Depuis 2000, le vrai sujet à débat dans la classe politique sénégalaise est l’argent. Il est inodore et n’aime pas le bruit. Mais, « pourri », il crée le malaise et charrie des accusations. Wade en a fait l’amère expérience, Macky s’y débat depuis quelque temps.
La scène politique sénégalaise s’est inventé un acteur tenace : l’argent. Quasiment sujet tabou, voire pudique, sous Senghor et Abdou Diouf, l’argent est aujourd’hui brutalement érigé en thème majeur dans la classe politique. Il structure le débat, crée de la plus-value dans les médias et provoque des césures qui conduisent à la déchéance. Ça pue de partout ! Impossible de sortir de la zone des odeurs putrides. Le lundi dernier, l’opposition en guise de réponse au Premier ministre Mohammad Boun Abdallah Dionne, décide de porter plainte contre X. Manko wattu Sénégal exige l’annulation de toutes les procédures des contrats pétroliers « qui auraient déjà fait perdre au Sénégal 600 milliards de nos francs, en faveur de Timis Corporation», accuse Mamadou Lamine Diallo, porte-parole de cette plate-forme de l’opposition. « Nous voulons que le chef de l’Etat s’adresse à la nation et qu’il reconnaisse sa faute, en impliquant son frère. A l’occasion, il doit annuler toutes les procédures de cet enrichissement sans cause et de cette spoliation du peuple sénégalais. S’il ne le fait pas, nous allons porter plainte contre Aliou Sall, Frank Timis et M. Wong », avertit-il. Et il ajoute : « nous allons marcher, nous irons à l’Assemblée nationale, car il s’agit de défendre l’économie sénégalaise ».
Comme on le voit, le mandat de Macky Sall semble fatalement pris dans le piège de l’argent. Même lorsque le succès du Plan Sénégal Emergent (Pse) a été vanté partout, l’argent était encore là : 3729 milliards de FCFA. « C’est de l’argent à payer », précisent les « mauvaises langues » de l’opposition. Histoire, sans doute, d’enduire de cambouis le succès arraché, à l’époque, dans l’Hexagone. Il n’y a guère longtemps, sitôt revenu d’un séjour de dix mois à l’étranger, Idrissa Seck dont le porte-parole du gouvernement Abdou Latif Coulibaly s’indignait de son « rapport névrotique avec l’argent » attaque en force Macky Sall. Sous un registre railleur, il ligote le chef de l’Etat autour de lune des poutrelles qui tiennent sa politique depuis son arrivée aux affaires : la traque des biens mal acquis. Le cumul des gains de Macky Sall de son premier poste de Dg de Petrosen jusqu’au Perchoir n’atteint pas 1 milliard de FCFA, évalue Idy. Et d’ajouter, sans porter de gants, qu’il y avait deux poids deux mesures dans l’affaire Karim Wade. Quelques heures après, le palais de Roume brise le silence et cogne fort. Souleymane Jules Diop, responsable de la Cellule de communication de la présidence de la République le cœur en feu maintient la polémique dans le registre de l’argent…pourri. Il demande à Mara de s’expliquer sur son salaire de maire 500 mille FCFA, le budget de 2 milliards de FCFA de la mairie qu’il dirige, puis fait sauter le verrou du « Protocole de Rebeuss ». Selon, en effet, Souleymane Jules Diop, l’ancien Premier ministre de Wade s’est engagé à verser 7 milliards de FCFA à Me Ousmane Sèye et à la notairesse Me Nafissatou Diop, puis à financer la campagne électorale de Wade en 2012. Et voilà que l’énigme la plus fascinante se libère définitivement de sa gangue. Mais personne n’avait cru que Souleymane Jules Diop en serait le centre émetteur.
Me Nafissatou Diop arrivée à l’Alliance pour la République (Apr) en 2013 se voit, ainsi, dépouillée de ces bombes à destruction massive contre Idy dont elle serait détentrice. Sitôt partie de Rewmi, Me Diop, alors « égratignée » par l’ex-directrice de campagne de Mara, Mme Léna Sène, a accusé, dans un propos suintant de ces ironies piquantes, d’être « nostalgique de Saint-James », hôtel parisien où Idrissa Seck adore s’établir, une fois dans l’Hexagone. La bombe est effectivement larguée à Léna Sène, mais les décombres se ramassent près des souliers du président de Rewmi. Et le plus à craindre chez Mme Diop était, bien entendu, ailleurs.
Un certain juillet 2005, dans l’antre du Cices, Me Wade, orfèvre dans l’art de superposer le sérieux, l’humour et le sarcasme dans le discours politique lâche, face à des femmes, ex-militantes socialistes venues transhumer au Pds : « Vous dites à quelqu’un de prendre de l’argent et de vous acheter telle chose pour 2 000 FCFA à la boutique. Il revient vous dire qu’il a pris 10 000 FCFA, vous êtes en droit de lui demander ce qu’il a fait des 8 000. Voilà tout ce qu’il y a entre Idrissa Seck et moi ». Idy était alors en train d’être entendu pendant six jours. Il précise lui-même que le « dossier », constitué à la suite d’un rapport de l’Inspection générale d’Etat (Ige), a été transmis à la justice. Le document relève « un dépassement de 26 milliards de FCFA, par rapport à une enveloppe de 20 milliards autorisée par le Président de la République », selon un communiqué du ministère de l’Intérieur paru un vendredi soir. L’affaire conduit le maire de Thiès à Rebeuss pendant 7 mois. Finalement, avant les Législatives de 2007, Idrissa Seck s’en tire avec un non-lieu total de la Commission d’instruction de la Haute Cour de justice. N’empêche, tel un serpent de mer, l’argent n’a jamais quitté l’espace politique, comme s’il était notre génie tutélaire.
