Chef d’équipe à l’Institut hospitalo-universitaire (Ihu) de Marseille, le Docteur Cheikh Saadbou Sokhna, directeur de Recherches à l’Institut de recherches et de développement (Ird) de Dakar, estime que le dépistage dit communautaire est la meilleure stratégie pour endiguer le virus. II revient aussi dans cet entretien sur les probables hypothèses qui peuvent expliquer la «rechute» d’un patient guéri du coronavirus. Et les contacts entre l’IRD et le ministère de la Santé du Sénégal.
Un patient de nationalité française qui avait été testé positif dans la station balnéaire de Cap Skiring, interné au centre de traitement de l’hôpital régional de Ziguinchor pendant plusieurs jours, avant d’être déclaré guéri après deux tests négatifs, comme prévu par le protocole, a rechuté ce mercredi. Comment expliquez-vous cela ?
Il n’y a pas une explication tranchée pour le cas de ce patient déclaré guéri et puis déclaré malade de Covid-19. Il n’existe à l’heure actuelle, aucun cas documenté de réinfection par le SARS-CoV-2, mais plutôt des cas de réapparition du virus dans l’organisme, principalement au niveau des voies respiratoires.
Les cas dits « de réinfection » récemment rapportés en Chine, en Corée du Sud et au Japon, pourraient se révéler des cas de persistance du virus dans les voies respiratoires après une disparition transitoire dans l’oropharynx. En effet, plusieurs études ont observé la persistance de SARS-CoV-2 dans les expectorations et les lavages broncho-alvéolaires après sa disparition dans l’oropharynx. C’est plus une possibilité d’une «réactivation» du virus chez les patients qu’une «réinfection».
Il est probable que le virus ait été réactivé en raison de problèmes liés à l’immunité du patient, ou de changements dans les traits du virus. Il est trop tôt pour conclure si les cas de rechute provoquent une infection secondaire. C’est la première hypothèse : celle d’un virus « endormi » dans l’organisme, qui finirait par se « réveiller. »
Les directives de l’OMS stipulent qu’un patient ayant guéri du Covid-19 doit présenter deux tests de PCR négatifs, menés à au moins 24 heures d’intervalle, afin d’être autorisé à sortir de l’hôpital. Une autre piste possible pour expliquer ce mystérieux cas est celle de tests défaillants dont les résultats ne seraient pas fiables et qui concluraient à des « faux négatifs. » Pas assez efficaces, ces tests ne détecteraient pas des charges virales très basses dans l’organisme du patient. Même si cette quantité est trop basse pour que le patient soit infectieux, elle ne permet pas d’affirmer que le patient est guéri. C’est la deuxième hypothèse.
Troisième possibilité, et sûrement la plus grave : les patients infectés puis guéris ne développent pas d’immunité contre le Covid-19. Pour anticiper les périodes d’éventuelle résurgence de cette pandémie, il est nécessaire de prendre en compte la durée de l’immunité induite par la maladie et son efficacité à empêcher (ou atténuer) une réinfection qui est un élément essentiel à cerner. Précisons qu’à ce stade, la qualité et la durée de cette protection ne sont pas connues.
Par le canal de votre institut, vous aviez proposé à l’Etat de faire 1000 tests par jour. L’Ird était prêt à collaborer. Cette proposition est-elle toujours d’actualité ?
Le Sénégal a des laboratoires pour augmenter le nombre de dépistages. L’Institut Pasteur de Dakar et l’IRESSEF font actuellement du dépistage en relation avec le Ministère de la Santé. L’IRD a les capacités pour participer à ce dépistage suite à un soutien de l’IHU de Marseille du Pr Raoult et nous sommes en train d’informer les autorités sanitaires du pays pour participer au dépistage. Actuellement, nous sommes en négociation avec le Ministère de la Santé. Je sais que si l’Etat soutient les laboratoires des différentes universités, des hôpitaux, le Sénégal pourrait avoir des laboratoires décentralisés partout pour un dépistage massif ciblé autour des cas communautaires.
Vous étiez l’un des premiers à déplorer le nombre de tests faits par jour. L’histoire semble vous donner raison. Quel est votre avis aujourd’hui sur les tests de masse ?
