L’alignement du Président de la République sur un avis et une décision de cet organe a déclenché un déchaînement de passions empreintes d’enluminure idéologique et politique. Ces séries de débats recevables dans une démocratie font rejaillir l’effervescence politique des citoyens. Dans un contexte économique où une grande majorité de citoyens mènent une vie injuste et difficilement tenable, le débat sur la réduction ou non de la durée du mandat présidentiel ne produit aucune richesse.
Le respect de la parole donnée doit-il primer sur la constitution ?
La constitution doit-elle primer sur le respect de la parole donnée ?
Pour être valable, une décision du Conseil constitutionnel doit-elle acquérir l’attribut de légitimation des élites ?
Pour mémoire, sous le régime socialiste, la loi n°91-46 du 6 octobre 1991 avait prévu de limiter le magistère du Président de la République à deux mandats. Cette disposition a été modifiée sous le même régime socialiste par la loi constitutionnelle n°98-43 du 10 octobre 1998 qui a supprimé la limitation à deux mandats. Votée le 7 janvier 2001, la loi référendaire avait institué en son art.27 que « La durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Ce mandat est renouvelable une seule fois ». La constitution du 22 janvier 2001 avait précisé en son art.104 al.1er que « Le Président de la République en fonction poursuit son mandat jusqu’à son terme. Toutes les autres dispositions de la présente constitution lui sont applicables ».
Il est à noter que la technique rédactionnelle empruntée est claire. L’on a voulu réaffirmer le principe de non rétroactivité de la nouvelle constitution relativement à la durée du mandat du Président de la République en même temps que la nouvelle constitution consacrait le principe de son application immédiate. Sans risque de se tromper, on peut considérer que le nouveau projet de révision qui sera soumis au référendum a substitué à l’ancienne formulation de l’art.104 al.1er de la nouvelle formulation que la nouvelle disposition instituant le retour à un quinquennat « s’appliquait au mandat en cours… ». Mais en le faisant, le nouveau projet relançait le débat sur le conflit de lois dans le temps. Il s’en déduit que l’ancienne précision de l’art.104 al.1er(abrogé par le projet qui sera soumis au référendum du 20 mars 2016) était même superfétatoire.
Force est de constater que dans un terrain presque miné par des monstruosités à jet continu, la tâche est ardue et sonne par moments comme un défi car un risque de lassitude nous guette par l’absence d’espace libre pour penser sereinement. Cela traduit aussi un signe de saturation surtout quand les propos vont dans tous les sens et génèrent une polysémie problématique conduisant à un échafaudage d’hypothèses parfois sans valeur. Les agitations insensées et invectivantes de citoyens dans les réseaux sociaux ne sont pas acceptables. Ceux qui s’agitent et invectivent n’ont d’autres choix que de se laisser envahir par la spontanéité de leur inculture. La lucidité n’est pas dans l’esprit et le mode cognitif de ces personnes.
Forme de sagesse en dépit des aléas, le droit est une intelligence sans passion dont les modes de raisonnement relèvent d’une longue tradition syllogistique.
I – Les modes de raisonnement juridique : une vision simple et ample
Le débat juridique de fond porte sur certains principes généraux du droit qui sont enseignés dès la 1ère année de droit : le conflit de lois dans le temps, les lois d’application immédiate, le principe de non rétroactivité de la loi, les modes de raisonnements juridique… Il convient de s’interroger avec alacrité sur les problématiques de fond qui relèvent de l’épistémologie juridique et socio-anthropologique. Est-il juridiquement possible de réduire la durée du mandat présidentiel en cours ? Garant du contrôle de constitutionnalité des lois, le Conseil constitutionnel a émis une décision de fond qui lie le Président de la République et un avis procédural qui ne le lie pas.
Pour réviser la constitution, le Président de la République est libre de choisir la voie parlementaire ou référendaire (art.104 de la constitution du 22 janvier 2001) : cela relève de son pouvoir discrétionnaire. « Le Président de la République peut, après avoir recueilli l’avis du Président de l’assemblée nationale et du conseil constitutionnel, soumettre tout projet de loi constitutionnelle au référendum » (art.51 de la constitution du 22 janvier 2001). Une fluidité sans écueil qui ne souffre d’aucune ambiguïté.
La complexité d’application des règles du droit conduit à leur interprétation. Ceux qui interprètent ces règles s’appuient sur des outils solides.
