Khelcom, Ndiouroul, Gott, Ndiapandal … – Zoom sur les laboratoires humains de Serigne Saliou

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De son vivant, Serigne Saliou avait fait de l’éducation et de la formation des jeunes une entreprise vitale. Il avait implanté plusieurs daaras à travers tout le pays. Plus que des écoles, des centres de formations ou autres, les 29 daaras du cinquième fils de Serigne Touba, dont Khelcom avec ses 15 daaras, Ndiouroul, Ndooka, Ngeediane, Khabbane, Ndiapandal étaient et restent des laboratoires. Dans ces daaras, un système est mis en place pour «fabriquer» des hommes qui ont la chance de s’y rendre et d’y rester jusqu’à la libération par le saint homme. Ils ressortaient en musulmans accomplis. Serigne Saliou usait du Tarbiya, du Tarkhiya et du Tafsiya dans ses unités de production. Aujourd’hui, les cinq héritiers tiennent haut le flambeau. La machine tourne encore. Zoom sur les laboratoires de Serigne Saliou où des milliers de musulmans accomplis ont été «fabriqués».

Entre le cinquième Khalife de Cheikh Ahmadou Bamba et les daaras, c’est une veille idylle. Une longue histoire d’amour qui a permis à Serigne Saliou Mbacké de former plusieurs milliers de jeunes à l’apprentissage du Saint Coran, aux travaux champêtres et à l’éducation dans toutes ses dimensions. Ce qui fait que Serigne Saliou Mbacké compte 29 daaras à travers tout le pays. En plus d’être de simples daaras, Serigne Saliou disposait d’unités pour produire des musulmans accomplis. Il avait en réalité des laboratoires qui fonctionnent aujourd’hui encore.

Des hommes, made in Khelcom, Ndiouroul, Gott…

La seule évocation de son nom renvoie à une seule personne. Les 45 000 hectares de la forêt classée de Mbégué lui collent à la peau. Quand la bouche s’occupe à articuler les sept lettres de l’alphabet pour exprimer «Khelcom», l’esprit cherche un visage. Seulement, il ne trouve qu’un nom à chaque fois : Serigne Saliou Mbacké, cinquième Khalife de Serigne Touba. Le dernier fils de Khadimou Rassoul sur terre porte l’ancienne forêt classée de Mbégué (déclassée en 1991) dans ses gènes. Le nom de Borom Khelcom en est la plus belle illustration. Pris sous cet angle, une injustice se serait commise. Non pas parce que Khelcom doit être séparé du nom de Serigne Saliou. Parce que le saint homme compte au total 29 daaras à travers tout le pays. Les 14 daaras ont été acquis avant Khelcom qui ne renferme que les 15 autres. Ndiouroul, Gott, Lagane, Guélor, Ndooka, Ngeediane, Khabbane, Ndiapandal, Darou Salam Gnibi-Ngal (…) font aussi partie de la large propriété terrienne de Serigne Saliou à travers le pays. Cette importante superficie pour le compte d’un seul homme peut susciter moult interrogations. Puisque, si c’est seulement pour cultiver, les terres acquises avant Khelcom pouvaient suffire. En effet, le projet du cinquième Khalife de Bamba transcendait la simple culture de la terre. Même si c’était pour faire vivre tout le pays. Serigne Saliou avait une mission divine qui passait forcément par l’acquisition de ses surfaces dans des contrées où le mètre carré de terre ne coûte rien. Le but était d’y implanter des daaras. Ils étaient destinés à l’éduction des jeunes, aux travaux champêtres… Cependant, ces daaras étaient en réalité de véritables laboratoires pour «fabriquer des hommes». Dans une première approche, le terme peut soutirer un rire. A mieux y penser, ça peut forcer un fou rire. Seulement, une fois dans ces laboratoires, même de passage, on peut alors mesurer la possible réalisation d’une métaphysique par des procédés islamiques. Rien à voir avec la compréhension islamiste de Daech. Serigne Saliou use du Tarbiya, du Tarkhiya et du Tafsiya pour produire des musulmans accomplis. Des milliers d’hommes ont été «fabriqués» dans ces laboratoires de Khelcom, Gott, Ndiapandal, Ndiouroul et autres. Peu avant la disparation du saint homme (en 2006), 11 000 Ndongos ont été dénombrés dans les 29 daaras. Aujourd’hui, les cinq fils de Serigne Saliou (Serigne Cheikh, Serigne Moustapha, Serigne Bassirou, Serigne Abdoul Khadre et Serigne Mourtada) n’ont pas fait qu’hériter de vastes surfaces de terres. Serigne Saliou leur a légué une mission qui a été son sacerdoce. Toute sa vie durant. Seulement, le flambeau est tenu très haut par les «Ibn Saliou». La matière première continue à rallier les daaras de Serigne Saliou. Les unités de productions continuent à tourner et à mettre sur le marché des hommes «made in» Khelcom, Ndiapandal, Ndiouroul (…) sans aucune subvention ou exonération de l’Etat. Le logo «Ndongo tarkhiya de Serigne Saliou» est devenu une marque déposée et s’impose de plus en plus jusque dans les coins les plus reculés du Sénégal. Il devient un mode de vie.

