Dire que les minibus n’ont pas sensiblement changé le transport urbain à Dakar relèverait du nihilisme. L’accès, la durée du trajet ainsi que les tarifs sont autant de plus-values. Cependant, l’indiscipline et le retour de certains comportements notés avec les cars rapides et ‘’Ndiaga Ndiaye’’ sont en train d’écorner sérieusement l’image des Tata et King Long.
L’amélioration du transport urbain à Dakar, outre la qualité des infrastructures, devait s’appuyer sur deux piliers : le renouvellement des moyens de locomotion et l’organisation du trafic. Ce dernier volet était d’autant plus nécessaire que le système était totalement atomisé. Ababacar Fall, chef de division suivi exploitation des transports au Cetud, révèle que sur les 3 000 véhicules environ à éliminer de la circulation, il y a près de 2 500 propriétaires. Chaque automobile avait une licence de Dakar et roulait où il voulait. Sans compter toutes les mauvaises pratiques qui rendaient le voyage difficile, lent et coûteux pour les passagers. Il y avait donc nécessité de ‘’moderniser les comportements’’ au même titre que les moyens de déplacement.
Sur ce point, s’il est évident que beaucoup d’efforts ont été faits, il n’en demeure pas moins que les manquements sont encore très nombreux. Au sujet des améliorations apportées par les minibus, il y a l’accès aux moyens de transport. Aujourd’hui, rares sont les coins et recoins de la ville qui ne sont pas desservis par les minibus. ‘’Nous avons des lignes jusque dans les endroits les plus reculés de Dakar. Le citoyen à Tivaouane Peulh a accès à un bus au même titre que celui qui est à Grand Yoff ou Dieuppeul’’, se félicite M. Fall. Il n’y a pas que les coins reculés. Ceux qui sont proches et enclavés sont aussi servis. Un quartier comme les Maristes qui était un sanctuaire pour le transport en commun a été pénétré par les minibus, poussant même les taximen à se plaindre d’une perte de clientèle.
Il y a également la définition du trajet. Auparavant, un car rapide ou ‘’Ndiaga Ndiaye’’ avait toute la latitude de déposer ses passagers où bon lui semblait, sans aucune explication. Le sectionnement des trajets est particulièrement éprouvant pour les citadins. Les habitants de la banlieue lointaine prenaient 3 à 4 voire 5 véhicules avant de rallier le centre ville. Avec les bus, on part d’un terminus A pour rallier un terminus B, le trajet étant irréversible, quels que soient le jour (Gamou, Magal…), l’heure, le nombre de clients, et les conditions de circulation. Cette création des lignes fixes a aussi occasionné la baisse des tarifs sur les longues distances.
Fini les fractionnements !
En effet, le fractionnement du trajet n’avait pas que des désagréments. Il impactait sur les frais de transport. ‘’Quelqu’un qui quittait la banlieue lointaine pour aller au centre ville pouvait payer 1 000 F avant d’arriver. Par exemple, de Yeumbeul, on vous dépose à Tournal Yeumbeul, ensuite, Thiaroye, puis Poste Thiaroye, ensuite Bountou Pikine, Yarakh, Kapaa avant d’aller à Dakar. Et sur chaque tronçon, on paye 100 F ou plus. Maintenant, tout ce trajet se fait avec un seul bus’‘, se félicite Djibril Ndiaye, secrétaire général de Aftu. Un ancien étudiant ayant habité à Guédiawaye du temps de ses études confirme. ‘’Je me rappelle encore mes dures années passées à l’université Cheikh Anta Diop quand je devais à 4h 30mn prendre le car rapide jusqu’au terminus Tally bou bess pour nous bousculer afin de monter dans un ‘’Ndiaga Ndiaye’’ qui, au lieu d’aller directement à l’Ucad nous faisait descendre à Castors. Ensuite, un autre véhicule nous amenait à l’Ecole normale, avant d’arriver à l’Ucad avec un autre. Le trajet nous prenait pas moins de 2h 45mn’’, se rappelle-t-il. Avec les bus dotés de tickets invariables, la même distance se fait avec moins de 500 F.
A tous ces points positifs, Ababacar Fall ajoute la disponibilité d’un interlocuteur. ‘’Avant, si vous oubliez un bien dans un car rapide ou ‘’Ndiaga Ndiaye’’, c’était perdu. Aujourd’hui, vous avez au moins un interlocuteur. Soit Aftu, soit le Cetud’’, souligne-t-il. Reste à prouver que cette nouvelle donne a permis à des passagers de récupérer leur bien perdu dans un minibus.
