Interview Le Sénégal gagne la bataille de son développement grâce à l’entrepreneuriat Macky Sall

La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLEAC) couvrira un marché de 1,2 milliard de personnes et un produit intérieur brut (PIB) de 2,5 billions de dollars, dans les 55 États membres de l’Union africaine. En termes de nombre de pays participants, l’AfCFTA sera la plus grande zone de libre-échange du monde depuis la création de l’Organisation mondiale du commerce. Quel a été le rôle du Sénégal dans cet accord commercial monumental?

Le Sénégal a été à sa place et a bien tenu son rang, pour l’avènement de cet acte historique, confirmant ainsi, notre engagement à la réalisation de l’intégration africaine. La Zone de Libre Echange Continentale donnera, comme je l’ai rappelé lors du sommet de Niamey, un nouvel élan au commerce intra-africain en termes d’opportunités d’affaires et d’investissements pour le secteur privé  et de création d’emplois pour la jeunesse africaine.

Déjà, lors du Forum régional de Dakar sur la ZLECAf-Afrique de l’Ouest et du Centre, le Gouvernement du Sénégal, en relation avec la Commission économique pour l’Afrique (CEA), la Commission de l’Union Afrique et l’Union Européenne, a travaillé à la création d’un espace de dialogue régional et multi-acteurs autour de l’ensemble des enjeux liés à la mise en œuvre de la zone dans les Etats francophones de la CEDEAO et la CEEAC. Je dois saluer le leadership du Président Paul Kagamé du Rwanda dans la conduite de l’important dossier de réforme de l’Union Africaine pour qu’elle réponde mieux à ses missions. De même, le Président Mahamadou Issoufou du Niger a su mener avec succès, les négociations pour la création de la Zone de libre Echange Continentale Africaine qui donne un nouvel élan à l’objectif d’intégration africaine par le commerce de l’investissement et dont le lancement a eu lieu au début du mois de juillet de cette année. Aujourd’hui il convient d’aller de l’avant dans la mise en œuvre de cet Accord et ses protocoles additionnels et dans ce cadre, le Sénégal ne sera pas en reste.

Vous avez été réélu en mars 2019. Toutes nos félicitations ! Trois mois  se sont écoulés depuis votre réélection. A votre avis, dans quel état se trouve actuellement le Sénégal et à quoi le peuple sénégalais peut-il s’attendre dans les cinq prochaines années?

Ma réélection dès le premier tour avec plus de 58 % des suffrages exprimés, le 24 février 2019 porte l’empreinte d’un bilan riche de réalisations à l’échelle du territoire national que les Sénégalais ont positivement sanctionné. Elle est également l’expression d’un espoir,  d’un appel à consolider la transformation du Sénégal et à amplifier les bonnes performances réalisées entre 2012 et 2019. Sept ans durant, nous avons travaillé à redresser notre pays, à restaurer les équilibres socio-économiques, l’équité territoriale et la justice sociale ; traduisant par là mon ambition d’un Sénégal de tous, un Sénégal pour tous.  Aujourd’hui, le Sénégal est dans un meilleur état qu’en 2012, à la faveur de la mise en œuvre du Plan Sénégal Emergent, référentiel unique des politiques publiques. Naturellement, au delà du renforcement des acquis sur le plan de la gouvernance,  les réformes et les choix stratégiques mis en œuvre ont pour finalité d’élargir et de renforcer les capacités productives du Sénégal, les accès universels pour les populations en matière d’eau, d’assainissement,  d’électrification, de mobilité collective, de santé, d’éducation de sport et de culture. Par ailleurs, dans sa phase II, le Plan Sénégal Emergent est décliné à travers 5 grandes initiatives qui nous permettront de mieux  préparer le Sénégal face à l’avenir et qui sont toutes, autant de réponses aux défis de notre époque et aux enjeux d’une modernité humaine. Je veux parler de l’emploi des jeunes Sénégalais à travers la promotion et le développement de l’entreprenariat, de l’économie sociale et solidaire pour l’autonomisation des femmes Sénégalaises, du renforcement du capital humain en perspective des métiers du futur,  de la reforestation du territoire pour faire face au changement climatique et améliorer le cadre de vie des Sénégalais, de l’industrialisation avec une plus grande implication du secteur privé national et international en termes d’investissement productifs.

Depuis 2012, vous avez réussi à attirer des milliards de dollars d’investissements, y compris en provenance de la Chine, pour votre Plan Sénégal Emergent avec une croissance annuelle moyenne d’environ 6 % ? Selon vous, quelle est la clé d’une gouvernance efficace ?

