«Autant il aime les requêtes, le général, autant il déteste les enquêtes. C’est un militaire», Pierre Lemaître.
Un journal italien, Il Giornale, avait publié sur son site internet le mercredi 13 avril 2016, sous la plume de son envoyé spécial, Luigi Guelpa, une sorte d’enquête de terrain dans la zone de Mbour-Saly Portudal. L’article évoquait un grave péril lié à des actions du terrorisme islamiste au Sénégal, notamment après les attaques de Bamako, Ouagadougou et Grand Bassam. Très peu de personnes avaient lu le papier en question qui, d’ailleurs, laissait le lecteur sur sa faim. Les médias sénégalais qui avaient été aiguillonnés sur cet article qui, encore une fois, était passé presqu’inaperçu en Italie même, ont estimé inutile et inopportun de lui donner le moindre écho.
Mais l’Armée sénégalaise, par la voix du colonel Abou Thiam de la Direction des relations publiques des Armées (Dirpa), se fâche et choisit de faire une publicité tonitruante à cet article. L’Armée sénégalaise a décidé de porter plainte contre le journaliste et le journal italien, a annoncé la Dirpa la semaine dernière. Il va falloir savoir comment l’Armée nationale du Sénégal va s’y prendre pour ester en justice contre le journal italien. La procédure sera-t-elle ouverte au Sénégal ou en Italie ? Dans sa colère noire qui semble refléter les états d’âme de l’Etat-major, le colonel Abou Thiam n’indique pas encore les voies judiciaires à emprunter.
Il reste que cette initiative est on ne peut plus inopportune et vouée à l’échec. L’Armée prend la mouche parce que le journaliste affirme avoir pris contact avec des sources sécuritaires au Sénégal qui confirmeraient les craintes d’une attaque terroriste et que les forces de défense et de sécurité se prépareraient à une telle éventualité. Force est de dire qu’il n’est point besoin de parler aux autorités militaires pour savoir que le déploiement dans les zones stratégiques de Dakar et au niveau de certains endroits fréquentés par des étrangers laisse augurer des inquiétudes sécuritaires pour ne pas dire l’existence de menaces réelles.
En intentant une procédure judiciaire qui, à coup sûr, se révélera un coup d’épée dans l’eau, l’Armée nationale risque de tomber dans le ridicule et d’y entraîner le Sénégal. Quelle idée de faire comme des autocrates du genre Vladimir Poutine (Russie), Ilham Aliev (Azerbaïdjan) ou même Recep Tayyip Erdogan (Turquie), pour songer intenter des actions judiciaires contre des médias étrangers ?
Ces despotes qui font la risée des médias internationaux, ne se suffisant plus de faire vivre le martyr à leur Peuple et notamment les journalistes, cherchent à internationaliser leur croisade contre les médias mal pensants. Recep Tayyip Erdogan, qui se verrait bien avec le turban d’un «Sultan», mais qui refuse cependant que ses détracteurs l’affublent d’un tel titre, a porté plainte en Allemagne contre l’humoriste Jan Böhmermann de la chaîne Zdf. C’est comme si un Yahya Jammeh de la Gambie portait plainte à Dakar contre l’humoriste «Kouthia» de la Tfm ! Ilham Aliev et Vladimir Poutine se partagent les rôles dans leurs combats contre les médias français. Non, le Sénégal et Macky Sall ne peuvent se permettre d’être logés à la même enseigne que ces chefs d’Etat et leur régime politique.
Seulement, l’Armée sénégalaise n’en est pas à sa première escarmouche du genre. Elle avait engagé le branle-bas de combat en juillet dernier contre des journalistes sénégalais de L’Observateur (Mamadou Seck et Alioune Badara Fall) pour des peccadilles. Il était reproché aux journalistes de L’Observateur d’avoir livré des informations sur le déploiement d’un contingent sénégalais en Arabie Saoudite dans le cadre de l’opération d’une coalition internationale dirigée contre les rebelles «houtis» au Yémen.
On ne voit véritablement pas en quoi les informations publiées pourraient mettre en jeu la sécurité des militaires ou saper le moral des troupes. Mais l’Armée cherchait à identifier les sources des journalistes. Peine perdue ! Mamoudou Wane du journal L’Enquête avait, lui aussi, subi le courroux de l’Armée pour avoir publié des affectations d’officiers commandant des zones militaires, comme si une telle information était censée être secrète alors que l’officier qui est nommé à la tête d’une unité militaire est toujours publiquement présenté aux troupes.
Les procédures judiciaires intentées n’ont eu qu’un fâcheux résultat, celui de pénaliser le Sénégal qui était davantage perçu comme un pays liberticide. L’Armée sénégalaise et les forces de sécurité de façon générale, qui viennent d’être dotées à l’occasion de la fête nationale du 4 avril dernier d’équipements dont tout le monde se félicite, ne sont véritablement pas attendues au prétoire, mais plutôt sur le terrain de la sécurisation des populations. Les informations publiées par Il Giornale évoquent l’existence d’une cellule terroriste basée dans la zone de Saly Portudal et dirigée par un jeune médecin du nom de Peter Saadi, un des lieutenants de Al Bagdhadi, venant de Raqqa et qui serait entré clandestinement au Sénégal. Le colonel Thiam promet que «l’Etat du Sénégal sera ferme dans cette affaire et qu’il ira jusqu’au bout, car l’information n’est pas fondée et entrave les efforts de l’Armée dans sa mission de défense et de sécurisation des personnes et de leurs biens». Mon Dieu ! L’Armée a bien mieux à faire.
Allez donc chercher ce Peter Saadi et ses sbires plutôt que de vous distraire avec un pauvre reporter de presse ! Les mérites de l’Armée sénégalaise sont connus de tout le monde. Les soldats et officiers sénégalais présents depuis toujours sur des théâtres d’opérations à l’étranger n’ont point besoin de s’aliéner les médias qui couvrent ces situations. Des mauvais comportements de militaires sénégalais à l’étranger ne font jamais les choux gras des médias, leur réputation demeure immaculée.
Au plan national, il y a de réels motifs de satisfaction quant au management des crédits alloués à l’Armée. Pour les mêmes montants de crédits alloués, l’Armée sénégalaise a appris à mieux les dépenser et a pu s’équiper de façon exceptionnelle. On peut bien considérer que les crédits budgétaires n’ont pas ces dernières années suivi, pour l’essentiel, les circuits occultes au détriment des véritables missions.
Tous les corps d’armes ont exhibé avec fierté leurs nouveaux matériels et aucun camion de transport de troupes militaires ou un char n’est tombé en panne au beau milieu du défilé du 4 avril. On avait l’habitude de voir et de se gausser d’un tel spectacle. La marine nationale et l’armée de l’air retrouvent une nouvelle jeunesse avec des navires et des aéronefs. Cette nouvelle situation justifierait bien des enquêtes sur l’utilisation des ressources budgétaires dont les services de l’Armée nationale étaient dotés auparavant.
Pourquoi alors perdre son temps dans des futilités ?