L’Afrique, continent le plus touché par l’infertilité …

 

Devant l'hôpital Gandhi d'Addis-Abeba, en Ethiopie, le 1er mai 2014.

Devant l’hôpital Gandhi d’Addis-Abeba, en Ethiopie, le 1er mai 2014. CRÉDITS : REUTERS

Jour après jour, le cabinet du professeur Tolly Sy, gynécologue et chef de la maternité d’un des deux hôpitaux de Conakry, capitale de la Guinée, est pris d’assaut. S’il travaillait le vendredi, les patients feraient sans doute l’économie de la prière pour se précipiter à la consultation de cet homme avenant, la quarantaine, impeccable dans sa blouse blanche.

Qui sont ces patients si nombreux, dans les beaux bâtiments coloniaux de l’hôpital Ignace Deen ? Des femmes enceintes venues pour leur consultation prénatale ? Des jeunes filles désireuses d’avorter ? Pas seulement. « Tous les jours, je reçois en consultation des femmes ou des couples qui ne parviennent pas à concevoir et qui vivent cela comme un drame », lâche le gynécologue guinéen formé en Russie.

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Des centres d’aide médicale à la procréation (AMP) apparaissent dans les grandes villes africaines, mais ces techniques s’adressent encore à une minorité de privilégiés.

L’infertilité n’est pas un problème réservé aux riches pays occidentaux. En Afrique, les taux d’infertilité sont les plus élevés du monde : entre 15 % et 30 % des couples seraient touchés, contre 5 % à 10 % enEurope. Et c’est en Afrique que les traitements sont les plus rares : seul 1 % des 5 millions d’enfants nés par fécondation in vitro depuis la mise au point de la technique sont africains.

Infections mal soignées

A plus de 3 000 km au sud-est de Conakry vit une star de la médecine africaine : Ernestine Gwet Bell, gynécologue obstétricienne spécialisée en infertilité à Douala, au Cameroun. L’ancienne présidente du Groupe interafricain d’étude et de recherche et d’application sur la fertilité (Gieraf) est la « mère » du premier bébé-éprouvette camerounais, né en 1998, seize ans après Amandine, le premier bébé-éprouvette français.

Elle est bien placée pour le savoir : « La fécondité des femmes en Afrique subsaharienne est en train de baisser. L’hypernatalité est loin d’y être aussi marquée qu’on le pense », explique-t-elle.

Très souvent, et sans surprise, ce sont les femmes qui sont blâmées de

, et sans surprise, ce sont les femmes qui sont blâmées de l’absence d’enfant. Pourtant, une étude menée en 2011 par le Gieraf a mis en évidence le partage des responsabilités dans les problèmes d’infertilité : femmes et hommes sont en cause dans 40 % des cas chacun, et dans les 20 % de cas restants, les deux personnes du couple ont des difficultés à concevoir. Une situation parfaitement comparable aux autres régions du monde. Mais les causes d’infertilité, elles, sont spécifiques au continent. « En Afrique, la première cause d’infertilité chez les femmes, ce sont les trompes bouchées en raison d’infections sexuellement transmissibles mal soignées, d’avortements pratiqués hors milieu médical ou d’accouchements qui se font encore dans des conditions génératrices d’infections »,poursuit Ernestine Gwet Bell.

Du côté des hommes, les causes environnementales (pollution, exposition à des produits toxiques) jouent un rôle important dans la mauvaise qualité du sperme, mais les causes infectieuses viennent majorerle problème. « Il en résulte une anomalie des spermatozoïdes et, chez 12 % de ces hommes, nous sommes confrontés à une “azoospermie”, c’est-à-dire une absence totale de spermatozoïdes dans le sperme », constate la doctoresse camerounaise.

