Connue à l’étranger par l’image de jeunes hommes africains faisant admirer, sur des plages idylliques, leur musculature à des Européennes bien plus âgées, la Gambie rêve de transformer sa réputation de destination de tourisme sexuel, en diversifiant son offre.
Pour y parvenir, cette ancienne colonie britannique enclavée dans le Sénégal –à l’exception de sa façade côtière– devra miser sur la culture, l’écologie et de nouvelles infrastructures, et ne plus se contenter des séjours bon marché concentrés sur les plages proches de Banjul, la capitale, selon des experts.
Traditionnellement, la Gambie attire une clientèle essentiellement anglophone et venue du nord de l’Europe, comme des Néerlandais ou des Suédois dont les pays comptent d’importantes communautés gambiennes. Mais elle vise aussi les marchés russe et asiatique et veut davantage faire connaître son histoire coloniale et liée à la traite négrière.
Alors que le tourisme contribue déjà pour 20% au Produit intérieur brut(PIB) de la Gambie, le responsable national du secteur, Abdoulie Hydara, espère imiter d’autres pays africains qui ont su tirer parti de leur faune et de leur flore, comme le Kenya.
« Nous avons besoin de trouver de nouveaux produits tout en préservant et développant nos acquis », affirme M. Hydara: le tourisme dans les parcs nationaux, « pour que les gens aillent dans l’arrière-pays voir les singes, la vie sauvage », mais aussi les croisières de plaisance sur le fleuve Gambie.
Chimpanzés
Mais ce n’est pas le même prix. Un fossé sépare même les offres touristiques actuelles en Gambie des safaris animaliers dont rêve le pays pour diversifier son tourisme.
Les clients de Chris McIntyre, directeur général d’Expert Africa, un voyagiste britannique haut de gamme, déboursent ainsi en moyenne 6.500 euros par personne pour un safari au Kenya ou en Tanzanie. « Un bon niveau de service » est nécessaire pour de tels voyages.
Les chimpanzés sont susceptibles d’être suffisamment attractifs pour mettre en lumière tout le potentiel de la faune et de la nature en Gambie, estime M. McIntyre, en se référant à sa population de primates.
Mais le pays aura « besoin de très bons guides », dit-il.
Changer la face du tourisme en Gambie nécessitera non seulement d’importants investissements dans les routes et l’hôtellerie, mais aussi dans la population, pour réorienter les travailleurs du sexe vers d’autres activités.
Rabatteurs et souteneurs
La nuit, dans la zone touristique de Senegambia, près de Banjul, des touristes, venus notamment de Grande-Bretagne, des Pays-Bas et des pays scandinaves, s’encanaillent dans des établissements aux lumières agressives.
Hommes, femmes et enfants leur vendent leurs charmes à des tarifs négociés par l’intermédiaire de « rabatteurs », dont beaucoup sont eux aussi des travailleurs du sexe. D’autres sont des souteneurs.
Dans un bar enfumé, des couples mixtes avec une différence d’âge de 30 ou 40 ans boivent sans avoir grand-chose à se dire.
Pour Lamin Sady, 29 ans, qui vend des coquillages sur la plage pendant la saison touristique -de novembre à avril- et travaille sur un bateau de pêche le reste de l’année, l’incapacité à subvenir aux besoins d’une épouse gambienne pousse beaucoup de jeunes à coucher avec des Européennes.
Certains finissent même parfois par se marier avec elles.
« Ils n’ont pas de maison, ni de voiture », explique Lamin Sady. Leurs compagnes européennes plus âgées « les assistent financièrement, leur donnent une voiture et les aident à aller en Europe ».
Pour Njundu Drammeh, responsable d’une ONG locale active dans la protection de l’enfance, les mineurs ne sont pas épargnés.
Souvent, leurs parents ferment les yeux sur la provenance de l’argent qu’ils rapportent des plages touristiques.
D’autres acceptent le « parrainage » des études de leur progéniture, moyennant d’éventuelles contreparties sexuelles.
« Ils voient parfois l’arrivée d’un touriste dans leur maison comme une aubaine, à la fois pour la famille et l’enfant », affirme Njundu Drammeh.
Climat d’impunité
Malgré des cas présumés de pédophilie, aucun touriste n’a été poursuivi pour de tels faits en Gambie où aucune étude sérieuse n’a été menée sur le phénomène, ajoute-t-il.
Selon un membre de la police touristique se faisant appeler Lamin, ce problème est tristement familier. Avec les enfants, « il s’agit surtout de pornographie, ils (les touristes) prennent des photos » en toute impunité, dit-il.
Des mesures de prévention ont été prises dans l’industrie hôtelière et des jugements en comparution immédiate institués pour les affaires de moeurs impliquant des touristes, mais jusqu’à présent seuls des Gambiens ont été poursuivis.
Cette année, la saison touristique a été compromise par la crise politique née du refus de Yahya Jammeh, au pouvoir pendant plus de 22 ans, d’accepter sa défaite à l’élection présidentielle du 1er décembre. Au plus fort de la crise, en janvier, des milliers de touristes ont été évacués –avant que M. Jammeh ne finisse, à la suite de pressions militaires et diplomatiques, par consentir à partir en en exil.
A cause de ces turbulences politiques, l’objectif de 195.000 touristes risque de ne pas être atteint cette année, selon M. Hydara.
Un flux pourtant vital pour ce pays pauvre d’1,8 million d’habitants, qu’ils sont nombreux à essayer de fuir.
Dans le classement des migrants traversant la Méditerranée au péril de leur vie pour rejoindre l’Italie, les Gambiens occupent la triste première place par rapport à leur population, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Auteur: AFP