Tarbiya, Tarkhiya et Tafsiya pour parfaire un humain

A défaut de pouvoir faire comme l’Ange Gabriel qui avait ouvert la poitrine du Prophète Mouhamed (Psl) pour y extraire tout ce qui est défaut, comme l’égoïsme, la méchanceté, l’orgueil, entre autres, Serigne Saliou use du Tarbiya et du Tarkhiya pour réparer et purifier les âmes de ses jeunes gens qui lui sont confiés, selon les propres termes de Serigne Malick Diène, dieuwrigne de Ndiouroul. Du vivant de Serigne Saliou, chaque daara accueillait exactement 313 jeunes. «Serigne Saliou ne voulait, ni plus ni moins, que ce nombre. C’est le nombre de musulmans qui avait combattu à Badr face à un millier de mécréant. Ce 17e jour du mois de Ramadan, le Prophète de l’Islam avait dit à Allah que ce sont les seuls musulmans du monde. S’ils sont tués dans cette bataille, l’Islam sera mort également. Les 313 musulmans ont eu une victoire éclatante sur le millier de mécréants. C’est pour rendre hommage à cette importante bataille que Serigne Saliou imposait ce nombre dans les daaras», renseigne Cheikh Gaye du daara Touba Khelcom. Seulement, le respect de ce nombre exact de talibés n’est qu’un souvenir à Khelcom. Tout comme à Ndiouroul. «Actuellement, le nombre de talibé dépasse deux fois les 313», raconte Serigne Malick Diène. Si les successeurs de Serigne Saliou n’ont pas respecté le nombre de talibés par daara, le reste de la gestion du lourd héritage de leur père est vénéré à la virgule près. Ce lundi 23 novembre 2015, le soleil tente encore d’imposer sa suprématie dans cette partie du pays. Seul un vent quasi frisquet tente d’apporter la résistance. Sans trop y parvenir. Les bâtiments de Ndiouroul se laissent coloniser par les rayons de l’astre du jour. De loin, des enfants interrompent leur jeu pour venir à la rencontre des arrivants. Dans des habits d’une propreté douteuse, ils accueillent les visiteurs avec de larges sourires sur un visage que le vent avait fini de  blanchir. Comme dans l’Armée, ici les règles sont claires et préétablies. Chacun sait ce qu’il a à faire. Pour toute information concernant ce daara, il faut s’adresser à Sokhna Fatou Diop, mère de Serigne Bassirou Ibn Serigne Saliou. Ce n’est qu’à l’arrière-cour de cette grande concession qui sert de daara qu’on voit des femmes. Aucune d’entre elles n’était restée sans rien faire. Elles avaient toutes quelques activités domestiques à faire. Assise au milieu de ce lot de femmes, Sokhna Fatou Diop était méconnaissable. Il a fallu jouer au plus rusé pour la débusquer. Elle désigne Serigne Malick Diène pour le récital. Alors, le dieuwrigne s’exécute à merveille. Il fait une aubade exhaustive de l’organisation du daara de Ndiouroul qui est sous la direction de Serigne Bassirou Mbacké Saliou. Cette même organisation, ces mêmes principes, on les retrouve dans tous les daaras de Serigne Saliou laissés à ses héritiers. Aussi bien dans les 15 daaras de Khelcom (Diannatou Mahwa, Daarou Tanzil, Touba Télel, Darou Mouhty, Darou Rahmane, Ndindy, Housnoul Mahab appelé aussi Tindoodi, Darou Khoudoss, Touba Khelcom, Darou Salam, Darou Minam, Darou Marnane, Oummoul Khoura, Darou Halimoul Khabir, Taïba). Que dans les 14 autres que sont : Touba, Ndiouroul, Ndiapandal, Ndooka, Lagane, Darou Salam Gnibi-Ngal, Ngeediane, Niarou, Ngabou, Diannatou Mahwa à Touba, Touba-Ndiarème, Ngott, Khabbane et Guélor.