Celles-ci se fondent sur l’herméneutique juridique. En substance, il y a trois modes de raisonnements juridiques : les raisonnements a pari, a fortiori, a contrario. Si le Président peut réduire son mandat en cours d’exercice, il peut a contrario l’allonger au-delà du délai prévu en modifiant la constitution. Beaucoup de chefs d’Etat africains se sont engouffrés dans ce type d’interprétation pour s’enkyster au sommet des institutions. Ainsi, des coups d’Etat ont assuré l’alternance politique : ce qui est tout de même très regrettable et condamnable !
1– Des modes qui relèvent de la logique
L’interprétation peut être grammaticale s’appuyant sur l’étymologie, la lexicographie pour surmonter la technicité du langage juridique.
2 – Des modes qui relèvent du raisonnement par analogie
Il s’agit de modes raisonnement a pari, a fortiori et a contrario. Ils ne relèvent pas de la logique. Ils sont fondés sur la similitude, la ressemblance et la dissemblance.
Le mode de raisonnement a pari consiste à étendre une solution sur une autre situation similaire.
Le mode de raisonnement a fortiori repose sur l’idée « à plus forte raison ». On parle de ressemblance accentuée.
Le raisonnement a contrario ou par analogie inversée.
Pour rendre compte de la pertinence de l’avis du Conseil constitutionnel, il faut projeter sur celui-ci le raisonnement a contrario.
Le Président ne peut pas réduire son mandat en cours. A contrario, il ne peut pas aussi le rallonger : « La durée du mandat du Président de la République est de sept ans. Le mandat est renouvelable une seule fois » (art.27 de la constitution du 22 janvier 2001). La dissemblance entre la réduction de la durée du mandat en cours et l’allongement de la durée de celle-ci au-delà des 7 ans prévus par la constitution nous fait comprendre que rien n’est possible dans les deux cas « au temps T ».
La volonté du Président de pérenniser une stabilité institutionnelle se lit notamment à travers la limitation des mandats présidentiels. Ainsi, l’article 27 du texte définitif du projet de loi portant révision de la constitution qui sera soumis au référendum dispose in fine : « La durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ».
D’éminents juristes et politistes sénégalais ont exprimé leur étonnement du fait que le Président ait suivi le Conseil constitutionnel. Le respect et la gratitude dus à ces sommités ne doivent pas entraîner une paralysie de l’esprit. Entre empilement des contestations et des louanges, on espérait des commentaires instructifs de la décision du Conseil constitutionnel éclairant davantage les facultés de droit : condenser pour densifier sans jamais oublier le chaos de 2012 sur les ruines duquel a été élu l’actuel Président de la République qui cherche à rassembler les morceaux épars d’une chaîne brisée.
Les sages ont rendu un avis sur la forme procédurale de révision de la constitution et une décision sur l’application immédiate de la loi ramenant le mandat du Président de la République de 7 à 5 ans. « Il s’agit d’une compétence juridictionnelle » nous rappelle en bon droit le Professeur Mody GADIAGA. Puis que l’avis porte sur une question procédurale donc de forme, il ne lie pas le Président de la République. La décision du Conseil constitutionnel portant sur la durée du mandat présidentiel en cours porte sur une question de fond qui lie le Président de la République qui d’ailleurs s’y plie. Il est heureux qu’il en soit ainsi !
II –La loi issue du projet de réduction de la durée du mandat présidentiel sera d’application immédiate
En effet, la loi réduisant la durée du mandat présidentiel ne peut pas rétroagir ; elle sera d’application immédiate.
Puisque la loi ne peut pas résoudre tous les problèmes juridiques, il y a différentes formes d’interprétation fondée sur l’herméneutique : l’herméneutique juridique, l’herméneutique religieuse ou philosophique. L’herméneutique juridique est fondée sur le caractère pragmatique, objectif et rationnel de l’interprétation. L’herméneutique philosophique privilégie le caractère subjectif de l’interprétation (HEIDEGGER, 1889-1976). Cette méthode met en avant la part du sujet dans l’interprétation en la contextualisant.
A – Principe
L’office de la loi est de repérer l’avenir : La loi ne peut rétroagir sur le mandat présidentiel en cours. « Le Président de la République poursuit son mandat jusqu’à son terme » (art.104 de la constitution du 22 janvier 2001).
Présentant en 1803 l’article 2 du Code civil, Jean-Etienne-Marie PORTALIS (1746-1807), avocat et philosophe du droit précisait : « C’est un principe général que les lois n’ont point d’effet rétroactif ».
