La lettre de protestation adressée récemment par le président Macky Sall à la France n’a pas manqué de susciter des réactions diverses auprès de l’opinion. Satellisé par la France, malgré une indépendance qui est loin d’être pleinement assumée, le Sénégal ne peut visiblement pas refuser une « ingérence » de l’ancienne Métropole. Gérant des pans importants de notre économie, la France est devenue comme la main qui nourrit notre pays. Mais son immixtion dans nos affaires devient embarrassante. Après une partie de la société civile notamment le « FRAPP », c’est le pouvoir lui-même qui sort un communiqué pour remettre le pays de Macron à sa place.
En déclarant que « le TER ne peut pas circuler en avril », l’ambassadeur de France Philippe Lalliot prend le contre-pied des autorités qui avaient calé sa mise en circulation à cette date. Dans l’émission « Grand Jury » de la Rfm, le diplomate poursuit : « il reste à faire un certain nombre de choses qu’on ne voit pas mais qui sont absolument indispensables pour que le train roule à son maximum de performance et en parfaite sécurité ». Cette déclaration sonne comme un désaveu des autorités en ce sens qu’elle révèle leur manque total de maîtrise des détails d’un projet qu’ils ont pourtant commandé ou commandité. Cela frise le ridicule quand un bailleur ne sait pas estimer la date exacte de livraison d’un chantier qu’il a gracieusement payé.
Quand les autorités tâtonnent sur la date de mise en circulation du TER
Et pourtant, l’Etat du Sénégal n’a qu’à s’en prendre à lui-même au lieu de s’insurger contre les déclarations de M. Lalliot. Beaucoup de dates ont été avancées par ces mêmes autorités quant à la mise en circulation du Train Express régional inauguré en grande pompe le 14 janvier 2019 mais elles n’ont été que de fausses alertes. Tâtonnement ? Manque de sérieux ? Ou bien serait-ce imputable à une absence de cahier de charges que devrait respecter l’entrepreneur exécutent du projet?
En tout état de cause, l’Etat du Sénégal, par la voix du ministre des transports Oumar Youm, avait annoncé la fin des travaux du Ter le 14 juin passé. Puis s’en est suivie l’annonce de la mise en circulation pour le 30 novembre 2019, et enfin le mois d’avril prochain. Même sans l’intervention de l’ambassadeur de France, qui au demeurant prêchait des convertis sur ce dossier, il faut dire que les Sénégalais doutaient fort de l’engagement de l’autorité qui a manqué à sa parole par deux fois sur la même affaire.
La lettre de protestation adressée à la France pour rappeler à l’orthodoxie diplomatique son ambassadeur laisse donc perplexe. Comment demander à un pays qui a sa main dans tous les secteurs névralgiques de l’économie et d’un projet qu’il gère notamment de s’abstenir de faire un commentaire ? Que ce soit au niveau de la téléphonie mobile, des transports, ou dans le domaine des hydrocarbures et même de la télévision, le pays de Macron est omniprésent et son ombre plane partout. Cette ingérence économique, tant qu’elle ne vire pas vers le sens contraire de l’intérêt des autorités, n’inquiète pas. Mais dès que leurs intérêts sont remis en question, comme cela semble être le cas aujourd’hui, les autorités chantonnent leur « muut mbaa mott » (se taire ou se casser) préféré ou bien le « dégagisme » de « France-Dégage » quand elles en auront assez.
La France condescendante ?
En effet, c’est lors de cette même émission que l’ambassadeur a jeté une pierre dans le jardin des amis de Guy Marius Sagna en qualifiant leur combat d’ « insensé ». Encore une autre ingérence, pourtant non dénoncée par le pouvoir. Le mouvement anti-impérialiste est cependant monté au créneau, quelques heures après l’émission, pour répondre à M. Lalliot dont il qualifie le pays de « plus grand éborgneur de manifestants au monde ».
L’attitude condescendante de l’ambassadeur n’est que la représentation symétrique de celle de son président, Emanuel Macron. Il y a un peu plus de deux mois, le président français s’était même permis de « convoquer » les présidents du « G5 Sahel » à Pau, le 16 décembre pour qu’ils s’expliquent. Même si in fine, la « convocation » est transformée en invitation, cette affaire a constitué une pilule dure à avaler surtout pour la jeunesse qui y voyait l’établissement d’un rapport de subordination entre Macron le chef et ses « disciples ».
« L’homme africain n’est pas entré dans l’histoire »
On se rappelle tous de la visite de l’ancien président Nicolas Sarkozy au Sénégal, le 26 juillet 2007. Le premier des Français avait fait des milliers de kilomètres de voyage pour venir à Dakar et nous lancer à la figure que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». Aussi la visite du président Macron au Burkina Faso en 2017 fut marquée par une remarque déplaisante qu’il a voulu mettre sur le compte de l’humour. « Il est parti réparer la climatisation », voilà la boutade que ce dernier avait lancée à l’endroit du président Roch Kaboré et qui n’avait pas plu à beaucoup de personnes.
Il est devenu ainsi difficile de « limiter » la France et ses administrateurs. Et tant que cette France réussit la satellisation des pays africains dont le nôtre qu’elle contrôle toujours, il ne faut pas espérer que la donne change. Nos présidents ne devraient pas avoir à recourir à des lettres de protestation si les contours de la collaboration et de la coopération étaient dessinés sur une base égalitaire.