Dans ces unités de production, le marabout gère tout

Serigne Malick Diène maîtrise, à la virgule près, l’organisation des activités à Ndiouroul. «Ici, les activités se résument à l’enseignement du Saint Coran et des Khassaïdes de Serigne Touba, au travail des champs et à l’éducation dans toutes ses dimensions. Le matin, on va dans les champs. L’après-midi, on le consacre aux études et à l’éducation des enfants», récite-t-il comme un élève de Cm². Serigne Malick Diène explique l’absence de mendicité qui se conçoit parfaitement, puisque les daaras sont les seules toiles dans cette vaste forêt. «Il n’y a pas de mendicité ni de tortures dans les daaras. C’est formellement interdit du vivant de Serigne Saliou à aujourd’hui. Les enfants se lavent chaque jour et mangent à leur faim», estime Serigne Malick. Seulement, les lourdes dépenses ne sont supportées que par une seule personne. «Toutes ces dépenses sont à la charge de Serigne Bassirou. Il ne demande aucun franc à qui que ce soit. Encore moins aux parents. Il nourrit, habille et soigne tout le monde», détaille-t-il. A Darou Khoudoss et Touba Khelcom, les règles sont les mêmes qu’à Ndiouroul. Même si, dans ces daaras, les dieuwrignes rencontrés n’ont pas préféré parler de cette organisation. La raison est simple. Ils n’ont reçu aucun «ndigueul» de Serigne Cheikh Saliou allant dans ce sens. Un «Ndongo tarkhiya de Serigne Saliou» rencontré reste quand même formel. «Ce qui se passe à Ndiouroul est la règle général dans tous les 28 autres daaras de Serigne Saliou. Alors, le récital de Serigne Malick Diène ne concerne pas Ndiouroul simplement.