Dans le cas qui nous concerne, la part du Conseil constitutionnel dans l’interprétation est mécanique. Il s’agissait de voir si oui ou non le Président peut réduire la durée de son mandat en cours. Autrement dit : est ce que la loi portant réduction de la durée du mandat présidentiel sera d’application immédiate ? Oui, a répondu en bon droit le Conseil constitutionnel. Même si on s’accordait que le Conseil constitutionnel a rendu un avis sur la réduction de la durée du mandat présidentiel, force est d’admettre que cet avis comporte une part de décision car il s’agit d’une question de fond. Du point de vue de la théorie et de la philosophie du droit, un avis comporte aussi une part de décision. C’est ce que les juristes appellent le décisionnisme (Hugues RABAULT). Cela correspond à l’acte de volonté, au normativisme évoqué par Hans KELSEN, 1881-1973. Ce qui importe pour rendre intelligible le discours juridique, c’est de savoir si ce qui est rendu par le Conseil constitutionnel porte sur le fond ou la forme.
Régies par une structuration pyramidale (Hans KELSEN), les normes juridiques articulent normes supérieures et normes inférieures (constitution, lois, règlements). Les normes dites inférieures doivent être conformes aux normes dites supérieures. La proposition du Président de la République n’a comme seul destin que d’être invalidée par le Conseil constitutionnel car réduire la durée du mandat en cours c’est violer la constitution : ce qui serait grave ! Le Président de la République avait donc deux possibilités : respecter ou transgresser la constitution comme savent le faire plusieurs chefs d’Etat africains. En respectant la norme fondamentale, il inscrit sa démarche dans une stabilité qui a un sens politique louable et une valeur républicaine incontestable. La garantie de la stabilité des institutions du Sénégal doit être aussi un fil conducteur dans l’interprétation.
B – Exceptions
La rétroactivité d’une loi est possible dans certaines conditions qui excluent le champ du mandat présidentiel en cours. Les lois pénales plus douces, les lois fiscales régissant les revenus peuvent être d’application immédiate.
Peut-on changer de règles du jeu durant le jeu ? En principe NON !
C’est un raisonnement socio-anthropologique qui sous-tend l’opinion de ceux qui pensent que la réduction du mandat en cours est possible au nom du respect de la parole donnée. Certes cela peut se comprendre surtout dans une société où l’oralité régit les relations humaines dans plusieurs sphères de la vie publique et privée. Cela est d’autant plus pertinent qu’un proverbe l’a consacré : « On lie les bœufs par les cornes et les hommes par la parole ». Dans les pays privilégiant les techniques de démocratie semi-directe (l’initiative, le référendum et la révocation populaires) la réduction du mandat en cours serait peut-être possible. Les institutions du Sénégal n’étant pas dans ce cas de figure, il convient de nous ressaisir afin de comprendre le réel pour aller vers l’idéal.
En remontant le temps, l’on note que nombre de Présidents africains nous ont habitués à modifier les constitutions pour que celles-ci s’adaptent à leurs préoccupations personnelles : creuser le sillon pour conserver le pouvoir le plus longtemps possible. Ainsi, élu Président du Niger en novembre 1999 et réélu en décembre 2004, Mamadou TANDJA, a prolongé en 2009 son mandat de 3 ans suite à un référendum organisé la même année. Les arguments juridiques visant à justifier l’opération de M. TANDJA étaient assez pauvres. Le 18 février 2010, un coup d’Etat l’a mis hors d’état de nuire son pays.
Arrivé au pouvoir en 1987 suite à un coup d’Etat contre Thomas SANKARA, Blaise COMPAORE, pour se maintenir, a modifié en 2005 la constitution burkinabé de 1991. L’opération tentée en 2015 pour briguer un nouveau mandat a tourné aux émeutes qui l’ont chassé du pouvoir. Autant dire qu’ils ont été nombreux à s’accrocher au pouvoir sauf le Président SENGHOR qui est parti de lui-même le 1er janvier 1981. Il n’est pas souhaitable au Sénégal qu’un Président de la République fasse plus de deux mandats successifs.
On sait que les chefs d’Etat africains sont capables de prouesses impressionnantes pour conserver le pouvoir faisant ainsi de leur ambition personnelle une source de dysfonctionnement et d’instabilité des institutions de leurs pays.
En se soumettant de bonne grâce à la sagesse du Conseil constitutionnel, le Président de la République devra aussi respecter le choix du peuple sénégalais issu du référendum du 20 mars 2016. Il s’inscrira ainsi dans la lignée des républicains féconds à rebours des chefs d’Etat africains qui s’accrochent durablement au pouvoir.
Là on respire ! On savoure l’imprévu !
Ibra Ciré NDIAYE
Docteur en droit
Anthropologue du droit
Université Paris1 Panthéon-Sorbonne