L’arrivée de Maitre Abdoulaye Wade a brusquement injecté des flux d’électricité dans la campagne électorale. D’où l’électrochoc qui sème les soucis, installe les inquiétudes et – en conséquence – gonfle anxieusement les interrogations. Tout semblait glissant ; désormais tout est heurté et rugueux. Le dinosaure très manœuvrier Abdoulaye Wade parle fort et menace rageusement. Foncera-t-il ? Pour l’instant, il fignole ses coups dans cette inédite et ultime élection qui n’est pas la sienne. Preuve que le non-candidat et non moins chef du PDS détient une grosse influence dans l’ambiance de la campagne et possède – peut-être – un insondable schéma dans l’épilogue du scrutin.
En vérité, l’inoxydable icône du Sopi est en face d’un dilemme digne de Corneille. Entre le geôlier de son fils (Macky Sall) et celui dont lui-même fut le geôlier (Idrissa Seck), le cœur et les calculs de Wade balancent. Une posture de « ni Macky ni Idy » qui réjouit le candidat de Benno Bokk Yakaar, à défaut de le fortifier dans l’immédiat. Car l’absence d’un signal visible et l’inexistence d’un cap fixé par le « berger » Abdoulaye Wade, laissent le « troupeau » sans guide et sans aiguillon. Du coup, les libéraux fidèlement wadistes vont divaguer, se disperser et s’égarer dans les isoloirs. Idrissa Seck et Ousmane Sonko recevront leurs quotas respectifs de votants, en provenance du PDS, douloureusement désappointés par le manque déroutant de consignes. Sans oublier le pôle (originel) d’attraction libérale que constitue, dès le départ, la coalition Madické 2019. Subsidiairement, le candidat du PUR (le Professeur Issa Sall) recevra des vagues de votants libéraux complètement éperdus.
Voilà le flottement fatal qui donne amplement raison à Maitre Madické Niang. Le drame de Madické Niang est : « d’avoir raison avant tout le monde » pour paraphraser Turgot. Un drame que l’alchimie de la politique transforme à vue d’œil et progressivement en dividende…électoral. En effet, c’est un Madické Niang – contesté et délégitimé voire excommunié par le chef historique des libéraux – qui sauve paradoxalement et honorablement les meubles, en sauvegardant et en déployant le drapeau du PDS (sans le sigle) dans le panorama de la campagne. Doyen d’âge de la campagne électorale (le doyen de la candidature étant Idrissa Seck qui a affronté Abdoulaye en 2007) l’ex-Ministre des Affaires est visiblement un adepte de la modération et de la mesure. Deux caractéristiques qui émaillent ou modulent ses discours inspirés par un programme réaliste. A cet égard, le chapitre consacré au CFA fournit le reflet éloquent d’une volonté cadencée de changement, en rapport avec les pays de l’UEMOA. Le tout adossé à l’Accord de 1983 portant création d’une monnaie CEDEAO. Un réalisme rassurant ; parce que situé aux antipodes du populisme imprudent dans un domaine aussi névralgique que la monnaie.
Le non-déraillement de la campagne, jusque-là, signifie-t-il que l’électrochoc lié au retour de Wade, ne diffusera point ses ondes de choc déstabilisatrices ou perturbatrices ? Difficile de répondre en termes abrupts. L’agenda de Maitre Wade est aussi caché que son hyperactivité reste spectaculaire. A l’issue d’une première tranche de déplacements, notamment dans le Sénégal des foyers religieux, l’ancien chef de l’Etat a rencontré le candidat Ousmane Sonko. Quand un foudre de guerre (jeune) s’enferme avec un foudre de guerre (vieux et en mal de guerre), la discussion ne porte pas sur le sexe des anges. Bien au contraire, ce sont la planification et l’action qui meublent l’ordre du jour. Par ailleurs, le leader de PASTEEF, Ousmane Sonko, est le seul, parmi les cinq candidats, interpellé publiquement, contacté ouvertement et reçu, devant les caméras, par Maitre Abdoulaye Wade.
D’un point de vue politique et symbolique, Ousmane Sonko est partiellement gagnant de ce tête-à-tête qui a valeur de semi-consigne c’est-à-dire de feu non vert mais plutôt jaune moutarde. Pas jaune clair. Car, Abdoulaye Wade est mordu de poker et friand de nuance. Au plan stratégique et tactique, le député-candidat Ousmane Sonko, sort visiblement songeur de ces échanges…étranges avec le chef historique du libéralisme sénégalais. Echanges à l’issue desquels, le « Patriote » Sonko a exprimé sa solidarité avec le Patriarche. Solidarité dans le boycott ? Il est d’ores et déjà écarté. Solidarité dans le chaos post-scrutin ? Le futur immédiat (24 février) y répondra. D’un côté, Ousmane Sonko est psychologiquement pris en sandwich entre l’alerte alarmante et probablement sérieuse de l’ex- Président Wade (l’emprisonnement programmé du fondateur de PASTEEF, au lendemain du triomphe de Macky Sall) et l’espoir ferme d’une victoire d’un des quatre candidats. De l’autre, Abdoulaye Wade fait feu de tout bois. Question : Ousmane Sonko acceptera-t-il d’être le bois avec lequel Abdoulaye Wade fait feu ?
En cette année électorale 2019, le non-candidat Abdoulaye Wade inquiète voire tétanise le Président sortant, Macky Sall, impressionne les candidats, draine les foules, subjugue les esprits et interloque les observateurs. Le discours extrême (appel au boycott), les pans levés sur de présumés milliards volés par son ex-Premier ministre, en l’occurrence Macky Sall, et l’évocation – en termes scandaleux – du « Fonds spécial Casamance » (on devrait dire Filon d’or Casamance) démontrent que le chef du PDS est dans l’offensive et, surtout, en escalade dans l’offensive. Est-ce la stratégie du déboulonnage de Macky Sall ou celle de l’enfumage purement politique ? La question est d’autant plus brûlante que le Président Alpha Condé a bouclé récemment une série d’interventions apaisantes dans les relations triangulaires Wade, Wade fils et Macky Sall.
En tout état de cause, si Karim Wade revenait du Qatar et se plaçait debout sur la ligne de front face aux forces de l’ordre ou acceptait l’épreuve d’un nouvel emprisonnement, la tension – tant désirée par son père Abdoulaye Wade – serait moins artificielle et plus réelle. Et l’option de l’insurrection serait plus convaincante et porteuse de mobilisation.