Sitôt installé au pouvoir, une première affaire éclate. C’est le journaliste Abdou Latif Coulibaly qui en fait la révélation. Il s’agit d’une affaire de marché de plusieurs millions de FCFA que Mme Aminata Tall, alors ministre, aurait donné, sans appel d’offres, à la commerçante Oulimata Dioum. Peu de temps après, explose le scandale de la réparation de l’avion présidentiel. Le même journaliste, Abdou Latif Coulibaly, révèle qu’il a fallu une dizaine de milliards de FCFA pour voler au secours de la Pointe de Sangomar. S’ensuit l’affaire de la vente des moteurs de l’avion présidentiel. Pour rétablir la lumière dans le pays, Wade, arrivé aux affaires, de renoncer à la privatisation de la Senelec.
L’opération fait jaser la République. En effet, à son arrivée en 2011, le ministre Karim Wade avait commandité un audit de l’entreprise qui faisait ressortir que la Senelec avait besoin de 200 milliards de francs Cfa, pour des approvisionnements en carburant et des charges structurelles de l’ordre de 787 milliards, soit un pactole de 1.100 milliards de francs Cfa. Tout est parti quasiment en fumée. Survient la Lonase avec ses multiples scandales. L’Anoci débarque : en jeu 432 milliards ! A l’arrivée, « Contes et mécomptes de l’Anoci », l’ouvrage-enquête que A. L. Coulibaly consacre à la manifestation renseigne que l’organisation du sommet a englouti une somme totale de 205 milliards 211 millions de FCFA. Le Fesman est aussi une affaire de milliards : 600 milliards de FCFA ! L’Artp est dans le trou. Son Dg, Ndongo Diaw en fait les frais à Rebeuss. Le Centre d’enfouissement de Thiès avec ses mystérieux 450 millions de FCFA. Le Centre des œuvres universitaires de Dakar s’en mêle à coups de marchés douteux et juteux. Le pire est sans doute l’affaire du représentant résidant du Fmi à Dakar, Alex Segura. En guise de « cadeau », Wade lui offre une mallette contenant 90 millions de FCFA. Segura la lui retourne. Le cas de la Suneor est aussi une affaire d’argent pourri.
L’homme d’affaires franco-libanais Abass Jaber est au centre du patrimoine de la Suneor estimé globalement à 165 milliards F CFA. Grâce à l’appui du « tout puissant Karim Wade », Jaber a pu hériter de la Sonacos.
L’histoire des Industries Chimiques de Sénégal est une autre affaire rocambolesque à milliards. Les Ics dont la privatisation avait été confiée au fils de Wade restent tout aussi fantastique. Le fleuron industriel du pays (à l’époque) se retrouve au bord de la faillite, au bout de quelques années. Les ICS passent d’un bénéfice net de 18 milliards de francs CFA, en 1999, à un déficit de 54 milliards de francs CFA, en 2004. La vente de la troisième licence de téléphonie mobile à Sudatel vaut à Thierno Ousmane Sy, alors conseiller en Tic de Wade un séjour à Rebeuss.
Karim Wade et T. O. Sy avaient mené l’opération de vente qui avait enthousiasmé Me Abdoulaye Wade. Ce dernier les avait même félicités, en conseil des ministres, pour avoir renfloué les caisses de l’Etat d’un montant évalué à 100 milliards de FCFA. Les jours passent et l’enveloppe de la transaction est subitement réévaluée à 80 milliards. La Gazette, ayant traqué le gap de 20 milliards FCFA, tombe sur des documents bancaires et des correspondances qui établissent un paiement de commissions, à hauteur de 20 milliards FCFA. Les révélations sorties des audits de l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp) donnent le tournis. En vedette, Awa Ndiaye, éclaboussée par les dépenses extrabudgétaires avec notamment ces cuillères à 37 000 F CFA l’unité.
Depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir, les rapports d’audits menés sous l’ère Abdoulaye Wade ont conduit Ndongo Diaw, Abdoul Aziz Diop, Bara Sady, l’ancien directeur du Soleil Mamadou Sèye et tant d’autres dignitaires du régime libéral en prison. La « Traque des biens mal acquis » arrive. Et se lance principalement aux trousses de Karim Wade accusé d’avoir englouti, selon la commission d’instruction de la Crei plus 117 milliards de FCFA ? Aïda Ndiongue succombe à cette traque. L’ancienne sénatrice libérale avait été inculpée et placée sous mandat de dépôt avec Abdou Aziz Diop, de même que deux de leurs co-accusés en décembre 2013. Ils ont été relaxés par le tribunal des flagrants délits après plusieurs demandes de mises en liberté provisoire rejetées. Abdou Aziz Diop avait bénéficié auparavant en novembre dernier de la liberté provisoire, laissant ses compagnons d’infortune en prison.
Les enquêteurs des sections recherches découvrent des comptes bourrés de milliards, d’or et diamants d’une valeur totale de 47 milliards à la CBAO. Tempête médiatique, le procureur Serigne Bassirou Guèye tient un point de presse devant les journalistes et pointe du doigt un gros scandale d’enrichissement illicite. Et dire que depuis 2000, l’argent continue de nous jouer des tours.