Depuis une semaine, le nombre de tests a augmenté au Sénégal. Ce serait seulement des dépistages massifs, par sondage, qui permettraient d’avoir une idée. A défaut de ça, il faut faire un dépistage ciblé autour des cas communautaires, comme ce qui a été fait à l’école 24 de Wakhinane Nimzatt (Guédiawaye) et qui a été fermée par la suite. C’est ce qu’on peut appeler un dépistage communautaire. C’est une stratégie offensive pour traquer et dénicher les cas asymptotiques au sein des communautés, notamment dans les «Clusters» qui concentrent actuellement la maladie (Dakar et sa région, Touba, Louga, Goudiry, Ziguinchor). Les cas communautaires sont presque répartis dans toutes les communes du pays, ce qui montre que le virus circule beaucoup, sinon il n’y aurait pas de cas communautaires.
La stratégie adoptée jusqu’ici par l’Etat est-elle bonne, compte tenu de l’évolution de la maladie. Qu’est-ce que vous préconisez ? Quelle est la stratégie adéquate, selon vous ?
Concernant les cas contacts, La stratégie adoptée jusqu’ici par l’Etat est bonne. Elle consiste au dépistage d’abord des cas suspects, qui une fois confirmés, sont hospitalisés au niveau des centres de traitement. Ensuite, les contacts des cas index sont regroupés au niveau des réceptifs hôteliers et suivis pendant 14 jours. Enfin, tout contact qui devient positif lors du suivi et présentant ou non des signes cliniques, est acheminé au niveau du centre de traitement. Ils restent pour la plupart porteurs du virus 7 jours après leur date d’hospitalisation. La directive sur le port obligatoire des masques dans certains lieux publics ou privés est à saluer et maintenir, mais on ne pourra mesurer l’impact qu’après deux semaines d’application de cette mesure.
Une possibilité de saturation des centres de traitement est à craindre si le nombre de contacts positifs suivis devenait important dans un contexte de transmission communautaire élevée. L’apparition et l’augmentation des cas provenant de la transmission communautaire peuvent rendre difficile l’effectivité des stratégies de contrôle et risquent d’amplifier le niveau de transmission.
Pour atteindre ces objectifs, il sera vraisemblablement nécessaire de combiner deux types de tests. Les tests permettant d’identifier les individus porteurs du virus et les tests identifiant les individus ayant développé une réponse immunitaire contre le virus. Combinés, ces tests permettent d’identifier trois catégories d’individus. Les individus non infectés, ne présentant ni virus ni réponse immunitaire et qui sont donc susceptibles d’être infectés dans le futur. Les individus infectés, positifs pour le virus, qui peuvent disséminer l’infection et doivent donc être isolés. Et enfin, les individus qui ne sont plus infectés et qui disposent d’anticorps contre le virus. Ces derniers devraient être, en théorie, résistants à l’infection et pourraient donc circuler et retravailler sans risque pour eux-mêmes ou leurs proches. Aucun de ces tests n’est fiable à 100 %, mais utilisés par un personnel médical qualifié et en combinaison, ils permettent l’identification de la majorité des individus infectés et immunisés.
Selon les résultats d’une étude préliminaire américaine, rendue publique mardi par ses auteurs, et menée sur 368 patients du réseau des hôpitaux publics pour anciens combattants américains, l’hydroxychloroquine n’a pas semblé améliorer le sort des malades du Covid 19, puisque la proportion de patients décédés était la plus forte dans le groupe hydroxychloroquine, seulement (28%), comparé au groupe cocktail (22%) et au groupe sans hydroxychloroquine (11%). Quelle lecture avez-vous de cette étude ?
L’étude a révélé que les taux de décès dans les groupes traités avec les médicaments étaient plus élevés que ceux qui n’en avaient pas reçu. Les taux de patients sous respirateur étaient à peu près égaux, sans aucun avantage démontré par les médicaments. Effectivement, cette étude soulève de nouvelles questions sur l’efficacité de ce traitement, qui a été largement utilisé dans la pandémie.
Il faut d’abord souligner que cette étude concerne uniquement des personnes âgées, c’est à dire des anciens combattants, qui sont des personnes à haut risque pour cette maladie compte tenu de leur âge avancé.
Ensuite, souvent ces patients présentent d’autres pathologies. Enfin, cette association de médicaments est surtout efficace si elle est administrée précocement, donc avant l’installation de la gravité de la maladie et je ne pense pas que ce soit le cas. Pour rappel, la combinaison hydroxychloroquine/azithromycine s’avère efficace au début de la maladie.
NDEYE FATOU SECK