En dépit de toutes ces avancées, on est loin de la satisfaction du client. Non pas que celui-ci est trop exigeant, mais parce que des promesses tenues au départ n’ont jamais été réalisées ou alors elles l’ont été pour une courte durée, avant un retour à la case départ. En effet, parmi les avantages qui étaient attendus des minibus, il y avait la discipline dans la conduite. Les premiers conducteurs et receveurs ont été formés par le Cetud. Pour chaque bus, il y a eu deux chauffeurs et deux receveurs formés. Mais très vite, les transporteurs les ont remplacés par leurs neveux, nièces, homonymes… Interpellé sur ce point, Djibril Ndiaye tente de minimiser, dans un premier temps, avant de chercher un autre argument. ‘’Si un chauffeur est remplacé, c’est parce qu’il ne fait pas de résultats. Nous n’allons pas garder quelqu’un parce que tout simplement il a été formé. Nous-mêmes, nous avons des obligations de résultats. Nous devons payer les banques’’, rétorque-t-il.
Des chauffeurs payés comme des commerciaux
Cette attitude des propriétaires a eu pour conséquence le recyclage des chauffeurs et apprentis dans le transport formel, sans les prérequis. Résultat, tout ce qui était décrié avec les cars rapides et ‘’Ndiaga Ndiaye’’ se retrouve chez les minibus. Aujourd’hui, on assiste à ce qui est qualifié de ‘’daxxante’’, c’est-à-dire une course-poursuite entre bus. Les automobiles qui se partagent un tronçon commun n’hésitent pas à se disputer les clients au risque de leur vie et de celle des passagers.
Une attitude qui s’explique souvent par les obligations de résultats susmentionnés. Il y a des chauffeurs qui sont payés comme des commerciaux. Plus les recettes sont importantes, plus la paie est conséquente. Et il n’y a pas que ça. D’autres manquements sont aussi constatés. ‘’Bonne initiative s’agissant du renouvellement du parc. Mais pour ce qui est des comportements sur la route, aucun changement ! Ces cars sont conduits avec la même indiscipline et le même je-m’en-foutisme que les cars rapides et ‘’Ndiaga Ndiaye’’ : arrêts fréquents et brusques, y compris sur les angles et les carrefours, cars bondés de passagers, portières parfois ouvertes, passagers sur les marchepieds, etc.’’, se désole cet internaute.
Pourtant, au tout début, beaucoup de normes édictées ont été respectées. Mais au fil du temps, les mauvaises habitudes ont refait surface, notamment la surcharge. Il est vrai que dans toutes les grandes métropoles, le transport en commun a des places debout. En règle générale, le nombre de places assises doit être au minimum le quart ou le cinquième des places offertes, explique le Cetud. Mais cette part est exagérée au Sénégal. L’organe chargé de la régulation a voulu faire preuve de compréhension. ‘’Tant que le chauffeur arrive à fermer les portes, on présume que le véhicule n’est pas surchargé. Par contre, si les portes ne sont pas fermées, la responsabilité du chauffeur est engagée. Il est tenu d’immobiliser le véhicule. Il est inadmissible qu’un autobus puisse rouler avec les portes ouvertes’’, détaille Ababacar Fall. Et pourtant, en dépit de cette dérogation, la réalité est autre. Les bus qui roulent portes ouvertes sont plus nombreux dans la circulation.
Surexploitation des minibus
Du côté d’Aftu, on ne nie pas les faits, mais on met le tout dans le comportement des Sénégalais. En guise d’illustration, pour ce qui est des bus surchargés, Djibril Ndiaye ne voit pas en quoi le personnel à bord doit être incriminé. ‘’Il appartient aux clients de faire la régulation. S’ils voient que le bus est plein à ras-bord, ils doivent se garder de monter. Mais le chauffeur ou le receveur ne peuvent interdire à personne de monter. C’est un problème comportemental que je ne peux pas garantir’’, réplique-t-il.
Le Cetud est bien conscient de tous les manquements, mais même s’il y a des sanctions, dans l’ensemble, il privilégie la sensibilisation. Par exemple, pour les bus à venir, révèle Ababacar Fall, les propriétaires doivent signer une charte dans laquelle il est indiqué qu’un chauffeur non formé ne peut pas être au volant. ‘’Le Cetud se réserve même le droit de reprendre le véhicule en cas de manquements’’, précise-t-il. En plus, un centre d’appui à la professionnalisation regroupant tout le personnel du réseau a été créé. Il aura les pleins pouvoirs pour sanctionner en cas de besoin.
Seulement, cette surexploitation use les minibus. Certains d’entre eux donnent l’impression d’être plus vétustes que les cars rapides. Il y en a qui sont même réellement vieux maintenant. D’ailleurs le Cetud promet de renouveler ceux datant de 2005 avant la fin de l’année 2018. Le tout sans compter les relations parfois très heurtées entre passagers d’une part et chauffeur et receveur d’autre part. Dans les propos, le nom de Dakar dem dikk (DDD) revient toujours dans la bouche des Sénégalais comme modèle de respect et de discipline. En d’autres termes, dans le volet organisation du projet, on est encore loin du terminus !