Protection des mineurs ou déni de justice ? Une jeune salafiste française a contesté mardi devant le tribunal administratif de Paris son interdiction de quitter le territoire, dénonçant une mesure « contre-productive » alors que l’Etat craint un départ pour une terre de jihad.
On ne voit que l’ovale de son visage, tout le reste de son corps a disparu sous un jilbab (voile très ample), jusqu’au bout des doigts gantés de noir. Chloé (prénom d’emprunt) a désormais 18 ans et dit vouloir « vivre libre ».
Cette jeune Française s’est convertie il y a deux ans à l’islam et a vite épousé le courant salafiste, qui prône « la rigueur des premiers temps, de l’époque du prophète », explique-t-elle.
Elle raconte avoir voulu gagner l’Arabie saoudite, parce qu’elle « se sent mal » en France et assure qu’elle « rejette Daech », le groupe jihadiste Etat islamique qui a revendiqué une série d’attentats meurtriers en France depuis début 2015. Elle nie avoir « jamais voulu rejoindre la Syrie » ou un quelconque théâtre de guerre.
Ce n’est ni l’avis de sa mère, ni celui du gouvernement. La première a signalé sa fille pour « radicalisation soudaine » le 29 septembre 2015, trois jours avant ses 18 ans. Le second a pris un arrêté d’interdiction de sortie du territoire le 15 octobre, jugeant sérieux les « risques de départ à l’étranger pour participer à des activités terroristes ».
Une mesure d’interdiction renouvelée six mois plus tard et que la jeune femme conteste, craignant de la voir reconduite « à perpétuité ». « Je me sens comme en prison », dit-elle à la barre.
Une « proie possible »
Elle ne comprend pas l’attitude de l’Etat qui, dit-elle, la « prive de papiers » et contribue à son « isolement ». Le genre de politique qui « peut pousser des gens à aller vers Daech », accuse-t-elle.
Son avocat, Emmanuel Ludot, dénonce un arrêté « dangereux, presque scélérat » qui fait de sa cliente une « proie possible ». Il fustige aussi les méthodes du gouvernement, qui « se fonde sur la parole d’une mère en conflit avec sa fille ».
Quelques jours avant l’arrêté, Chloé, scolarisée dans un lycée catholique de Reims, avait quitté son domicile avec passeport et valises. Elle avait été retrouvée au lendemain de sa fugue dans un appartement de Saint-Etienne « chez des personnes radicalisées » selon le ministère de l’Intérieur.
« J’avais appelé ma mère le matin même. Pour la rassurer. Mais c’est vrai que je ne voulais pas rentrer à la maison », plaide la jeune femme.
Pour le représentant du ministère, l’affaire est limpide : il décrit « une jeune femme dont la radicalité ne fait pas de doute », qui a « traité les Français de mécréants », qui « se promène sur la voie publique en voile intégral en violation de la loi », prête à quitter son domicile « pour se marier avec un inconnu ».
« Cela témoigne d’une grande vulnérabilité » et justifie, assure-t-il, la mesure d’interdiction de sortie du territoire. Une analyse partagée par le rapporteur public – dont le rôle est de dire le droit et dont les avis sont généralement suivis par le tribunal – qui a estimé la procédure parfaitement légale.
Au 31 juillet 2016, alors que la France vit sous une menace terroriste sans précédent, la Chancellerie avait recensé près de 900 jeunes suivis ou poursuivis: 179 poursuivis dans le cadre d’affaires en lien avec le terrorisme, 189 recensés au titre de la protection de l’enfance pour risque de radicalisation, 364 suivis car présentant des signes de radicalisation et 146 suivis en raison de la radicalisation de leurs parents.
Le tribunal rendra sa décision le 18 octobre. Chloé affirme avoir « pour le moment renoncé à partir ».
« Je respecte les lois de la République », assure-t-elle à la presse. Mais alors, pourquoi sortir dans la rue intégralement voilée ? Elle hésite, puis répond: « Je respecte les lois de la République sur ce qui ne contredit pas la religion. »
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