Khadim Ndiaye : « La vie dans la tanière des « Lions »

Le gardien de but international sénégalais gravement blessé en avril 2019, se remet petit à petit. Khadim Ndiaye a retrouvé le plaisir de marcher sans l’aide de béquilles, mais son quotidien est pollué par les critiques nourries qui s’abattent sur certains joueurs de l’équipe nationale. Il se confie dans les colonnes de « L’Observateur ».

EQUIPE NATIONALE – LES CRITIQUES : «Les autres soutiennent leurs stars, le Sénégal tire sur son porte-étendard»

De loin, quel regard portez-vous sur la CAN ?

Je ne vois qu’une seule chose : la victoire finale du Sénégal. Le reste ne m’intéresse pas. Je veux un Sénégal qui gagne, peu importe la manière.

Pour gagner, il faut être meilleur que les autres et actuellement, le Sénégal n’est pas la meilleure équipe de la CAN…

L’Algérie n’a pas malmené le Sénégal, elle a été réaliste. Des équipes ont perdu un match et sont allées au bout. Le Sénégal est son  propre adversaire.

Pourquoi ?

On passe notre temps à chanter les louanges des autres. L’Egypte a son Salah, l’Algérie son Mahrez. Tous ces pays sont derrière leurs stars. Au Sénégal, c’est le contraire. On tire sur nos piliers : Sadio Mané, Mbaye Niang, Ismaïla, Cheikhou Kouyaté…

Vous digérez mal les critiques …

On n’a rien à leur dire. Le Sénégal ne peut pas avoir un attaquant meilleur que Mbaye Niang. On peut faire un bon match et ne pas marquer de but. Suarez a fait un bon championnat, même s’il n’a pas marqué beaucoup de buts. L’essentiel est de peser sur la défense. Aliou Cissé a les deux meilleurs attaquants du moment : Moussa Konaté et Mbaye Niang. Il faut leur laisser du temps, pendant les moments difficiles, ils vont peut-être marquer. Ça ne sert à rien de les démonter. Il faut laisser l’équipe et son staff faire leur job. A la fin, on fera le bilan.

Il y a aussi un rôle d’alerte à jouer…

Les gens n’alertent pas, ils critiquent. Ce n’est pas le moment. Des gens qui ne connaissent rien au football, se permettent de dire dans les médias que Sadio Mané n’est pas mature. C’est une grossière erreur. Ce n’est pas pour rien qu’il joue à Liverpool. La responsabilité que Klopp lui a donnée, le Sénégal n’a qu’à la lui donner. Au Sénégal, tout le monde est coach. C’est cela notre malheur. Les joueurs doivent jouer et se taire. Que chacun reste dans son rôle. J’accepte les critiques, mais seulement quand elles sont opportunes.

Pour vous, on attend trop de Sadio Mané ?

Il a fait comme Salah et les autres stars : marquer deux buts sans briller. La CAN est spéciale : il n’y a pas d’espace pour jouer. Même les nations supposées faibles seront difficiles à battre. Les stars : Salah, Mahrez, Ziyech, Sadio, personne ne brille comme on aimerait les voir. Parce que c’est trop serré. Mais il sera difficile de battre le Sénégal. On a Sadio Mané. S’il ne marque pas, il donnera une passe décisive. Sadio n’est pas celui avec qui je communique le plus en sélection, mais nous devons être fiers de lui. En 2002, il y avait Aliou Cissé et Fadiga, mais Dieu nous avait donné aussi El Hadj Diouf. Il faisait notre fierté. Après lui, Sadio Mané, champion d’Europe, est notre porte-étendard. Le plus important est de l’accompagner, l’encourager. C’est tout ce dont il a besoin, parce qu’il a progressé physiquement, mentalement. C’est un footballeur aguerri. On a ce qu’il faut pour gagner la CAN : Gana, un des meilleurs milieux de terrain d’Angleterre. Koulibaly, le meilleur en Italie, convoité par tous les grands clubs, Salif Sané etc. Tout le monde a vu ce que Mbaye Niang et Ismaïla Sarr ont réalisé à Rennes. Tout le monde est bon dans cette équipe.

On peut avoir de bonnes individualités et ne pas avoir une bonne équipe…

L’Algérie avait dans le passé de bonnes individualités, mais ne jouait pas en équipe. C’est le contrairement au Sénégal. C’est le moment ou jamais, il faut soutenir cette équipe pour qu’elle gagne la CAN. Ça ne sert à rien de dénigrer ou de déstabiliser les joueurs. Qu’est-ce que la femme de Kouyaté vient faire dans les performances de son mari ? Il faut arrêter.

 

LA VIE DANS LA TANIERE – «On a une vie de fraternité. Il n’y a pas de clans, le groupe est uni et vit bien. On avait même un groupe Whatsapp. Tout le monde parlait pour mettre de l’ambiance.»

sais exactement à quelle heure appeler Gana, à quelle heure ils sont en causerie… C’est une famille. Il faut une bonne relation pour une discussion à distance.»

