prestations en double teinte. ‘‘Ce n’est pas un problème d’ordre mental ou psychologique’’.
Abdoulaye Diaw : ‘‘El Hadj Diouf est bien meilleur que Sadio Mané’’
Dans l’ensemble, l’administrateur du site de sport, Oumar Diarra, se résigne presque, vu les conditions d’ensemble qui entourent les prestations de Sadio Mané en club. ‘‘Il faut que les Sénégalais acceptent qu’il ne soit pas aussi bon en sélection (…) Sadio a encore beaucoup de défauts et même s’il parvenait à se parfaire, il faudrait accepter qu’il soit moins bon en sélection’’, analyse-t-il. Son caractère introverti y est-il pour quelque chose ? Oui, estime Varore qui trouve que, pour débloquer son véritable potentiel, ‘‘Sadio devrait peut-être se chercher un psychologue du sport’’. Il en veut pour preuve la manière de jubiler du footballeur sénégalais. ‘‘Sadio a du mal à se lâcher en sélection comme en club. Quand on le voit fêter ses buts, on dirait qu’il se cherche. Cela prouve la personnalité. On le compare à Bocandé ou à Diouf qui étaient des joueurs qui aimaient beaucoup plus briller sous la pression, alors qu’il préfère être dans l’ombre, timide’’, avance-t-il.
La comparaison est presque inévitable avec l’autre identité remarquable du foot sénégalais, son idole El Hadj Diouf. Le paradoxe veut que ce dernier n’ait pas été aussi heureux à Liverpool. Ses clashes médiatiques avec ses anciens partenaires Jamie Carragher et Steven Gerrard en témoignent. Toutefois, il a su maintenir, dans l’ensemble, ce statut de chouchou incontestable du public sénégalais durant son passage en sélection. ‘‘El Hadj est resté plus longtemps avec ses partenaires que Sadio en équipe nationale.
Il s’y ajoute que les personnalités ne sont pas les mêmes. El Hadj est un joueur à fort caractère, ce n’est pas encore le cas de Sadio Mané. Individuellement pris, Diouf est meilleur. Sadio n’a pas encore la personnalité d’El Hadj Diouf. Ça va arriver avec le temps (…) Sadio n’est pas prêt pour les corps-à-corps, physiquement. El Hadj est plus solide, plus fort physiquement et mentalement. Il est bien meilleur que Sadio Mané’’, estime Laye Diaw qui n’a pourtant pas cessé de trouver des circonstances atténuantes aux contreperformances de Sadio en équipe nationale.
En dépit d’une analyse générale critique, Varore concède que Mané est statistiquement l’un des meilleurs Sénégalais de ces dernières années qui gagnerait à se faire plus confiance. ‘‘A vouloir réfléchir trop, à ne pas vouloir jouer instinctivement, car il est meilleur en jouant instinctivement, en voulant trop réfléchir à comment jouer avec ses partenaires, il déjoue’’.
Lot de consolation pour le natif de Bambaly, il peut faire la même analogie avec Messi qui se casse les dents en sélection argentine. Mais ça, c’est un autre débat !