Les couples « tournent en rond »

Si les femmes sont les premières montrées du doigt quand l’enfant se faire attendre, ce sont souvent aussi les premières à chercher une solution. Mais beaucoup ne s’adressent qu’à leurs proches. « Les patients africains ne savent pas toujours qu’il existe des médecins spécialistes de l’infertilité. Seulement 15 % des couples, les plus urbains et modernes, se rendent directement chez un spécialiste », poursuit le docteur Gwet Bell. « Beaucoup de familles vont évoquer des causes surnaturelles, témoigne de son côté le professeur Sy, de Conakry. Pour beaucoup de femmes, en zone rurale, le premier recours pouravoir un bébé, c’est Dieu ou le marabout. »

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : dans 40 % des cas, les couples ne se rendent pas dans une structure sanitaire, mais cherchent de l’aide auprès de personnes sans formation médicale. Les autres vont s’adresser à des centres de santé de premier niveau, où le personnel est mal formé aux questions relatives à l’infertilité. Enfin, parmi les rares couples qui connaissent l’existence de ces centres spécialisés, la plupart les considèrent comme étant hors de leur portée. Pour des raisons financières – une fécondation in vitro dans un centre coûte entre 1 000 et 2 000 euros – et d’accessibilité : ces centres, tous privés, ne se trouvent que dans les grandes villes. Résultat, les couples « tournent en rond » pendant des années et perdent en moyenne… douze ans !

« Les patients font le tour de tous les praticiens, prennent toutes sortes de médicaments. La réserve ovarienne des femmes est souvent complètement effondrée quand elles arrivent à nous, témoigne le docteur Moïse Fiadjoe, gynécologue obstétricien à la clinique Biasa, qui pratique l’AMP à Lomé, au Togo. En moyenne, les femmes que nous voyons ont déjà 38 ans et nombreuses sont celles qui ont besoin d’un don d’ovocytes. »

« Un homme stérile, c’est une honte pour la famille »

Un parcours du combattant qui met les couples à rude épreuve. « Les mariages vont bien souvent exploser avant, note Ernestine Gwet Bell. Bon nombre d’hommes ne vont pas accompagner leur femme dans tout ce processus, et se tournent vers d’autres femmes pour tenter de procréer. »

Et même lorsqu’une femme ou un couple a franchi la porte d’un centre spécialisé, des problèmes culturels et sociaux encombrent encore ces situations d’infertilité. C’est le plus souvent du côté du mari que le bât blesse. « Quand l’homme est responsable de l’infertilité, les problèmes sont plus aigus, constate la gynécologue camerounaise. Si c’est indispensable, nous essayons de faire accepter le don de sperme. Ce n’est pas toujours simple, même si les choses évoluent. »

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Le don de sperme est porteur de nombreux tabous. « Un homme stérile, c’est une honte pour la famille : il est considéré comme un vaurien », assure Moïse Fiadjoe. Même dans les situations où les hommes ont accepté le don de sperme, beaucoup demandent à ce que leur partenaire ne soit pas informée. « Une information que nous ne pouvons évidemment pas taire. Les femmes, dans la plupart des cas, ne sont pas contre, les problèmes que nous rencontrons sont souvent liés à la susceptibilité masculine », note le docteur Gwet Bell. « Le gros challenge des gynécologues africains, c’est que le mari annonce à sa femme son incapacité à faire un enfant et la nécessité de faire appel à un don de sperme. Il faut que l’information puisse circuler dans le couple », ajoute le docteur Fiadjoe. Le recours à l’AMP reste dans l’écrasante majorité des cas le « secret » du couple, aussi destiné à protéger l’enfant, lequel risquerait d’être rejeté par la famille élargie.

La clinique du docteur Fiadjoe accueille des patients de tout le Togo, mais aussi de la sous-région. « Nous avons beaucoup de patients venant des pays à forte domination musulmane, où les dons de gamètes sont interdits. »

Dans l’ombre des grandes épidémies

Le professeur Sy, lui, envoie ses patients les plus aisés à Dakar ; la Guinée n’offrant aucune possibilité d’AMP. Car le nombre de centres, même s’il progresse, est encore largement insuffisant. « En Afrique, un centre est créé tous les ans, en moyenne. Et environ deux tiers des pays du continent ont une offre d’AMP. Mais il faut un centre de la fertilité par million d’habitants, indique le gynécologue togolais. Si on considère les besoins des populations, nous n’en avons pas encore assez. Mais si on considère le pouvoir d’achat des populations, ces centres ne pourraient pas satisfaire les besoins sans soutien financier extérieur. Car il n’y a aucune aide à la prise en charge de ces soins. »
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