« Je vous confie à Serigne Touba »: telle est la réponse du khalife général des mourides, Serigne Mountakha Bassirou Mbacké, au chef de l’Etat, Macky Sall, qui sollicitait de lui des prières pour obtenir un second mandat à la tête du Sénégal. La phrase, retentissante, a suscité moult commentaires dans l’opinion, mais aussi dans les médias. Ces six mots, qui barrent la une de la plupart des journaux de ce matin du 26 octobre, sont interprétés de manières contrastées.
Si le quotidien national Le Soleil, média public pur et dur, voix assumée du régime, décrit la réponse du khalife général comme le gage d’un soutien franc de Touba à la candidature de Macky Sall à sa propre succession, un organe privé comme Exclusif y lit le signe d’une neutralité du guide ayant usé d’une formule-bateau pour ne pas avoir à directement prendre partie dans la compétition électorale de février 2019.
Au-delà des positions partisanes, que lire dans ces vocables ?
D’abord, l’analyse de la réponse commence par celle de l’interpellation. Dans la religion musulmane, un fidèle ne peut pas opposer un refus à son prochain qui sollicite auprès de lui des prières. Et c’est là que réside le génie politique de l’interpellation de Macky Sall. Conscient de la difficulté qu’éprouvent bien des chefs confrériques à afficher un soutien partisan, a fortiori à donner une consigne de vote, le candidat à sa propre succession est passé par le registre de la sollicitation de prières. Une requête qu’aucun musulman ne saurait rejeter.
Ce faisant, il a invité le khalife dans le débat électoral, lui arrachant des mots qui parlent fort aux oreilles des disciples mourides. Car, contrairement aux interprétations fines du microcosme politico-médiatique dakarois, la réponse de Serigne Mountakha Bassirou Mbacké à Macky Sall est on ne peut plus bénéfique pour ce dernier.
Dans le fond, c’est loin d’être anodin pour les mourides, animés d’une forte fibre confrérique, d’entendre leur guide prier pour le succès d’un candidat en invoquant Serigne Touba, cette référence suprême pour laquelle ces disciples pourraient donner leurs patrimoines, leur sang, leurs vies…
Au surplus, la phrase du khalife n’est pas pure formalité protocolaire. Elle est intervenue après l’énumération de tous les projets réalisés au profit de Touba et du mouridisme par l’actuel locataire du Palais.
Comme pour boucler la boucle, le très politique Macky Sall a ouvert gratuitement Ila Touba, l’autoroute reliant Dakar à la ville sainte, à la circulation des pèlerins à l’occasion de ce Magal du 29 octobre 2018. L’écho des mots du khalife s’en trouvera amplifié si les mourides expérimentent le trajet Dakar-Touba en 1h sans arrêt…
Cheikh Yérim Seck