C’est le choix de la transparence et ma détermination à promouvoir une culture nouvelle, celle de la  gouvernance sobre et vertueuse portée par la lutte contre la corruption et tous les fléaux qui pourraient compromettre l’environnement des affaires. C’est aussi l’illustration de la grande tradition de coopération du Sénégal, marquée par la sécurité des transactions et la stabilité des relations. Ma vision d’un Sénégal émergent est soutenue et partagée par les partenaires  qui nous accompagnent dans la réalisation de  notre ambition. Elle est déclinée à travers des projets qui renferment toutes les garanties en termes d’exécution diligente, de rentabilité économique et d’utilité sociale. Les réformes de première génération du PSE ont permis de soutenir depuis plus de trois ans, une croissance de plus de 6%. L’efficacité de notre gouvernance, la stabilité de notre système démocratique et l’investissement massif dans le domaine des infrastructures sont de véritables « aimants » pour l’investissement direct étranger, aujourd’hui très diversifié, avec une belle percée de la République Populaire de Chine, qui a choisi de faire du Sénégal, un partenaire de référence, eu égard à ses avantages comparatifs et à sa position géographique.

Quels ont été les plus grands défis à relever pour développer votre vision d’un Sénégal émergent et mettre en œuvre le Plan Sénégal émergent ?

Le premier défi a été celui du consensus. Le PSE l’a relevé en prenant en compte tous les documents stratégiques dont l’objectif était de proposer un cadre logique pour construire le développement du Sénégal et il en a  tiré une synthèse riche et utile. Ensuite la bonne gouvernance, une gouvernance à la fois sobre et vertueuse, qui met en avant les intérêts de notre pays. Il fallait aussi, dans le même mouvement, mettre en confiance les Sénégalais sur notre capacité et ma détermination à réformer le Sénégal avec eux, pour lui permettre de renouer avec la productivité et la compétitivité, et de restaurer la confiance les Partenaires techniques et financiers et du secteur privé. Nous avons rationalisé les dépenses publiques en augmentant leur efficacité. Ainsi, au-delà des impératifs économiques, ma vision du Sénégal émergent est portée par des programmes à fort impact social à l’image Programme d’urgence de développement communautaire (PUDC), du programme national de Bourses de sécurité familiale qui a permis à 400.000 ménages de bénéficier d’une allocation trimestrielle de 25.000 FCFA,  de la Couverture maladie universelle (CMU), du programme d’urgence de modernisation des axes frontaliers (PUMA). Cette approche territoriale des politiques publique reste, à mon sens, pour le Sénégal et l’Afrique,  un modèle de développement pour créer les conditions d’une prospérité économique partagée, d’un épanouissement collectif, et d’une justice sociale aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain. C’est aujourd’hui, une démarche que les sénégalais se sont appropriés et de laquelle ils attendent beaucoup, au regard des demandes impatientes.

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Avec la découverte de réserves de pétrole et de gaz au Sénégal, dans quelle mesure le Sénégal est-il préparé à cette nouvelle donne économique qui a le potentiel de générer des revenus pour le pays mais également occasionner des bouleversements de portée sociétale? Avez-vous des inquiétudes?

Le Gouvernement du Sénégal, sous mon impulsion a fait preuve d’anticipation et de diligence en la matière. Aujourd’hui le Sénégal a l’avantage d’avoir pris,  bien avant l’annonce des découvertes, les dispositions utiles et pertinentes pour faire du secteur pétrolier, un modèle de référence en matière de gouvernance et de transparence en adhérant sur ma décision, à l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives. Au Sénégal, les ressources naturelles appartiennent au peuple et non à l’Etat. Je l’ai fait inscrire dans la Constitution sénégalaise à l’issue du référendum de mars 2016. J’ai également créé un Comité d’orientation stratégique chargé des questions de pétrole et de gaz (COS-Petrogaz) composé de représentants de toutes les institutions de la République, des acteurs du secteur et qui va accueillir des membres de l’opposition et de la société civile. J’ai fait voter une loi sur le contenu local pour permettre aux entreprises nationales de tirer profit de la phase d’exploitation. Le code pétrolier a été revu pour être adapté au nouveau contexte du Sénégal avec de nouvelles dispositions protégeant davantage les intérêts du pays. Les ressources tirées du pétrole et du gaz serviront à financer le développement socio-économique du Sénégal et une part importante de celles-ci sera réservée aux générations futures, dans le cadre d’une loi sur la répartition des revenus. Voilà le cadre d’intégrité et de gouvernance du secteur.

