Les footballeurs noirs sont légion dans les championnats européens. Les dirigeants beaucoup moins… Ex-journaliste, ancien agent de stars du ballon rond, le président de l’Olympique de Marseille se définit lui-même comme une « anomalie ». D’Abéché à Marseille en passant par Dakar, enquête sur un phénomène. « Je suis le seul président noir d’un club en Europe. C’est un constat pénible, à l’image de la société européenne et, surtout, française, qui exclut les minorités ethniques. » Pape Diouf, 57 ans, est le numéro un de l’Olympique de Marseille (OM), le club de football français le plus prestigieux – mais aussi le plus tourmenté. Un poste à haut risque dans un milieu exposé où la pression, qu’elle soit locale ou médiatique, est quotidienne. Attentes exacerbées des supporteurs sevrés de titres depuis quinze ans, instabilité chronique au sein de l’équipe comme des dirigeants, déballages judiciaires dans le cadre de procès sur les comptes du club et autres transferts plus ou moins opaques, finances dans le rouge (malgré les 200 millions d’euros injectés depuis 1996 par le propriétaire de l’OM, Robert Louis-Dreyfus) : Pape Diouf n’a pas débarqué dans un club comme les autres. Nommé manageur sportif en avril 2004, il devient président en février de l’année suivante. Habitué des nominations surprises et pas vraiment heureuses, « RLD », comme on l’appelle à Marseille, a finalement eu le nez creux : sous la direction de Pape Diouf, son équipe retrouve le haut du classement français en même temps que la sérénité et l’équilibre de ses comptes. De la belle ouvrage, donc. Du haut de son quasi-mètre quatre-vingt-dix, Pape Diouf reçoit dans son bureau clair de la Commanderie, le centre d’entraînement de l’OM, sur les hauteurs de Marseille. Cet ancien journaliste, lecteur assidu de Jeune Afrique, féru de littérature et de sociologie, apprécie la compagnie de ses ex-confrères de la presse écrite. « Parce qu’on peut approfondir, discuter longuement, aborder de nombreux sujets », explique-t-il. Les caméras d’une chaîne hertzienne française venue réaliser un reportage sur ce personnage atypique du sport le plus populaire du monde, elles, peuvent attendre. Elles ne captent que l’enveloppe extérieure, l’éphémère. Elles ne saisissent qu’une part infime de la personnalité. Trop superficiel au goût de cet accro de la plume et du mot soigneusement choisi. En confiance, c’est-à-dire rarement, Pape Diouf se dévoile volontiers. Paradoxalement, ce personnage connu du grand public, que l’on voit toutes les semaines à la télé ou dans les journaux, reste secret. Comment diable Pape le Sénégalais s’est-il retrouvé premier président noir d’un club d’envergure, après avoir été le premier journaliste sportif et le premier agent de « joueurs blacks » en France ? Enfance africaine L’histoire de Diouf, c’est celle d’un jeune immigré fan de foot et de basket. Né le 18 décembre 1951 à Abéché, au Tchad, sa vie invite au voyage. À condition d’aimer les rebondissements et les changements radicaux d’itinéraire. Pape, en fait, se prénomme Mababa. « Je portais le même prénom que mon grand-père, Mababa. En pratique, on se fait alors appeler Papa. Dans le langage courant, Pape est resté », explique-t-il. Pape, donc, est le fils de Demba et Aminata Diouf. Une famille sénégalaise moyenne, une enfance « normale ». Demba s’est battu pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Il embrasse le gaullisme, devient fonctionnaire français. Polygame (Aminata est sa deuxième épouse), il a huit enfants. D’abord mécanicien militaire en poste au Tchad, il devient ensuite chef des huissiers à l’ambassade de France à Dakar. Après six mois passés à Abéché, Pape grandit donc dans la capitale sénégalaise, à Fann Hock, près de la Corniche. Un quartier où cohabitent Sénégalais noirs et métis, Cap-Verdiens, Libanais et Français. Chez Aminata, « l’incarnation du bien », c’est tous les jours porte ouverte. Famille, amis et voisins y sont chez eux.
Marwane Ben Yahmed, envoyé spécial à Marseille