A l’occasion de l’anniversaire de son rappel à Dieu, retour sur les enseignements citoyens d’un guide religieux dont l’influence est encore grande.
«Toute religion n’est pas que domination ; elle a aussi vocation à inspirer la vie de chaque individu(…).» Monique Castillo
Chaque 14 septembre, je tiens à me joindre aux millions de Sénégalais pour rendre hommage à Mame Dabakh, l’un des grands hommes qui auront le plus marqué l’histoire récente et future du Sénégal. J’ai souvent écrit sur le religieux et le régulateur social. Je veux cette fois revenir sur le citoyen dont la vision et le sens de l’Etat sont souvent peu mis en évidence dans plusieurs documents qui lui sont consacrés.
« Je n’ai ni pouvoir ni mandat populaire me permettant d’imposer à qui que ce soit les lois et règlements en vigueur dans ce pays. Mais j’ai le droit, en tant que citoyen, d’appeler les autorités étatiques qui ont ces prérogatives à une meilleure prise en charge de nos préoccupations ».
Voici des propos qui montrent un homme qui a un sens élevé de ses responsabilités civiques et reflètent une attitude éminemment citoyenne. Telle est une autre importante dimension caractérisant feu Abdou Aziz SY. En effet, s’il y a toujours besoin de parler de l’éminent érudit et fin connaisseur de l’islam, doublé d’un inlassable prêcheur de l’enseignement du prophète Mohamed (psl), il est aussi très important de montrer que Dabakh – comme on l’appelle affectueusement – avait un engagement immensément politique, au sens noble du terme. Un citoyen dont l’engagement pour le Sénégal était total et désintéressé, parce que basé sur le Coran et l’enseignement du prophète Mohamed (psl).
En préparant ce papier, une vidéo d’une rencontre que Mame Abdou avait convoqué en 1990 confirme clairement un guide religieux très en phase avec son époque. Un Khalife conscient de sa mission spirituelle qu’il sait très liée à son statut de citoyen qui a des droits et des devoirs civiques et politiques dans une nation en mutation.
Dans un discours poignant et d’un verbe posé, il s’adresse directement au ministre de l’Education de l’époque et aux représentants locaux du pouvoir qu’il a fait venir pour l’occasion. Comme il en avait la coutume, il a voulu faire de cette rencontre une tribune à travers laquelle il interpelle le gouvernement sur les urgences du moment, se gardant de toute confusion des genres et se limitant strictement à son statut de citoyen « lambda ».
Une interpellation extrêmement actuelle lorsqu’il est revenu sur des sujets pour lesquels on cherche encore solutions. Par le biais d’un message qu’il fait lire par son secrétaire particulier El Hadj Moctar Kébé, il revient sur la question de l’insécurité publique plongeant l’Etat dans une ambiance pesante. Le vol, la délinquance juvénile, les séquestrations et le manque d’éclairage témoignent, souligne-t-il, du laxisme des autorités de l’époque. Le non-respect du principe de l’égalité devant la loi et le sentiment d’impunité sont, à ses yeux, le résultat de la corruption et du manque d’indépendance dans l’appareil judiciaire. Aux dirigeants qui ont reçu mandat des populations d’agir vite et bien, lance-t-il.
En citoyen aguerri et hautement impliqué, il trouve très décevante, à cette époque déjà, l’offre de programmes de la RTS, seule chaîne de télévision dont il rappelle pertinemment la mission éducative. Les films, la musique et autres programmes importés de l’étranger, par la chaîne nationale, sont, souligne très justement Mame Dabakh, un moyen efficace d’acculturation de la jeunesse. Que dirait-il aujourd’hui face à l’ampleur de ce phénomène ?
S’adressant directement au ministre de l’Education présent, il trouve incompréhensible le manque de suivi des recommandations des Etats généraux de l’éducation nationale organisés en 1981. L’école étant un important pilier dans le processus de construction d’un jeune Etat comme le Sénégal, Serigne Abdou s’étonne qu’on ne s’en occupe pas assez.
Il revient, dans une adresse directe à Abdou Diouf, sur la nécessité du dialogue politique, l’importance d’une démarche inclusive dans la prise de décisions afin de permettre au maximum de citoyens de participer activement à la construction nationale.
Mame Dabakh est également connu comme un artisan infatigable de ce qui est convenu d’appeler « le dialogue islamo-chrétien » au Sénégal. En témoigne son amitié avec le défunt cardinal Hyacinthe Thiandoum. L’Abbé Jacques Sarr l’appelle très affectueusement papa Abdou.
Le conflit rebelle en Casamance et les évènements de 1989 entre le Sénégal et la Mauritanie ont alimenté nombre de ses interventions publiques et privées. Par le verbe et des actes concrets, il aura mis son énergie, son temps, son influence et son statut au service de la paix et la concorde nationale.
Si, dans son sens noble, la politique est « l’activité de s’occuper de la chose publique, de l’organisation de la cité (ses institutions, sa diplomatie, son économie, sa justice) », Mame Abdou en a hautement saisi l’essence. Il avait un souci particulier de la chose commune tant du fait de sa dimension de guide en phase avec son époque, de leader d’opinion très écouté que du sens élevé qu’il a eu de son statut de citoyen libre ayant l’obligation de prendre part à cette activité publique. Son message reste si actuel qu’on en fait appel lors des évènements majeurs de la vie politique et sociale du Sénégal. Un patrimoine et une référence peu, voire pas valorisés par les décideurs publics. Quel dommage !
Repose en paix Mame !
Mamadou DIOP