J’ai donné au gouvernement du Sénégal toutes les instructions requises pour construire une économie pétrolière performante et un écosystème viable qui prendra appui sur l’Institut National du Pétrole et du gaz que j’ai créé. Les meilleures pratiques sont en train d’être expérimentées et les premiers résultats augurent de belles perspectives pour nous conduire, avant 2035 vers l’émergence. Par ailleurs, je me réjouis grandement de la coopération entre le Sénégal et la République Islamique de Mauritanie. Avec ces découvertes, de part et d’autre de notre frontière, nous avons su, sur la base des relations de bon voisinage et du destin partagé de nos deux peuples, bâtir un partenariat intelligent pour l’exploitation de ces ressources. Tout le monde sait qu’en Afrique, les enjeux liés aux frontières et à l’exploitation des ressources sont des sources essentielles de conflits. Nos deux pays se sont associés, en partenariat avec BP,  pour que les ressources à cheval sur cette zone soient un trait d’union de plus, qui s’ajoute aux relations multiformes et multiséculaires qui nous unissent, puisque le Sénégal, la Mauritanie, le Mali et la Guinée exploitent en commun, depuis plusieurs années le bassin du fleuve Sénégal, à travers l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal. Il convient de saluer ces exemples de partenariats en Afrique.

Le Sénégal est largement considéré comme une démocratie stable depuis longtemps dans une région en proie à des coups d’État militaires, des guerres civiles et des conflits ethniques. Le Sénégal est considéré comme une “exception” en Afrique de l’Ouest. Pouvez-vous nous dire comment cela a été réalisé ? Qu’est-ce que les autres voisins africains peuvent apprendre de l’expérience démocratique Sénégalaise?

Le Sénégal est une vieille démocratie. Nous  votons depuis 1848 sous la période coloniale, notamment au sein des Communes de Gorée, Dakar, Rufisque et Saint-Louis. Le multipartisme intégral  est une réalité vivante au Sénégal, avec ses vertus, ses excès et ses outrances. Nous sommes un seul et même peuple. Le Sénégal a connu deux alternances démocratiques  pacifiques grâce à la maturité du peuple, dans le calme et la transparence. L’expression démocratique est plurielle ; il n’y a aucune menace sur les libertés individuelles et les Institutions fonctionnent de manière démocratique. Notre expérience s’appuie sur l’acceptation des règles du jeu démocratique,  de la compétition électorale et de la qualité de notre système électoral, perfectible certes, mais éprouvé.  En plus, le Sénégal est un pays de dialogue et j’ai érigé le dialogue et la concertation en mode de gouvernance afin de prévenir les conflits et tenir tous ensemble, la promesse démocratique.

Le Sénégal est caractérisé par un paysage financier large et diversifié, dans lequel les gens ont tendance à utiliser une combinaison de différentes institutions financières, tant formelles qu’informelles, numériques et non numériques. Quel est votre plan pour combler le fossé de l’inclusion financière au Sénégal?

L’inclusion financière est un impératif politique dans le cadre de ma vision d’un Sénégal de tous et d’un Sénégal pour tous. Elle est cœur de notre système économique et de ce point de vue, il ne saurait y avoir de Sénégalaises ou de Sénégalais exclus du système de financements classiques. Le développement du Sénégal intègre toutes les composantes de la société et plus particulièrement les populations rurales. Et j’ai fait le choix de miser sur l’économie sociale et solidaire  en créant des mécanismes décentralisés de financement qui ont permis de changer complètement l’économie nationale. Aujourd’hui, on parle au Sénégal d’économie solidaire et de financements innovants pour soutenir l’activité économique à travers la Délégation à l’Entreprenariat Rapide des Femmes et des Jeunes. Grâce la combinaison entre le développement des technologies numériques et l’accès aux financements au profit des jeunes et des femmes, le Sénégal est en train de gagner la bataille de son développement à travers l’entreprenariat qui est reconnu comme étant essentiel à la dynamique de croissance et de création d’emplois.

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Comment le Sénégal et le Nigeria peuvent-ils travailler ensemble et développer le commerce, les relations économiques et les investissements dans les routes, les transports, l’agriculture, l’énergie et l’enseignement de haute technologie dans notre sous-région?

L’axe Dakar-Abuja fait partie des articulations majeures du processus d’intégration communautaire. Le renforcement de notre coopération dans tous les domaines et l’intégration de nos grands chantiers d’infrastructures, d’éducation, de santé, d’énergie, entre autres, constituent une nécessité absolue surtout dans la perspective du marché commun africain. La compétitivité de notre sous-région dans le grand ensemble Afrique passe par une convergence de nos priorités et de nos choix économiques.