A Darou Khoudoss, Touba Khelcom ou Ndiouroul, un nombre important d’enfants se signale. En début de soirée, les enfants s’occupent chacun à lire à haute voix les inscriptions coraniques sur leurs tablettes. Ils sont des centaines. La fusion de ces plusieurs dizaines de voix qui récitent chacune une sourate, diffuse un son folklorique. Ici, on y voit des personnes de tous les âges. «Le plus souvent, les enfants viennent ici à partir de 5 ans et parfois plus. Ils peuvent également venir plus jeunes. Les enfants sont considérés de la même façon. Il n’y a aucune discrimination. Les enfants des marabouts Mbacké-Mbacké sont dans le daara, mais on ne peut pas les distinguer des autres enfants. Ici, il n’y a pas le fils de… Ils mangent, s’habillent et sont traités de la même manière. Ils sont entretenus comme s’ils étaient chez eux. Ou même mieux. Il n’y a aucune contrepartie pour les parents des «Ndongos». Il n’y a aucune cotisation ou une participation. Le parent ne fait que donner son enfant. Le reste, c’est le marabout qui s’en charge. Il en ferait un produit complètement transformé», dit-il. Il continue son récital : «Cette prise en charge totale fait que le seul daara de Ndiouroul consomme chaque année des tonnes de denrées chiffrées en plusieurs millions de FCfa. Tout ceci est à la charge de Serigne Bassirou Saliou. Le mil et l’arachide qu’on récolte ne suffit pas, il achète encore pour compléter.» Le même tableau est peint pour les autres daaras de Serigne Saliou. Même après la disparition du saint homme. Seulement, la gestion de ce nombre pléthorique d’enfants n’est pas facile. Alors, il faut trouver des subterfuges pour s’en sortir avec les résultats escomptés. Ce qui fait que Serigne Saliou avait une méthode qui lui était bien propre pour qu’aucun enfant ne soit oublié dans le système. «Il y a une organisation qui est mise en place. Les enfants sont répartis par groupe de 10. Chaque groupe est confié à une personne plus âgée qui maîtrise le Saint Coran et les Khassaïdes. Cette personne a la charge de s’occuper de l’éducation  des membres de son groupe. C’est elle aussi qui les amène à l’hôpital de Ndamatou (à Touba) si quelqu’un de son groupe est malade. Aussi s’enquiert-il de leur situation, regarde-t-il s’ils ont des habits et tout. Plus haut sur la chaîne, il y a un dieuwrigne à qui les responsables de groupe rendent compte s’il se passe quelque chose. Le marabout n’intervient qu’en dernier ressort», trace Serigne Souhaïbou Ndoye, un «made in Khelcom» et président de la Fédération Majmahoun Noreyni regroupant les Ndongos tarkhiya de Serigne Touba dans la zone de Touba. C’est là que commence le dressage des enfants. Dans la cour du daara, les jeunes Ndongos gambadent, jouent et regardent leurs aînés décharger des dizaines de sacs d’arachides. Ils ne comprennent pas encore qu’ils sont dans une chaîne de transformation pour faire d’eux des gens de Dieu.

La métaphore du récipient sale

La première chose dans cet exercice, c’est le Tarbiya et le Tarkhiya ou la métaphore du récipient sale. Ce récipient crasseux représente l’enfant qui est dans le daara. «Comme chaque être humain, les gens viennent avec des comportements parfois inadéquats, avec leurs défauts, leurs imperfections et tout. Des défauts que le marabout accepte de bon cœur. Parce que c’est pour soigner tous ces maux qu’il accepte de prendre l’enfant et non pour l’apprentissage seulement du Coran et des Khassaïdes», confie Cheikh Gaye, barbe longue, chapelet entre le pouce et l’index. Le Tarbiya et le Tayikha consistent à laver ce récipient sale, c’est-à-dire de nettoyer les enfants de leurs défauts. Les méthodes pour y parvenir sont nombreuses et efficaces. «A ce stade de l’apprentissage, on demande à l’enfant de suivre les consignes de son guide. Quand on découvre qu’il est orgueilleux, on lui fait faire des choses qui tuent ce vilain défaut. Quand c’est quelqu’un de gourmand, on le prive de nourriture sans jamais lui faire mal. Quand c’est un enfant nonchalant, on le pousse à faire des efforts, à travailler beaucoup», renseigne Serigne Lamine Diop du daara Darou Khoudoss. A cette période, le Ndongo suit les consignes du guide. Il étudie et travaille en même temps. Il ne fait rien sans avoir reçu le Ndigueul de son guide et fait tout ce qu’il demande. Le guide est comme un docteur pour le Ndongo. Comme le médecin qui consulte un malade, diagnostique le mal et sait les médicaments qui peuvent le guérir, le marabout sait comment faire pour purifier l’âme d’un disciple et où le faire passer pour qu’il devienne immaculé. Cela signifie l’éducation d’un enfant. Il consiste à l’éduquer pour qu’il sache comment vivre en société. Pour cela, on doit lui enseigner le Coran, lui priver de nourriture sans pour autant lui faire du mal, de sommeil et adapter son corps au travail. A ce moment, l’individu est comme un récipient. Cependant, il est sale et il faut le rendre propre. Ces méthodes le lavent de toutes les impuretés.

