Depuis une semaine et demie, d’étonnantes photos circulent sur les réseaux sociaux: on y voit des hommes portant le voile islamique. Des Iraniens qui soutiennent en fait une campagne appelant à mettre un terme au port du hijab obligatoire.
Après «My Stealthy Freedom» («Ma liberté furtive»), qui invitait les Iraniennes à se photographier sans voile islamique, un acte condamné par la loi dans leur pays, voici «Men in Hijab» («Les hommes en hijab»). Un appel aux hommes iraniens, cette fois, à publier des photos d’eux voilés, en signe de solidarité avec les femmes. A l’origine de ce mouvement de rébellion, la même journaliste et militante iranienne Masih Alinejad qui avait créé la première page Facebook.
Elle explique que c’est la réaction du ministre iranien des Affaires étrangère qui l’a convaincue d’aller plus loin dans son action. Le 22 juin, Javad Zarif était auditionné par la commission des affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat français. À la question de la sénatrice Michelle Demessine : «Ne craignez-vous pas que le fait d’imposer une tenue vestimentaire aux touristes femmes étrangères ne nuise à l’ouverture ?», le ministre a répondu: «L’Iran est un pays qui veut développer son tourisme à l’international. Le respect des traditions iraniennes favorise ces échanges culturels. Les touristes qui viennent en Iran sont pour l’instant tout à fait prêts à respecter les lois iraniennes. D’ailleurs, je vous remercie pour le respect que vous (les élus français, Ndlr) avez manifesté à leur égard lorsque vous êtes venus» au début de l’année.
« Nous ne sommes pas contre le voile mais nous sommes pour le choix »
Contestant l’opinion préconçue selon laquelle les touristes n’ont aucun problème avec le fait de se voiler en Iran, Masih Alinejad a publié sur Facebook, le 21 juillet, un photomontage du ministre… en hijab. Un long commentaire l’accompagne : «Regardez cette photo de vous portant un hijab. Comment vous sentez-vous ? Le cliché est-il comique ? Etrange ? Ou voyez-vous cela comme une insulte personnelle ?», demande la journaliste qui vit en exil. «C’est exactement ce que les femmes qui ne croient pas au port du voile obligatoire ressentent. (…) M. Zarif, vous et beaucoup d’autres hommes avez l’habitude de voir les femmes porter le hijab obligatoire tous les jours et vous pensez cela normal. Mais pour des millions de femmes iraniennes, cette obligation est une insulte à leur dignité, explique-t-elle. Nous ne sommes pas contre le voile mais nous sommes pour le choix.»
Rappelons que le port du hijab (le voile islamique qui laisse le visage apparent) est obligatoire dans les espaces publics depuis la révolution iranienne de 1979. Une loi de 1983 prévoit une sanction de 60 jours de prison et 70 coups de fouet pour quiconque y dérogerait. Et si les accusées peuvent échapper à ces peines, un rapport d’Amnesty International en 2015 constate que «les femmes qui défient le code vestimentaire obligatoire sont systématiquement empêchées de jouir pleinement et équitablement de leur droit d’accès à l’éducation et au travail, et de prendre part à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays.»
« Si des femmes et des hommes courageux ne s’étaient pas dressés contre, l’esclavage légal existerait encore
«
Masih Alinejad poursuit : «M. Zarif, pendant votre carrière diplomatique vous avez souvent argumenté contre les lois injustes. Par exemple, vous avez déclaré que les sanctions des Nations Unies contre l’Iran étaient injustes et vous ne les avez pas acceptées. C’est exactement ce que nous essayons de faire : défier la loi du hijab obligatoire parce qu’elle est injuste. Alors ne nous dites pas que la loi c’est la loi et qu’on doit respecter la loi. Souvenez-vous, l’esclavage était la loi et si des femmes et des hommes courageux ne s’étaient pas dressés contre, l’esclavage légal existerait encore aujourd’hui.»
Suite à ce manifeste, une petite question a suscité une vague de solidarité : «Trouvez-vous qu’un homme portant le voile est humiliant pour lui ?» De nombreux Iraniens ont alors été convaincus de poster des clichés d’eux voilés, commentant leur ressenti et faisant partager leur analyse de cette question de société. «Je suis Iranien et voici une photo de moi portant le voile, écrit le premier. Beaucoup d’entre vous estiment que voir un homme voilé est humiliant pour les hommes. Creusons un peu alors : si c’est une humiliation pour les hommes, que penser de ces millions de femmes forcées de le porter» depuis 37 ans ?
Un autre raconte que sa mère a été obligée de porter le voile après la révolution islamique, et comme elle souffrait de porter cette tenue pendant les étés torrides du Khuzestan.
D’autres ont suivi, comme ce jeune homme qui a fait exploser de rire ses cousines lorsqu’il a fait ce selfie.
La campagne a trouvé écho dans les médias américains, anglais, suédois, espagnols ou encore français. En revanche, «seul un organe de presse en farsi parle de nous, regrette Masih Alinejad, et évidemment, c’est uniquement pour dénigrer les hommes qui y participent».