La France détient un grand pourcentage des réserves nationales de quatorze pays africains depuis 1961 : Bénin, Burkina Faso, Guinée-Bissau, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal, Togo, Cameroun, République centrafricaine, Tchad, Congo-Brazzaville, Guinée équatoriale et Gabon. Nombreux sont ceux qui s’en inquiètent. Qu’en pensez-vous?

Nous avons une longue tradition de partenariat avec la France. Et au regard de ces relations  historiques, certains ont l’impression qu’elle fait main basse sur l’économie sénégalaise. Ce n’est pas le cas. La France est un partenaire privilégié. Il n’existe pas d’exclusivité française au Sénégal. Notre pays est ouvert à tous les partenariats, pourvu qu’ils soient mutuellement bénéfiques. La Chine, la Turquie, l’Inde, la Malaisie, le Brésil, les Etats Unis d’Amérique sont autant de partenaires avec lesquels nous entretenons une coopération conviviale à la base de certaines de nos réalisations ; sans que cela ne porte préjudice à nos relations avec la France.

 

Les chefs d’Etat de la CEDEAO ont convenu d’adopter l’”ECO” comme nouvelle monnaie commune à partir de 2020. Certains critiques disent que c’est encore le “CFA” sous un autre nom ! Pouvez-vous dire quels sont les avantages réels de cette nouvelle monnaie pour notre sous-région?

Dans le cadre de la mondialisation les économies africaines sont appelées à connaitre des mutations extrêmement importantes. Dans l’espace de la CEDEAO, la cohabitation de plusieurs monnaies pourrait constituer un frein au développement du commerce intra-pays. Le CFA a une histoire à la fois singulière et particulière, comme trait d’union entre la France et ses ex-colonies d’Afrique de l’Ouest et du Centre. Le processus d’intégration régionale peut bien s’accommoder d’une monnaie commune dans le respect des critères de convergence. Il ne s’agit pas de créer une monnaie juste parce qu’il faut le faire. Le CFA, sa parité fixe et sa convertibilité sont des paramètres à prendre en compte pour passer à une monnaie commune dans un espace plus élargi, comme nous le faisons déjà au sein de l’UEMOA avec des politiques hardies pour respecter les critères de convergence et les délais, ce qui me paraît essentiel.

Enfin, quelle est votre vision et votre espoir pour a jeunesse sénégalaise qui constitue la majeure partie de la population ?

Dans le cadre de l’initiative politique dénommée PSE Priorité Jeunesse 2035, j’ai fait le choix d’investir dans l’avenir à travers l’éducation et la formation, l’emploi et l’entreprenariat, la santé et le sport comme facteurs d’inclusion sociale, la créativité, la culture et la citoyenneté. C’est vous dire que la jeunesse sénégalaise constitue une priorité absolue dans le cadre de la mise en œuvre des politiques publiques. A ce titre, l’éducation, la formation professionnelle et l’emploi sont les marqueurs de ma politique en direction de la jeunesse. Entre 2012 et 2018, l’Administration publique et le secteur privé ont su créer plus de 491.000 emplois, hors secteur agricole et hors secteur informel.

Conscient des opportunités qu’offre l’auto-entrepreneuriat à la fois dans la lutte contre le chômage et le sous-emploi, j’ai créé en décembre 2017, la Délégation générale à l’entrepreneuriat rapide des femmes et des jeunes (Der/fj) doté d’un budget de 30 milliards F CFA. La DER a pour mission d’aider les femmes et les jeunes de 20 à 40 ans à trouver des financements sur l’ensemble du territoire national, pour leur permettre d’accéder à un emploi décent et durable.

Par ailleurs, dans le cadre de l’employabilité des jeunes, je compte mettre en œuvre, dans les deux prochaines années, un programme de 80 milliards FCFA pour favoriser leur insertion professionnelle à travers le renforcement de l’offre d’infrastructures de formation à travers la mise à niveau et la construction de lycées techniques et professionnels, la mise en place de cluster, de formation professionnelle et la construction de centres de formation aux métiers.

Dans cette même dynamique, je n’oublie pas les jeunes sénégalais engagés dans l’apprentissage non formel avec un programme de 20 milliards. Il s’agit de leur octroyer des bourses pour les aider dans leur formation. Mon ambition est d’assurer, à moyen terme, la formation de 100.000 jeunes sénégalais pour doter nos entreprises de ressources humaines de qualité, aptes à les accompagner dans leurs programmes d’investissement et de création d’emplois.

Et dans la perspective de l’exploitation du pétrole et du gaz, les jeunes Sénégalais seront au cœur du développement du contenu local. Sans compter la mise en place d’un fonds intergénérationnel pour prendre en charge les préoccupations liées aux besoins des jeunes.

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