Après avoir réussi à purifier l’âme des Ndongos, intervient le dernier acte de la chaîne de fabrication : le Tafsiya. Après le Tarbiya et le Tarkhiya, on estime que le récipient est maintenant propre. Qu’il peut désormais tout contenir. Alors le processus de remplissage du récipient est déclenché. Après ses processus, l’homme est considéré comme prêt à affronter les aléas de la vie. Il est préparé à vivre n’importe où sans qu’il ne puisse perdre de sa valeur. «Il est impossible de voir un Ndongo de Serigne Saliou qui a été dans un de ses daaras, d’y avoir subi toutes les étapes de la formation jusqu’à être libéré par le saint homme, dans certaines situations. Partout où ils sont, ils sont des exemples et des références», explique Serigne Souhaïbou Ndoye. Une autre alternative à cette formation : la lecture des Khassaïdes de Serigne Touba. «En plus de ces trois étapes que sont le Tarbiya, le Tarkhiya et le Tafsiyah, Serigne Touba a autre chose pour purifier les âmes, ce sont les Khassaïdes.» Serigne Saliou nous disait qu’ils font partie des armes pour le Tarbiyah, parce qu’ils purifient le cœur, enlèvent l’égoïsme et la méchanceté», confie Serigne Souhaïbou.

ENCADRE

L’importance de la formation d’une génération, selon Serigne Saliou

«Confiez-moi les jeunes, je leur inculquerai ce que Serigne Touba avait enseignait aux personnes âgées.» Cette phrase de Serigne Saliou Mbacké a fait le tour de la planète. Il illustre l’importance que le cinquième Khalife général des mourides avait donnée à l’éducation et à la formation des jeunes. Aussi, il a implanté son premier daara en 1934 et comptait seulement 11 talibés. Au fil des ans, des milliers d’hectares lui servent de daaras. «Serigne Saliou disait que, même si une personne sur cent était devenue meilleure au bout de 20 ans d’éducation et de formation, le plaisir de voir cette seule personne réussir valait toute la peine qu’on s’est donnée pendant ces deux décennies. Il savait que tout ne pouvait pas être parfait, mais la réussite d’un seul sur cent était déjà une satisfaction», confie un vieux mouride qui était tout le temps aux côtés du saint homme. Souhaïbou Ndoye est plus catégorique. Serigne Saliou fabriquait des individus à son image et aucun talibé n’ose dire que le saint homme aimait ses enfants plus que les autres. Il faisait tout pour que ses talibés soient dans de bonnes dispositions et être concentrés sur le Tarbiya, le Tarkhiya et le Tafsiya», confie l’homme. Il poursuit : «Serigne Saliou se renseignait sur toute l’actualité. Il était au courant de tout ce qui se passe dans le pays et même au-delà. Du temps de Ben Laden (défunt chef d’Al Qaïda) par exemple, il était informé de tout et donnaît son avis sur chaque évènement qui se passait dans le monde. Il savait tout ce qui se passait au Sénégal et avait beaucoup de mal à le constater, mais se gardait de parler, parce qu’il connaissait le poids de sa parole. Il respectait aussi l’Etat et ses représentants. Une fois, un gouverneur de Diourbel était venu lui rendre visite et avait été retenu pendant longtemps à la porte. Quand celui-ci a pu accéder à lui, il lui a expliqué cette situation et Serigne Saliou lui a dit : «Ils ne connaissent pas ton grade, mais moi oui. Si vous aviez fait appel à moi, je serais venu vous répondre dans vos bureaux à Diourbel.»

