“Je suis voleur, fils de…”

C’est devenu banal. Un fils de personnalité qui se retrouve à la police ou à la gendarmerie pour vol au préjudice de son père. Ce genre de “fait divers” est devenu monnaie courante. Seulement, la plupart du temps, l’affaire ne dépasse pas le bureau du commissariat, du commandant de brigade ou du chef de poste de police. Elle n’est que rarement évoquée devant les tribunaux des flagrants délits du pays, pour la bonne et simple raison que la loi est trop clémente envers ces voleurs d’un genre particulier. Seneweb s’est penché sur le phénomène de ces voleurs “fils de …” qui prend de l’ampleur.

Ibrahima Sy. Ce jeune homme croupit depuis la semaine dernière à la prison centrale de Rebeuss. Il a réussi la prouesse de chiper à son père, Djibril Sy, cambiste au marché Sandaga, la rondelette somme de 500 millions de Fcfa, composée de coupures de devises internationales (Dollars et Euros). Avec ses amis et des filles, ils se sont rendu ensuite en Gambie pour vivre comme des pachas, dans des hôtels huppés. Profitant de cette aubaine, deux des amis de Ibrahima ont convolé en juste noces avec leurs copines.

Lorsque le cambiste a constaté le vol et alerté le Procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye, il était loin de se douter que le voleur n’est personne d’autre que son fils adoré.

Son réveil sera brutal lorsque l’enquête, confiée par la Division des investigations criminelles (Dic), a abouti à l’arrestation d’Ibrahima Sy. A la police, le vieux cambiste s’entendra dire que son fils a flambé un demi-milliard en quelques jours. «Votre fils n’avait plus que 93.000 dollars Us sur lui (soit 51 millions de FCfa) au moment de son arrestation», lui explique-t-on. Amer, le vieux Djibril courbe la tête, tenaillé par deux sentiments : la colère et la honte.

Mais, ce vol n’est pas un cas isolé au Sénégal. Plusieurs fils de personnalités ont été impliqués dans des histoires de ce genre.

Le fils de Madické Niang défraie la chronique

Il y a quelques années, Massamba Niang, fils de Me Madické Niang, alors ministre des Affaires étrangères, de connivence avec certains de ses frères, avait fait sauter les verrous du coffre-fort que son père garde chez lui et avait disparu avec des millions de FCfa. Le journal «Le Quotidien», qui avait relayé l’affaire, parlait de dizaines de millions de francs Cfa. «Les fils du ministre des Affaires étrangères se sont offert des semaines de vacances à l’hôtel Radisson Blu avec des prostituées. Ils avaient également acheté un véhicule 4×4 avec l’argent volé», écrivait le journal de Madiambal Diagne. Massamba n’était pas à son coup d’essai puisqu’il avait été cité dans l’agression d’un cambiste qui avait perdu 5.000 euros, soit 3 millions de FCfa.

Abdoulaye d’Idrissa Seck surprend son père

Autre “fils de…” impliqué dans une affaire de vol, celui d’Idrissa Seck. L’ancien maire de Thiès, ex-numéro 2 du Parti démocratique sénégalais (Pds) et patron de Rewmi, avait été victime de plusieurs vols, avant de se résoudre à déposer une plainte. L’enquête confiée à la Sûreté urbaine avait conclu que l’auteur des soustractions frauduleuses n’est personne d’autre que son fils aîné, Abdoulaye Seck. Un homonyme de Me Abdoulaye Wade qui avait déclaré devant les policiers enquêteurs qu’à l’âge de 15 ans, déjà, il chipait à son père des montants qui variaient entre 3 et 10 millions de francs Cfa. Des vols qu’Idrissa Seck n’avait jamais constatés.

Cette dernière affaire n’avait pas connu une suite judiciaire, l’ancien Premier ministre ayant retiré sa plainte. Ce qui a immédiatement éteint l’action publique.

