D’aucuns le diront : nous sommes loin du Mamadou Sy Tounkara d’avant ! Selon lui, le report de l’élection présidentielle au Sénégal du 25 février au 15 décembre 2024 est un événement historique. Cette décision a été prise par le Président de la République en invoquant des « pouvoirs exceptionnels » prévus par l’article 52 de la Constitution, face à une « menace grave » pesant sur les institutions, notamment le Conseil Constitutionnel, chargé de superviser le processus électoral. « Un coup d’Etat Institutionnel » selon l’opposition sénégalaise.
In extenso, la tRIBUNE
Le report de l’élection présidentielle du 25 février au 15 décembre 2024 va rentrer dans les annales de l’histoire politique du Sénégal.
Le Président de la République, en invoquant l’article 52 de la Constitution de la République qui lui donne des « pouvoirs exceptionnels » en cas de crise grave menaçant « les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire national ou l’exécution des engagements internationaux », a abrogé le décret convoquant le collège électoral, ce qui, de fait, suspend le processus électoral. L’Assemblée nationale a voté ce lundi 5 février, à une majorité qualifiée de 3/5 de ses membres, pour le report.
La « menace grave » est essentiellement liée au Conseil Constitutionnel, arbitre du jeu électoral. Deux choses lui sont reprochées : soupçons de corruption de deux de ses membres et incompétence à déceler des fraudes de deux binationaux dont l’un a été rattrapé après un recours d’un autre candidat alors que la deuxième binationale ne l’a jamais été. Elle a été arrêtée par la suite et elle est actuellement dans les liens de la détention, en mode contrôle judiciaire.
Le Conseil Constitutionnel lui-même a publié un communiqué signé par tous ses sept membres pour se défendre de tout acte répréhensible et menacer de donner une suite judiciaire; un de ses membres accusés, le juge Cheikh Ndiaye, a porté plainte auprès du procureur de la République pour « outrage à magistrat et diffamation »
Le binational exclu de l’élection est Karim Meïssa Wade, chef et candidat du Parti Démocratique Sénégalais (PDS), parti d’opposition qui compte 24 députés à l’Assemblée nationale. Ces derniers ont demandé et obtenu une commission d’enquête parlementaire chargée de faire la lumière sur les « conflits d’intérêts, corruption présumée, violations flagrantes et manifestes du secret des délibérations du Conseil Constitutionnel et collusion entre certains membres dudit Conseil et des candidats ». Le Premier ministre Amadou Bâ, candidat de la majorité présidentielle a été nommément cité comme corrupteur dans cette affaire. La Commission dispose de six mois pour déposer son rapport d’enquête.
Bien avant cela, nombre de candidats recalés avaient exigé le report de l’élection présidentielle du 25 février 2024, se plaignant d’irrégularités et de manque de transparence. Un candidat validé, Bassirou Diomaye Faye, est en prison pour d’autres graves accusations non liées à cette élection et le juge lui refuse une liberté provisoire pour battre campagne.
Tout cela est très grave. Il y a de la sagesse à reporter cette élection. L’arbitre du jeu électoral a montré de l’incompétence dans le contrôle des candidatures et est l’objet d’enquête pour corruption, de même que le candidat de la majorité. Nombre de candidats recalés exigent le report. Une candidate validée est dans les liens de la détention. Un autre est en prison, empêché de battre campagne. Il y a une grave crise de confiance et de compétence qui justifie le report de cette élection du 25 février pour restaurer la confiance et mettre en place les conditions d’une élection lavée de toutes ces tares.
Mamadou Sy Tounkara, Conseiller spécial à la Présidence de la République du Sénégal.