Encadré

Après Serigne Saliou, presque rien n’a changé à Khelcom

La forêt classée de Mbégué, déclassée en 1991 et attribuée à Serigne Saliou la même année, alors qu’il venait d’accéder fraîchement au Khalifat de Serigne Touba, a été longtemps convoitée par le saint homme. De sa propre main, Serigne Saliou Mbacké a subdivisé les 45 hectares en 15 daaras. De 1991 à 2007, date de sa disparition, Serigne Saliou a tenu, de main de maître, ses unités de fabrications. Plusieurs milliers de personnes ont été formées là-bas. «En 2006, 11 000 Ndongos ont été répertoriés dans tout le pays et la plupart dans les daaras de Khelcom. Après sa disparition, ces cinq enfants reprennent le flambeau et tentent, tant bien que mal, de parachever le lourd héritage de leur père. «Rien n’a changé dans la façon d’éduquer les enfants dans les daaras. Seulement, la gestion ne peut pas être parfaitement la même. Serigne Saliou est Serigne Saliou. Des gens peuvent avoir la même idée et avoir différentes façons de faire. Mais la vision, la mission et la volonté d’éduquer, de former des hommes n’ont pas changé. Il y a aussi le fait que les autres n’ont pas la même capacité de gestion et de clairvoyance de Serigne Saliou», confie un Ndongo d’un âge assez mûr. Serigne Malick Diène renchérit que les parents ne donnent plus leurs enfants comme quand Serigne Saliou était encore là. A part cela, rien n’a changé, parce que chaque daara est dirigé par la même personne qui était du temps de Serigne Saliou». Les chaînes de fabrication de musulmans se poursuivent. Les unités de production restent les mêmes.