Une bande de jeunes «jet setteurs», composée de fils de personnalités, a également écumé, pendant longtemps Dakar, avant d’être mise hors d’état de nuire. Ces jeunes excellaient dans le vol et le retrait de chèques de personnalités. Amadou Makhtar, Seyni Mbaye, Youssoupha Ndiaye, Baba Lissa Ndiaye, Mouhamed Niang, Assane Ndoye et Mouhamadou Lamine Diop avaient fini par tomber dans les filets des éléments du commissariat spécial de l’aéroport de Dakar, la main dans le sac. Ils avaient vidé le compte de la mère de l’un ami. Ils habitent tous Almadies, Ngor et Hlm Grand-Yoff.

Last but not least, un autre jeune homme de 16 ans, Ismaïla Ndoye, a comparu devant le tribunal des flagrants délits de Dakar, comme témoin. Pourtant, il a été l’auteur de vols au préjudice de son père, en complicité avec un de ses amis, El Hadji Ibrahima Faye. Si ce dernier a été jugé et condamné, lui s’en est tiré à bon compte, ses parents n’ayant pas porté plainte contre lui. Ce qui fait dire à Oustaz Mor Thiam, prêcheur au Groupe Futurs Médias, que «la partialité de la loi pénale, sur ce point, favorise la prolifération de ce genre de vol”.

Quand la loi favorise les fils-voleurs

En effet, l’article 365 du Code pénal dispose que «les soustractions commises par des enfants ou autres descendants au préjudice de leur père ou mère ou autres ascendants, par des pères ou mères ou autres ascendants au préjudice de leurs enfants ou autres ascendants ne pourront être poursuivies que sur plainte de la victime. Le retrait de plainte éteint l’action publique.»

Paradoxe : si les fils-voleurs peuvent ne pas être poursuivis, les co-auteurs ainsi que les receleurs peuvent l’être. «A l’égard de tous les autres individus qui auraient recelé ou appliqué à leur profit tout ou partie des objets volés, ils seront punis comme coupables de recel», note le Code pénal. Ce qui justifie que des fils-voleurs comparaissent toujours devant les prétoires à titre de témoins, alors que les personnes, qui ont commis l’infraction de concert avec eux ou qui ont acheté les biens volés, croupissent en prison en plus de payer des dommages et intérêts.

Les racines du mal

Selon un commissaire de police interrogé par seneweb et qui a requis l’anonymat, outre une loi clémente qui favorise ce genre de délinquant, «les riches ont l’habitude de manipuler plusieurs millions et souvent l’argent est à portée de main des enfants. Ces derniers ont accès aux comptes bancaires de leurs ascendants et aux chéquiers. Les tentations sont grandes. L’occasion faisant le larron, ces enfants peuvent subtiliser des sommes pour les flamber en un éclair. Des fois, ils le font pendant longtemps avant que leurs géniteurs ne s’en rendent compte, car souvent ce n’est pas de l’argent gagné à la sueur de leurs fronts».

Un commandant de brigade de gendarmerie lui emboite le pas et explique que «la plupart des fils de riches sont des «jet-setteurs». Ils ont une éducation occidentale. Ils aiment la belle vie, roulent en voitures de luxe, s’habillent cher, fréquentent les milieux huppés et fréquentent des filles dispendieuses». «Tout cela a un coût et ils n’ont aucune source de revenus. Certains s’adonnent même à la consommation de drogue dure (cocaïne ou héroïne) dont le prix de vente n’est pas donné. S’ils ont des parents qui brassent des millions, qui manipulent plusieurs billets de banque, acquis souvent dans des conditions douteuses, ils ne se priveront pas de s’en servir pour satisfaire leurs hobbies». Conséquence : les «fils de…» ne cessent de visiter les coffres forts de leurs parents.

Pour Oustaz Mor Thiam, une bonne éducation islamique réglerait sans nul doute le problème. «Si on apprend à un enfant les valeurs de dignité, de foi et d’honneur, il ne se laissera jamais gagner par ce genre de tentations», dit-il.

Mais en attendant que nos dignitaires daignent inculquer ces valeurs à leurs progénitures, leurs bourses continuent d’en pâtir…

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