Le président de la Cour Suprême, Mamadou Badio Camara, fait la leçon aux journalistes… et s’attire les foudres de Fatou Diagne Senghor !

Profitant hier d’une rencontre du bureau régional multisectoriel de l’UNESCO pour l’Afrique de l’Ouest-Sahel sur le renforcement des compétences des juges sur les normes internationales et africaines concernant la liberté d’expression et la sécurité des journalistes, le président de la Cour Suprême, Mamadou Badio Camara, a fait la leçon aux journalistes sénégalais. Il a été contredit par Fatou Senghor de l’ONG article 19 qui dénonce les lois fourre-tout à la base des emprisonnements de journalistes.

Cette rencontre organisée par l’Unesco en partenariat avec la Cour Suprême du Sénégal, qui s’est ouverte hier, a constitué un espace de réflexion autour du cadre juridique devant garantir la pérennité des métiers de l’information et de la communication, piliers de la démocratie et de la bonne gouvernance. Comme à son habitude, le président de la Cour suprême, qui n’a pas de bonnes relations avec la presse nationale, en a profité pour essayer de régler des comptes. Mamadou Badio Camara a d’emblée mis l’accent sur l’importance du rôle des médias dans la société. « La liberté et l’indépendance des médias sont indispensables au développement et à la paix. La liberté d’expression et la liberté d’information constituent les fondements d’un Etat démocratique et les valeurs fondatrices des sociétés libres », a-t-il indiqué. Selon lui, la protection de la liberté de la presse et ainsi que la sécurité des journalistes doivent être encouragés et soutenus par les acteurs du monde judiciaire. En effet, estime- t-il, « la presse contribue à lutter contre la corruption, à améliorer la transparence et la bonne gouvernance et mettre en lumière les éventuelles violations des droits de l’homme dans nos pays. La sécurité des journalistes peut poser problème en temps de paix et à fortiori en temps de conflits armés. A cet égard, le conseil de sécurité de l’Onu s’est préoccupé de la question et a demandé le renforcement de la protection des journalistes de plus en plus victimes d’attaques meurtrières en zones de conflits en particulier. » Cela dit, Mamadou Badio Camara n’a pas manqué de souligner la problématique des enjeux que sous-tend la question relative à cette même liberté d’opinion. Puisque, à l’en croire, au regard des défis apportés par l’ère numérique, il convient de souligner qu’aucune liberté n’est absolue. « La liberté trouve toujours ses limites dans la loi. Et celle de la presse ne peut autoriser des propos ou écrits diffamatoires, des dénonciations calomnieuses ou autres actes prévus et punis par le code pénal. Cela induit pour les journalistes et les organes de presse de constamment s’adosser aux règles et conduites déontologiques régies par leur profession notamment les principes d’impartialité et d’objectivité qui garantis- sent l’indépendance dans l’exercice de leur métier », a-t-il exhorté à l’endroit du « quatrième pouvoir. »

Fatou Senghor, de l’ONG Article 19 « L’offense au chef de l’Etat est une loi fourre-tout »
Si dans son discours, le premier président de la Cour suprême a semblé mettre en garde les journalistes, Mme Senghor, la directrice régionale Afrique de l’Ouest de l’ONG britannique Article 19 a quant à elle déploré le durcissement des lois qui entravent l’exercice de la presse dans notre pays. Selon cette activiste, défenseur des porteurs de voix, le plus important est de rappeler que le rôle du juge est de faire en sorte qu’il n’y ait pas d’impunité lorsque des violences sont commises, des assassinats et des agressions physiques à l’encontre de journalistes. Une mission qui incombe au juge qui doit être près de l’évolution jurisprudentielle. Un juge dont elle a rappelé la centralité du rôle dans les poursuites et dans la recherche de la vérité. Analysant la situation sous l’angle national, Fatou Senghor estime qu’au Sénégal, « les agressions ne sont pas physiques mais plutôt relèvement du harcèlement moral sur la base d’emprisonnement. La détention provisoire continue d’être exercée sur des journalistes parce que, quand on a des lois fourre-tout telle l’offense au chef de l’Etat qui peuvent être invoquées à tout mo- ment, cela conduit à l’autocensure ».

L’Unesco prône une refonte du système judiciaire en matière de liberté d’expression Pendant deux jours, les différents bureaux régionaux de l’UNESCO, des juristes, activistes et acteurs de la société civile se sont donnés comme mission de panser les plaies de la presse. Hier, dans un hôtel de la place, ce conclave initié par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture s’est révélé être un espace de plaidoirie en faveur de l’intégrité physique et morale des acteurs de l’information. « Cet atelier est le fruit de la collabo- ration heureuse entre l’Unesco et la Cour Suprême du Sénégal. L’organisation du présent atelier des juges des Cours Suprêmes des pays de la CEDEAO s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre du Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité, plan adopté en 2013 par l’Assemblée générale des Nations Unies », a précisé Dimitri Sanga, directeur du bureau régio- nal de l’UNESCO à Dakar. Poursuivant, il estime que la liberté d’expression, la liberté de presse et la sécurité des journalistes sont indissociables et interdépendantes. Chaque pays, estime M. Sanga, « doit œuvrer pour un environnement qui garantit aux hommes et aux femmes des médias de travailler sans crainte de menaces, d’intimidations, d’atteinte à leur intégrité physique ou d’assassinat, tant en temps de paix qu’en période de conflit ». Ainsi, en tirant la sonnette d’alarme, le directeur régional de l’agence onusienne a tenu à rappeler les données de l’observatoire de l’UNESCO selon lesquelles, parmi les journalistes assassinés, de 2000 à 2019, 177 (toutes nationalités confondues) l’ont été sur le sol africain parmi lesquels 14 femmes. « Cependant, sur le plan judiciaire, seuls 18 cas ont été résolus. Pour la même période, l’UNESCO a enregistré 22 cas en Afrique de l’Ouest parmi lesquels 03 seulement ont été résolus », s’est désolé M. Dimitri Sanga.

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