Encadré

Terrorisme– les Ndongos de Serigne Saliou s’en démarquent

Dans les daaras de Serigne Saliou, des milliers de musulmans accomplis y sont sortis. Des gens qui respectent les recommandations divines à la lettre. Même dans leurs mises. La plupart laissent leurs barbes pousser en plus de leurs amples boubous. Souhaïbou Ndoye, Cheikh Gaye, Lamine Diop, Malick Diène ne font pas exception. Seulement, ils ne suivent pas la tendance par ces temps qui courent, où l’Islam est assimilé au terrorisme. Seulement, les Ndongos de Serigne Saliou ne pensent pas comme Abu Bakr Al Baghdadi, chef du Groupe Etat islamique. D’ailleurs, ils n’ont même pas la même compréhension de la guerre sainte. « L’éducation de Serigne Touba et Serigne Saliou consiste à ce qu’on ne fasse du tort à personne, mais aussi de s’assurer que personne ne nous en cause. Après avoir transmis l’enseignement de Dieu aux talibés, Serigne Saliou les enseigne à savoir qui ils sont et ce qu’il représente. C’est pourquoi, si quelqu’un leur demandait de mettre une bombe dans un poulailler et de tuer 15 poulets, ils lui demanderaient pourquoi, du moment que ce n’est pas utile. Une personne qui ne tue pas de poulet sans raison ne le ferait pas pour des êtres humains. Même si on promet des milliards de FCfa et qu’il sait qu’il ne risque pas la prison, il ne le ferait pas. Parce qu’on lui a appris que ce n’est bon de tuer que quand il s’agit d’une bonne action et le contraire est du gaspillage. Or, le Prophète (Psl) a interdit le gaspillage, ne serait-ce qu’arracher les feuilles d’un arbre, alors qu’on n’en a pas besoin. Pour ce qui est du djihad, c’est fini depuis la période prophétique. Le Messenger avait dit à Dieu que si la bataille de Badr est perdue, l’Islam serait anéanti, la suite on la connaît», confie Souhaïbou Ndoye. Ce dernier semble plus informé que Serigne Malick Diène pour ce qui est du terrorisme. «On n’entend seulement ça. Mais tout ce qui touche à Serigne Touba n’a rien à avoir avec ça. Ceux qui le font sont irresponsables. Ils sont soit motivés par l’appât du gain ou des intérêts personnels. Mais chez Serigne Touba, l’individu est conditionné par le Ndiguel. Il ne fait rien sans avoir reçu l’autorisation et l’aval de son guide. Même s’il se levait pour aller manifester et qu’on le lui interdit, il se plie à la volonté de son guide. Le mouride est éduqué selon le principe de la consigne. Tant que l’individu a un guide, il peut être sauvé de certains problèmes. Mais quand il n’y a plus de référence, ça devient autre chose. On appelle ça démocratie et c’est ce qui amène tout ce qui est à l’origine de tout ce qu’on voit aujourd’hui. Chacun pense et dit ce qu’il veut et on parle de démocratie. Ce n’est pas le cas des mourides. Même s’ils sont des millions, ils se soumettent aux consignes du Khalife général, Serigne Cheikh Sidy Moukhtar Mbacké», tranche Malick Diène. Le djihad compris dans le sens d’une guerre sainte, Serigne Souhaïbou reste aussi orthodoxe que son homonyme. «Le djihad de Sérigne Touba est basé sur la connaissance de l’Islam et la crainte de Dieu, mais pas sur les armes, parce que les Occidentaux en ont plus que nous.»

PROFIL D’UN NDONGO – M. FALL

«Je ne rentrerais qu’après avoir maîtrisé le Coran»

Devant le portail du Daara 8 communément appelé Darou Khoudoss, certains Ndongos se sont soustraits à la lecture générale du Coran. Ils déambulent çà et là. Parmi eux, un jeune garçon. Teint cramé, svelte et nagé dans son boubou, il se déplaçait d’un pas preste. Interpellé, il arrête tout et change de centre d’intérêt. Son jeune âge en dit long sur son innocence. Il doit avoir 9, 10 ou même 11 ans. Mais ne comptait pas sur M. Fall pour savoir le nombre exact d’anniversaires qu’il a fêtés. «Je ne connais pas mon âge», répond-il aussi sèchement. Mais si M. Fall ne connaît pas son âge, il connaît très bien d’où il vient et pourquoi il est à Khelcom. «J’habite à Mbao, à Dakar. J’ai été amené par mon grand frère il y a 2 ans. Il veut que j’apprenne le Coran et les Khassaïdes. Je m’y conforme tant bien que mal», dit-il. Fièrement. Les deux années passées à Khelcom ont eu leur effet sur le jeune garçon qui a oublié le trop plein d’activités de la capitale sénégalaise. «Depuis que je ne suis venu ici, je ne suis jamais retourné à Dakar pour rendre visite à mes parents. Parce que je veux d’abord maîtriser le Coran avant de quitter Khelcom», fait-il savoir. Sans regret. Même si son père n’est jamais venu le voir. M. Fall vit bien à Khelcom et compte poursuivre son aventure. «Je n’ai jamais pensé fuguer, parce que je me sens bien ici. Je veux être un «Serigne daara» (marabout) quand j’aurai fini mes études. On nous demande d’étudier, d’avoir un bon comportement et accepter la souffrance. On nous forme à être des hommes. On nous interdit aussi de fuguer ou d’oublier ce qu’on a appris au daara une fois qu’on rentre», confie M. Fall.

Ousmane DIOP &

Makhaly Ndiack NDOYE

(envoyés spéciaux à Touba, Ndiouroul et Khelcom)

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