Sortie de nulle part, la Société Hôtelière Africaine S.A (SHA), dirigée par Mamadou Racine Sy, s’est vue accorder, le 31 décembre 2011, sur un plateau d’argent et en violation des lois qui encadrent la passation des marchés publiques, la gestion du King Fahd Palace (KFP) doté d’un patrimoine de 33 milliards FCFA avec 321 valeureux travailleurs qui ont fait la réputation de l’établissement. Cette décision dépourvue de sens et de rationalité est intervenue à un moment où la compagnie qui était chargée de l’exploitation du complexe hôtelier, le groupe Starwood Hotels &Resorts Worldwide et les travailleurs, au prix de maints efforts et sacrifices, avaient fini de positionner « Le Méridien Président » (devenue par la suite King Fahd Palace) comme une référence dans le monde en matière d’hôtellerie d’affaire. Ce choix, discutable et motivé par des raisons obscures, a arrêté l’envol de cet établissement hôtelier qui constituait naguère un fleuron du patrimoine de l’État.
Un joyau du patrimoine national confié à des mains inexpertes : la décadence du KFP
Avec six (6) mois d’existence (créée le 13 juillet 2011) et un capital de 10 millions FCFA, la SHA ne remplissait aucun critère parmi ceux généralement admis dans les standards de gestion des hôtels d’affaires haut de gamme dans le monde. C’est comme le boutiquier du coin qui se voit confier, du jour au lendemain, la gestion de la grande surface la plus importante du pays. Dans ce cas, le fait d’avoir effectué du commerce et d’être propriétaire d’une boutique de quartier ne suffiraient pas pour justifier une telle décision. En effet, gérer une grande surface requiert beaucoup de prérequis notamment le fait de disposer des sources d’approvisionnement stables, pas chères et de qualité ainsi que la maîtrise de la chaîne logistique. Cet exemple, simple et édifiant, permet de mesurer le degré de forfaiture des autorités d’alors qui avaient pris la décision d’évincer le groupe Starwood Hotels &Resorts Worldwide au profit de la SHA. Les autorités actuelles ont laissé faire et se complaisent dans un mutisme injustifié en allant jusqu’à renouveler ce contrat. Elles sont donc complices de cette forfaiture.
En effet, avant d’être absorbée par Marriott International, le groupe Starwood était, au moment des faits, l’un des plus importants groupes hôteliers du monde avec l’exploitation de 1200 sites répartis à travers une centaine de pays. De plus, il détenait plusieurs « Marques » internationalement réputées et qui sont synonymes de sécurité et de qualité du service (Sheraton, Le Méridien, etc.). Face à ce mastodonte, le groupe Sénégal Tours, que préside Mamadou Racine Sy, n’avait pas la capacité, ni les réseaux pour offrir au KFP la force de vente pouvant lui permettre de capter la clientèle aisée et rentable dont il avait besoin pour continuer son expansion. Par conséquent, l’argument voulant justifier l’incongruité de la décision de confier la gestion du KFP à SHA tombe de lui-même. Il ne s’agit nullement de remettre en cause le principe de la préférence nationale ni le besoin de mettre le pied à l’étrier les entrepreneurs nationaux. Cependant, il y avait certainement des moyens de le faire autrement, car le segment de l’hôtellerie d’affaire a ses propres réalités : si un réceptif hôtelier ne s’adosse pas sur un groupe disposant de réseaux et de ramifications au plan international, aucune chance d’assurer sa pérennité et la préservation de ses emplois ! C’est une réalité, objective et incontournable. Les régimes successifs ont fait fi de cette réalité. Ils ont fauté.
Avec l’arrivée de SHA, le KFP est entré dans un cycle de décadence à tous égards que toutes les tentatives de maquillage (une spécialité du gouvernement actuel !) ne sauraient occulter. Ainsi, par exemple, le taux d’occupation du KFP s’est drastiquement rétréci comme peau de chagrin alors que celui de ses concurrents est à la hausse. Il en est de même pour le revenu moyen par chambre qui a piqué du nez alors que celui des concurrents connaît une certaine embellie. La dégradation des conditions d’hygiène et celle de la qualité du service expliquent, en grande partie, cette décadence. Elles ont fait perdre au KFP une catégorie de clientèle qui peut rapporter gros en termes de visibilité et de références : les équipages des compagnies aériennes. Le KFP a ainsi perdu plusieurs contrats dont ceux qui le liaient, par exemple, aux compagnies Air France, Emirates, Air Algérie, Ethiopian, South Africa, Delta Air Lines, Tunis Air. Ces compagnies aériennes sont parties, non pas pour se rapprocher de l’aéroport international de Diass, mais pour des raisons liées aux manquements cités ci-dessus.
Une gestion patrimoniale fondée sur la négation des droits des travailleurs
La concession de la gestion du KFP a été faite, puis renouvelée dans des conditions nébuleuses et léonines au profit de la SHA que plusieurs spécialistes et certains journalistes avaient vivement dénoncé. Ce contrat a intronisé un homme et son clan. Il a favorisé la mise en place d’une gestion, outre gabégique, patrimoniale et clanique. Tous les postes clés sont détenus par les parents, alliés et proches du Président de la SHA. Rien n’est ni petit ni suffisant pour eux. Tout cela a fini de faire du KFP leur vache laitière. La gestion de l’établissement a pris les allures d’un dépeçage systématique !
Les dégâts sociaux causés par cette gestion inique, inefficace et patrimoniale sont excessivement importants. En plus d’avoir installé les travailleurs dans une précarité inacceptable, la gestion sociale de l’établissement a contribué à une forte dégradation du climat social. Les travailleurs vivent, quotidiennement, dans la pression notamment psychologique avec des intimidations, des menaces, des cas d’acharnement et de harcèlement. Le nombre de licenciements abusifs et celui de démissions ont également pris l’ascenseur. Certains acquis sociaux sont remis en cause. Il est illusoire, dans ces conditions, d’espérer un engagement, une motivation et une mobilisation des travailleurs autour des objectifs organisationnels. Le KFP est en train de mourir de sa belle mort!
Quoiqu’en sous-effectifs, le KFP recrute, quotidiennement en appoint, plusieurs dizaines de journaliers. Plusieurs postes permanents, pourtant indispensables au bon fonctionnement de l’hôtel, restent vacants. Ce qui ne manque pas de se répercuter, négativement, sur la qualité des services offerts. En outre, des recrutements complaisants et non dictés par les besoins de l’établissement ont été opérés depuis la prise en main du KFP par la SHA.
Il est temps que le gouvernement sorte de sa torpeur en prenant des mesures hardies : mettre fin au contrat le liant avec SHA et recourir à une compagnie de renommée disposant suffisamment de réseaux permettant à l’hôtel de renouer avec sa splendeur d’antan. Le gouvernement doit le faire pour cesser d’enfoncer les travailleurs dans une précarité du fait des agissements irresponsables et de l’incapacité notoire de la SHA. La République des Valeurs, fidèle à ses principes, se solidarise avec les vaillants travailleurs du KFP, car la dignité et le respect des travailleurs constituent le socle de toute création de richesses qui se voudrait pérenne et équitable dans son partage.