Eminence Monseigneur Benjamin Ndiaye, Archevêque de Dakar,
Eminence, Monseigneur Barthélémy Adoukonou, Secrétaire général du Conseil pontifical pour la culture,
Eminence, Cardinal Théodore Adrien Sarr, Archevêque émérite de Dakar, Président du Conseil régional des Evêques de l’Afrique de l’Ouest,
Monsieur Alpha Amadou Sy, Président de la Communauté Africaine de Culture, Section sénégalaise,
Monsieur Aloyse Raymond Ndiaye, coordonnateur du comité scientifique du colloque,
Distingué invités,
Mesdames, Messieurs,
A l’entame de mon propos, j’aimerais d’abord saluer nos hôtes et les remercier de nous avoir honoré de leur présence. A tous et à toutes je souhaite un agréable séjour au Sénégal.
Je suis heureux de prendre part personnellement à cette réflexion commune sur une rétrospective qui nous rappelle à la fois la portée historique d’une belle œuvre et sa brûlante actualité.
C’est ce que suggère en effet votre thème : « Cinquante ans après Vatican II. L’Afrique et l’héritage d’Alioune DIOP : le dialogue des religions et les défis du temps présent ».
De toute évidence, si l’on en juge par l’état du monde, y compris notre voisinage immédiat, le sujet nous interpelle doublement.
Il interpelle notre quotidien, de même qu’il questionne notre avenir commun et celui des générations futures.
Je félicite donc chaleureusement les initiateurs de cette rencontre, notamment Son Eminence le cardinal SARR, Archevêque émérite de Dakar et Son Eminence Monseigneur Barthélémy Adoukonou, Secrétaire Général du Conseil pontifical pour la culture.
Cette initiative mérite notre estime et notre respect d’autant plus qu’elle honore un esprit brillant, un illustre fils du Sénégal et de l’Afrique, Alioune Diop. On l’appellerait aujourd’hui un citoyen du monde.
Je salue avec déférence sa veuve, Madame Christiane Diop, ici présente, celle qui a été « la vie de sa vie », et qui perpétue avec courage et dévouement son œuvre.
Un autre Diop, l’écrivain et conteur hors pair, Birago, nous a appris que « les morts ne sont pas mort ». Il avait raison.
Par son œuvre et ses idées, Alioune Diop vit toujours parmi nous.
Avec ses autres compères, dont Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire et Léon Gontran Damas,
il a mené, de front, le combat pour la reconnaissance de l’identité culturelle négro-africaine en créant la Maison d’édition Présence Africaine et la Société africaine de Culture, devenue Communauté africaine de Culture.
Mieux, il a su faire vivre sa culture dans sa spiritualité.
Voilà qu’il nous rassemble aujourd’hui autour de deux valeurs qui nous sont chères, comme il les avait vécues : notre foi et notre culture.
Répondant à l’annonce de la convocation du Concile Vatican II par le pape Jean XXIII, Alioune DIOP, comprenant immédiatement l’importance majeure de l’évènement, avait pris une initiative visionnaire.
Il avait en effet organisé une large consultation auprès d’intellectuels africains, hommes de culture, toutes confessions confondues, laïcs, prêtres, théologiens et experts, pour recueillir leurs réflexions, recommandations, et propositions concrètes à présenter comme contribution du « génie africain » au Concile Vatican II. Alioune Diop est un pionnier du dialogue des cultures et des civilisations.
Evoquant cette initiative historique, Monseigneur Barthélémy ADOUKONOU, dans sa préface du livre de Monseigneur Tharcisse TSCHIBANGU consacré au Concile, témoigne, je le cite, que « cet intellectuel de talent avait compris qu’il fallait faire de l’événement qui s’annonçait une occasion de promotion de l’Afrique au sein de la catholicité, en même temps qu’un enracinement de la foi dans la personnalité africaine ».
L’observation de Monseigneur Adoukonou est fort pertinente à mes yeux, si l’on sait que le Concile Vatican II est considéré comme l’un des événements les plus marquants de l’histoire de l’Église catholique au XXe siècle.
C’est avec ce Concile en effet que l’Eglise a su élargir davantage son ouverture au monde moderne et à la diversité des peuples, en faisant une plus grande place à l’originalité des Églises locales et en portant une réflexion approfondie sur les rapports de l’Église catholique avec les autres confessions chrétiennes, les autres religions et la société en général.
Il s’y ajoute que les décennies des années cinquante et soixante étaient aussi celles des mouvements de revendication de l’indépendance et d’affirmation de l’identité culturelle des peuples sous domination coloniale.
Il était alors fort à propos que notre compatriote Alioune Diop, un des pionniers du mouvement de la négritude, apportât sa pierre à l’édification d’un monde nouveau, débarrassé des préjugés coloniaux, parés du faux prétexte de mission civilisatrice.
Ce sont en effet les thèses de l’anthropologie coloniale, comme celles de Hegel et Lucien Lévy-Bruhl, qui ont contribué à dénier la raison et le sens cognitif aux peuples africains, réduits en peuplades primitives, à la périphérie de l’histoire.
Toute cette démarche procédait d’une pure construction cérébrale. Elle visait en fait à se donner bonne conscience, en essayer de justifier l’injustifiable.
On a pu parler de mission civilisatrice, comme si l’Afrique était une terre vierge de toute civilisation.
Il faut aussi rendre justice aux éminents chercheurs européens qui ont contribué à démanteler l’anthropologie coloniale. Je cite parmi eux Claude Levi-Strauss, Giambattista Vico, Ernesto De Martino, Marcel Griaule et Léo Frobenius, auteur d’un fameux ouvrage sur l’Histoire de la civilisation africaine.