JEUX FAVORIS DES LIONS – «Parfois, on ne sait pas comment les joueurs font pour se retrouver dans la chambre de Sadio ou la mienne. Et pourtant, ça tourne. Il suffit d’avoir quatre personnes dans une chambre pour que tout le monde s’y retrouve. Un groupe est là en train de jouer : Ludo, Uno etc. Il nous arrivait même de nous asseoir à même le sol dans les couloirs pour jouer. Le groupe vit tellement bien…

La Tanière n’est pas un centre d’éducation. Les gens qui sont là-bas sont responsables. Je suis en sélection depuis 2010, aucun joueur n’a été sanctionné pour avoir découché.

LES AMBIANCEURS – «Gana, Mbaye Niang, Keïta Baldé, Salif Sané et moi, nous mettons le feu. Gana est un bon danseur, mais les autres ne sont pas mal. La seule différence entre Gana et les autres, c’est que lui et moi, notre danse est plus coordonnée. Les autres sautent…. Il n’y a pas un joueur qui se met en retrait dans la Tanière, on met le feu. Il faut être heureux pour gagner.

GARDIENS DE BUT :  «Gomis est bon, Abdoulaye Diallo est extraordinaire»

Edouard a été l’un des meilleurs gardiens sénégalais, avec 14 clean sheets, il était normal qu’il soit le numéro 1 à la CAN. Il a bien débuté, mais s’est blessé à l’échauffement. Forfait pour le reste de la CAN. Il reste deux bons gardiens au Sénégal. Gomis est bon, mais Abdoulaye, lui, est extraordinaire. Quand j’étais en sélection, en concurrence avec Abdoulaye Diallo, je ne me suis jamais plaint de mon sort. Je pouvais être bon, mais je ne pouvais pas faire mieux que Abdoulaye Diallo. Il est très bon. En sélection, voir Bouna Coundoul jouer me faisait de la peine. Parce que j’étais dix mille fois meilleur. Pour la bonne cohésion du groupe, je m’étais assis sur mes convictions et mes peines. Gomis a accepté la titularisation de Mendy pour pouvoir saisir sa chance. S’il était jaloux, il allait passer à côté. Abdoulaye Diallo fera la même chose. Avec ces trois, le coach peut dormir tranquillement. Ils sont tous bons. La compétition a fait que Abdoulaye Diallo s’est retrouvé dans cette position. Il s’est blessé plusieurs fois et en son absence, le gardien titulaire en club faisait de bonnes performances. Abdoulaye a eu du mal à revenir. Mais le jour où il sera compétitif, la place de titulaire des gardiens en sélection sera très disputée.

SA CARRIERE : «Je ne suis pas mort»

Khadim, vous avez eu une double fracture du tibia-péroné lors de la rencontre Wydad-Horoya (5-0), en quarts de finale retour de la Ligue des champions. Comment vous sentez-vous à présent?

J’ai repris la marche sans les béquilles. Je ressens juste une petite douleur et cela est dû à la consolidation de la jambe. J’ai repris la course et dans un mois, j’espère me remettre complètement. La fracture n’a pas endommagé les ligaments, le genou se plie normalement, la cheville a toute sa souplesse.

Quelles sont les chances de revoir Khadim Ndiaye sur un terrain de football ?

Je ne suis pas mort. La carrière d’un footballeur ne doit pas être compromise par une blessure. Des joueurs comme Demba Bâ ont connu des blessures plus graves, ils ont pu rejouer. Donc, il faut se soigner et prendre le temps de revenir. Le dernier diagnostic du médecin est rassurant.

Comment avez-vous vécu les premiers jours après la blessure?

Tranquille ! J’ai remercié le Bon Dieu, parce que d’autres sont morts sur un terrain de football. Ça pouvait m’arriver en début de carrière. C’est peut-être un mal pour un bien. J’ai eu la chance de prolonger mon contrat de trois ans et de suivre en même temps une formation à Toulouse pour obtenir mon diplôme d’entraîneur. Le club a tout réglé. Même quand je jouais, tous les trois mois, j’allais à Toulouse pour 15 jours pour les besoins de cette formation. A la fin de ma carrière, je resterai dans le staff. On n’en est pas encore là : je n’ai pas encore raccroché les crampons.

Mon président est quelqu’un de très reconnaissant. A un moment donné, je portais le club, nous avons réussi à nous hisser à la huitième place en Afrique, à la première place en Afrique de l’Ouest. J’ai été constant. Récemment, j’ai repoussé des propositions, pour rester à Horoya. Au moment où je ma blessais, j’avais déjà une proposition en Arabie Saoudite. Avant le match contre le Wydad, le président était au courant. Je me suis blessé et suis resté au club. D’où l’importance de garder une bonne relation avec ses dirigeants, de ne jamais aller au clash. Il faut de la reconnaissance, c’est une valeur essentielle.

Est-ce qu’il vous arrive de revoir les images de votre blessure ?

Hier nuit (jeudi) seulement je les ai regardées.

Cela vous a fait quoi ?

Absolument rien !

D’où tirez-vous cette force de rester serein dans l’épreuve?

J’ai été formé comme cela par Amara (Traoré) : rien ne peut me déstabiliser. Je n’ai pas besoin que les gens aient pitié de moi. Avec Amara, j’ai vécu des moments très difficiles à la Linguère. J’ai habité dans sa maison pendant trois ans. Il m’a formaté. Il a fait de moi un homme fort. J’ai un mental d’acier. Amara me disait : «même s’il y a un serpent devant toi, ne rebrousse pas chemin, il faut l’enlever et continuer ta route.»

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