La Tunisie en pleine zone de turbulences

Le 9 mai, le président de l’instance électorale s’est dit « contraint à la démission » faute de pouvoir organiser des élections libres et transparentes. Alors que le pays s’enfonce dans la crise, le président Beji Caïd Essebsi entend réquisitionner l’armée pour protéger les sites de production face aux mouvements sociaux.

► Pourquoi le président de l’instance électorale Chafik Sarsar a-t-il démissionné ?

Après s’être démené des mois pour organiser, le 17 décembre 2017, les premières élections municipales depuis la révolution de 2011, le président de l’instance supérieure indépendante des élections (Isie) Chafik Sarsar s’est dit mardi 9 mai « contraint à la démission ». Il a évoqué de tels conflits internes que le serment « d’œuvrer à des élections libres et transparentes » était menacé. Il a été suivi par le vice-président et l’un des neuf membres du conseil de l’instance. Auparavant, le directeur de l’établissement avait demandé à être relevé de ses fonctions, de même que plusieurs directeurs de départements, solidaires de ce dernier.

Cette annonce a fait l’effet d’un coup de tonnerre en Tunisie. Que l’Isie, pilier de la transition démocratique créé en 2011, soit aujourd’hui l’objet de tiraillements sur sa mission et ses choix stratégiques, voire de sourdes pressions politiques, ajoute au lourd climat d’inquiétude et de marasme économique.

► Quelle est la réponse du président Essebsi ?

Le président Beji Caïd Essebsi s’est voulu rassurant mercredi 10 mai, en affirmant que les élections auraient bien lieu à la date prévue. Très attendu, son discours a toutefois laissé les Tunisiens sur leur faim. Aux mouvements sociaux qui secouent le pays, il a répondu en confortant le faible gouvernement de Youssef Chahed et en réquisitionnant l’armée afin de « protéger les ressources du peuple tunisien » et de permettre l’exploitation des sites de production. « Si vous bloquez notre peu de ressources, où allons-nous ? », a-il lancé à l’adresse des manifestants.

Le chef de l’État a également défendu son projet de loi de réconciliation économique comme la seule voie pour sortir le pays de la crise, critiquant les appels à manifester contre ce projet, dont la troisième mouture depuis l’été 2015 est actuellement débattue au parlement. Combattue par de larges franges de la société civile et une partie de la classe politique, cette loi retirerait à l’instance vérité et dignité la compétence d’enquêter sur les crimes de corruption, selon Amna Guellali, de l’ONG Human Right Watch, qui a publié une opinion sur le site Nawaat. La loi permettrait aux personnes corrompues de « racheter leurs fautes au rabais » et aux fonctionnaires impliqués d’être amnistiés, « enracinant ainsi la culture de l’impunité dans l’administration », s’insurge Amna Guellali.

► Pourquoi la transition politique et économique patine-t-elle ?

Pour le laboratoire d’idées International Crisis Group (ICG), la Tunisie entre en zone dangereuse. Selon son rapport publié le 9 mai sur « la transition bloquée », le consensus politique autour de l’alliance entre les deux grands partis, Nidda tounes (du président) et Ennahda (islamiste) a, in fine, paralysé le système. La quête de compromis s’est muée en tractations politiques informelles, dans lesquelles « des hommes de l’ombre du milieu des affaires tirent les ficelles en coulisse pour défendre leurs intérêts », analyse l’ICG.

Ces hommes empêchent toute réforme. Qui plus est, l’élite économique du Sahel et les nouveaux entrepreneurs, qui ont prospéré en partie sur le commerce parallèle et la contrebande avec la Libye et l’Algérie, financent les partis politiques et se livrent une guerre dans un « jeu perdant perdant qui les conduit à se saboter économiquement les uns les autres ».

La corruption qui prévalait sous l’ère Ben Ali s’étend, gangrenant la classe politique et l’État, estime encore le laboratoire d’idées. Les inégalités régionales et la mécanique d’exclusion sociale qui avaient nourri le soulèvement de l’hiver 2010-2011 se sont accrues.

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