Griaule, qui a fréquemment voyagé en Afrique, a publié plusieurs écrits faisant autorité sur la fabuleuse richesse culturelle du peuple Dogon du Mali. Ses recherches ont d’ailleurs été plus récemment confortées par le célèbre astronome américain Carl Sagan, dont l’ouvrage Le cosmos, mentionne des connaissances astronomiques accumulées par de fins observateurs du ciel, parmi le peuple Dogon.
Le mérite d’Alioune Diop et de ses compagnons était justement d’avoir montré, par des faits culturels indemnes de toute contestation possible, qu’il n’y avait personne à civiliser en Afrique ; puisque les peuples prétendument primitifs totalisaient une civilisation multiséculaire. Du reste, par son œuvre colossale, le savant Cheikh Anta Diop a démontré à suffisance, sur des bases scientifiques irréfutables, les fondements de la civilisation négro-africaine.
En plus de ses travaux sur l’Egypte antique, il a ouvert la voie à des découvertes archéologiques majeures sur l’histoire et la civilisation africaines, notamment avec les sites de Kerma, capitale de l’ancien royaume de Nubie, au Soudan, et de Blombos, en Afrique du Sud.
De nombreux chercheurs et intellectuels d’Afrique et de la diaspora, dont le congolais Théophile Obenga, l’africain-américain Molefi Asante et le sénégalais Aboubacry Moussa Lam, entre autres, vulgarisent les travaux de Cheikh Anta Diop.
Dans ces conditions, hier, encore moins aujourd’hui, on ne saurait se parer du manteau de précepteur pour venir professer en Afrique. Nous ne saurions l’accepter, parce que nous savons ce que nous voulons. Nous ne saurions l’accepter, parce que nous savons penser et agir par et pour nous-mêmes.
Dès lors, la voix de la raison, celle qui apaise et réconcilie les peuples en leur sein et entre eux, c’est plutôt la voix de l’échange et du dialogue, celle du rendez-vous du donner et du recevoir que Senghor appelait de ses vœux pour bâtir la Civilisation de l’Universel.
C’est le sens de notre rassemblement ici. Alioune Diop, qui nous en donne l’occasion, a souvent été fêté et honoré.
Mais ce qui singularise l’hommage que nous lui rendons aujourd’hui, c’est sa propre relation à la religion sous le prisme de la culture universelle.
Alioune Diop était un leader et un visionnaire, c’est-à-dire animé d’un esprit capable de se libérer des servitudes du présent pour comprendre et interpréter les signes du futur, parfois lointain, quand rien n’est encore évident pour le commun des mortels.
Il vous appartient, hommes et femmes intellectuels engagés, laïcs, prêtres, théologiens et experts qui participez à ce colloque, d’évaluer, cinquante ans après, ce que l’initiative inédite d’Alioune Diop a fécondé comme résultats par rapport aux attentes qu’elle a suscitées.
Votre voix compte. Par la qualité des participants, vos débats, j’en suis persuadé, seront riches et variés. Je voudrais, pour ma part, rappeler ici mon attachement au dialogue des cultures et des religions pour un monde de paix et de fraternité humaine.
Plus que la tolérance, qui définit la faculté de s’accommoder de l’autre, nous devons cultiver le respect, qui induit l’acceptation du prochain dans son héritage culturel et ses croyances religieuses.
Voilà pourquoi nous devons tous, pouvoirs politiques, religieux et laïcs, unir nos forces et nos intelligences contre le terrorisme, l’intolérance et toutes les formes de violence physique, intellectuelle ou morale.
Nous devons mener ce combat parce que les préjugés contre lesquels se battaient Alioune Diop et ses compagnons continuent d’agiter le monde. Certains, imbus d’une légitimité que personne ne leur a conférée et dont personne ne sait d’où ils la tirent, se croient toujours investis d’une mission divine de penser pour les autres et de les diriger, y compris par la violence.
Ceux qui tuent au nom de Dieu ont, en réalité, perdu ce qui fait l’essence même du message divin, c’est-à-dire la foi et la raison. « Tu ne tueras point », c’est le commandement sans équivoque de Dieu.
C’est ce que rappelle opportunément le Pape François dans son dernier message à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de la Paix.
Puisant dans la Genèse, Chapitre 4, versets 1 à 16, le Saint-Père y attire l’attention du monde sur la manière dont la première fraternité humaine a été trahie, quand Caïn, parce qu’il était envieux, a tué son propre frère Abel.
Heureusement, comme le rappelle le Saint-Père dans son message, « Dieu n’est pas indifférent ! Dieu accorde de l’importance à l’humanité, Dieu ne l’abandonne pas ! »
En tant qu’hommes et femmes de bonne volonté, en tant que frères et sœurs obéissant à la même chaîne monothéiste du commandement divin, voilà donc ce qui nous renvoie à nos devoirs, pour rester fidèles à l’image de Dieu ; puisque comme le prescrivent les Saintes Ecritures, l’homme est le vicaire de Dieu sur terre.
En nous inspirant de nos traditions et des messages authentiques que l’Islam et le Christianisme ont en commun, nous devons sans cesse aider à la revitalisation de cette mission de paix et de fraternité humaine dévolue à l’homme.
C’est cela aussi l’esprit du Concile Vatican II. Et c’est cela le sens du message d’Alioune.
Puissent cet esprit et ce message inspirer vos travaux que je déclare maintenant ouverts.
Je vous remercie de votre aimable attention.