Malgré les 700 kilomètres qui les séparent, la ville de Kolda, au sud-est du Sénégal et Keur Massar, dans la banlieue de Dakar, vivent chaque trimestre la même effervescence. Très tôt le matin, les kiosques Orange Money ou le bureau de poste sont pris d’assaut par des hommes et des femmes venus à pied, à vélo ou en charrette des quartiers ou villages alentour.
Le but : récupérer les 25 000 francs que leur verse le Programme national de bourses familiales (PNBSF). Une somme qui fait toute la différence pour ces 300 000 bénéficiaires choisis à partir du Registre national unique, qui combine un ciblage géographique, communautaire et catégoriel pour sélectionner les ménages les plus pauvres dans tout le pays. « Sans la bourse familiale, la situation de notre famille serait plus catastrophique », confie Idrissa Diop*, chef de famille de 53 ans souffrant d’un handicap moteur. « Avant, on ne mangeait pas à notre faim mais maintenant que je perçois la bourse, nous arrivons à prendre trois repas quotidiens. La première chose que je fais, dès que je touche la bourse, c’est acheter de la nourriture. »
En injectant ainsi 7,5 milliards de francs CFA (environ 12,8 millions de dollars) chaque trimestre dans le budget de ses ménages les plus démunis, le Sénégal tente de réduire son taux de pauvreté extrême grâce aux transferts monétaires. Soutenue par l’Association internationale de développement (IDA), cette initiative a bénéficié d’un financement supplémentaire de 57 millions de dollars en janvier 2019
« À chaque fois que je perçois la bourse familiale, je vais tout de suite voir le boutiquier du quartier pour payer mes dettes contractées essentiellement pour donner un petit déjeuner à mes enfants tous les jours avant d’aller à l’école. »
Adiouma Niang
Mère de 4 enfants scolarisés à Bayakh.
Parer aux dépenses essentielles et restaurer la dignité
Dépendance
R. Thiam est originaire de la région de Kaolack et est bénéficiaire de la bourse de sécurité familiale. Lui son problème, c’est de ne pas être retiré de la liste des bénéficiaires. Elle explique : « MA famille et moi dépendons de la bourse familiale. L’idée d’être retirée de la liste des bénéficiaires me colle la frousse. Si certains pensent qu’elle est inutile, pour moi, elle est d’un grand secours, car elle permet d’acheter du riz depuis 5 ans. J’ai en charge 4 enfants et mon mari qui ne travaille plus. »
La ré-accréditation
Du côté de la délégué générale, Anta Sarr Diacko, l’heure est au bilan et à la mise à jour des bénéficiaires. « La première génération de bénéficiaires devrait percevoir la bourse pendant 5 ans, mais il y a eu prolongation et elle va faire 7 ans en octobre prochain », révèle-t-elle. Et, ajoute la déléguée générale, « nous nous préparons à cela. Avec la ré-accréditation, il s’agira de procéder à des entrées et des sorties. » Mais ceux qui vont sortir de la liste, elle a tenu à les rassurer. « Des projets sont déroulés pour les accompagner » dit-elle.
Mis en œuvre par la Délégation à la protection sociale et à la solidarité nationale (DGPSN), à travers le Projet d’appui aux filets sociaux (PAFS) l’octroi de la bourse permet avant tout aux familles d’effectuer des dépenses vitales pour se nourrir, pour la scolarité des enfants et la santé, l’alimentation étant le plus gros poste de dépense. « À chaque fois que je perçois la bourse familiale, je vais tout de suite voir le boutiquier du quartier pour payer mes dettes contractées essentiellement pour donner un petit déjeuner à mes enfants tous les jours avant d’aller à l’école », explique Adiouma Niang, maman de 4 enfants scolarisés à Bayakh.
Une aubaine pour l’économie locale et les commerçants, « Quand les paiements de la bourse de sécurité familiale arrivent, nos affaires s’améliorent nettement car les bénéficiaires viennent de tous les villages pour s’approvisionner chez nous », assure Amadou Gaye, commerçant à Kolda.
Mais bien plus que les aliments achetés ou les petites activités économiques réalisées, la bourse familiale a rendu à certaines bénéficiaires leur dignité humaine. Comme à Ndeye Mbosse Mbengue, membre du projet Yok Kom Kom à Kaolack qui, en larmes, nous explique : « La bourse familiale m’a sortie de l’esclavage. J’ai perdu mon mari alors que j’ai des enfants en bas âge, et me suis retrouvée dans une pauvreté extrême et sans aucune aide. J’ai dû fabriquer moi-même les briques de banco, une à une avec mes propres mains pour construire la case dans laquelle je vis. Non, vous ne pourrez jamais comprendre d’où la bourse m’a tirée. » Un sentiment que partage la maman d’Idrissa, élève à l’école de Kaffrine, jadis mal vêtu et dépourvu de fournitures scolaires « Depuis que je perçois la BSF, je me sens plus respectée dans le quartier. Je peux m’habiller correctement et participer à toutes les activités. Idrissa quant à lui, porte des habits propres tous les matins et va fièrement à l’école avec un cartable sur le dos, comme les autres enfants. »
L’octroi de la bourse familiale est conditionnel. Pour continuer à la percevoir, les ménages doivent obligatoirement assister à des séances de sensibilisation destinées à amorcer un changement de comportement dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’état civil, afin de rompre avec la transmission intergénérationnelle de la pauvreté.
Quelque 36 000 séances sont ainsi organisées chaque année à travers le pays pour les bénéficiaires, mais auxquelles se bousculent aussi de nombreux membre de la communauté pour profiter des thèmes qui y sont développés. « C’est vrai, l’argent est important, mais pour moi, le plus important ce sont les connaissances qui nous sont enseignées lors de nos rencontres périodiques et qui nous permettent de mieux gérer notre santé et celle de nos enfants », assure Maguette Thiaw, 35 ans, à Thiès. Pour Safi Seck habitante d’un logement social à Kaolack, les séances de sensibilisation sont très intéressantes : « J’ai une personne âgée chez moi et le fait d’assister aux séances m’a permis de mieux m’occuper d’elle. »
Certaines séances fournissent également des conseils pour mieux gérer le budget du ménage afin de ne pas manquer en cas de besoin et prioriser. « C’est parce que j’ai assisté aux séances de sensibilisation que quand je reçois l’argent, j’achète en priorité ce dont ont besoin les enfants pour bien étudier. Quand j’utilise l’argent pour faire autre chose, j’ai un problème de conscience », souligne Nafissatou Diouf.
Femme leader de quartier à Thiaroye sur mer, Habiba Diagne utilise ces séances pour s’assurer que tous les bénéficiaires de son groupe inscrivent systématiquement toutes les naissances de leurs enfants à l’état civil, « Avec moi, personne ne peut échapper à la déclaration à l’état civil », assure-t-elle.
L’État met parallèlement en œuvre le projet pilote Yok Kom Kom (« accroître les revenus » en wolof) pour aider les bénéficiaires des transferts monétaires à adhérer à des associations communautaires d’épargne et de crédit qui les encouragent à investir dans des activités plus stables et lucratives. Avec, à la clé, la perspective de rompre le cycle infernal de la pauvreté.
*Les noms ont été modifiés afin de préserver l’anonymat des bénéficiaires