Impôts des députés : Ousmane Sonko charge encore !

Le député Ousmane Sonko revient à la charge sur la question de l’imposition fiscale des députés. Un débat qu’il avait ressuscité, il y a quelques jours, en soutenant lors d’un entretien télévisé, que les parlementaires ne paient que 1500 FCFA d’impôts. Une déclaration sujette à polémique. Le leader du Parti Pastef les Patriotes a publié une contribution pour dénoncer une “injustice fiscale au sommet”. Texte intégral :

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Je me réjouis que le débat que j’avais soulevé à propos de l’imposition des députés connaisse une relance ces derniers jours.
Je félicite l’honorable député Mamadou Diop Decroix pour son courage d’y participer en fournissant quelques données intéressantes.

Dans ce pays, nous avons plus besoin de débats de fonds, dans la sérénité technique et scientifique, que d’invectives politiciennes.

Je tiens d’emblée à faire quelques précisions et rappels utiles.

1- J’ai soulevé cette question, pour la première fois, en 2016 alors que je n’étais pas encore député. Elle avait agité l’espace politique et médiatique au point de soulever l’ire de plusieurs personnalités politiques qui avaient réclamé ma tête.

2- Je l’ai relancée en 2017 juste après mon élection au poste de député, par une correspondance écrite adressée à monsieur Moustapha Niass, président de l’Assemblée nationale, et une question écrite adressée à monsieur Amadou Bâ, alors ministre des Finances.
3- La problématique que je soulève dépasse la seule fiscalisation des députés mais brasse l’ensemble des rémunérations politiques ou administratives aujourd’hui pas ou insuffisamment imposées ;

4- Rapporté à l’Assemblée nationale, je précise que ce débat engage la responsabilité exclusive de son président et de ses services financiers qui, dans un système de retenues à la source, ont la charge de prélever et de reverser les impôts dus sur les salaires et autres indemnités et émoluments. Ma position est donc de principe et n’est nullement dirigée contre mes collègues députés auxquels je souhaite les meilleures conditions de rémunération et de travail pour une Assemblée de qualité.

Ces précisions faites, il faut retenir que cette affaire revêt deux aspects qui tous traduisent une fraude fiscale structurelle et organisée par l’Assemblée nationale : l’absence ou la faible imposition des revenus des parlementaires, d’une part et le défaut de reversement au Trésor public des impôts et taxes collectés par l’Assemblée sur les salaires des députés et du personnel administratif et sur les marchés de fourniture de l’autre.

I – IMPÔTS ET TAXES COLLECTÉS ET NON REVERSÉS PAR L’ASSEMBLÉE.

J’avais soulevé ce débat en 2016 lorsqu’une publication officielle du ministère des finances révélait le passif fiscal de plusieurs institutions vis à vis du Trésor.

En 2017, fraîchement élu député, j’adressai une correspondance à ce propos au président de l’Assemblée nationale. Je vous en reproduis la teneur in extenso :

Monsieur le Président,

Je vous adresse la présente pour deux raisons principales :

En tant que députés, nous serons amenés dans les tout prochains jours à interpeller le gouvernement, entre autres, sur sa gouvernance et la conduite de l’action publique dont il a la charge. Le principe voudrait, pour notre crédibilité, qu’on commence par faire le ménage en notre sein d’abord.

La treizième législature vient d’être installée, sous un folklore qui jure d’avec vote discours inaugural empreint d’une grande solennité.

Dans ce discours, prononcé à grand renfort de citations d’auteurs français, de rappels historiques, voire même bibliques, vous avez largement mis l’accent sur les notions de responsabilité, de conscience et de discipline des parlementaires avec, en prime, des menaces à peine voilées contre les contrevenants éventuels.
Nous voulons bien vous accorder une présomption positive, monsieur le président, mais pas sur parole simplement. Vous conviendrez avec nous que tout nouveau départ doit être assis sur des bases saines parce que assainies. C’est pourquoi, vous prenant au mot, je vous interpelle sur la situation fiscale de l’Assemblée Nationale.

L’année dernière, à pareille époque, je soulevais un cas patent de détournement fiscal impliquant l’institution, que vous présidiez. Ces infractions répétitives avaient occasionné des redressements fiscaux des services compétents qui, à la date du 23 mai 2016, s’élevaient à un montant de six milliards cinq cent quatre vingt neuf millions sept cent huit mille neuf cent soixante quatorze (6 589 708 974) francs CFA décomposé ainsi:

Nature d’impôt

Montants

Retenues à la source 3 909 037 163 FCFA
TVA précompté 2 680 671 811 FCFA
Total dette fiscale 6 589 708 974 FCFA
Or, dans votre communiqué paru dans les colonnes du quotidien 《 l’Observateur
》 du 24 mai 2014, vous affirmiez notamment que cette dette fiscale était héritée et ne s’élevait qu’à seulement 120 809 722 de francs CFA.

Il s’agit là d’une fraude fiscale caractérisée, passible de sanctions fiscales et pénales conformément aux dispositions du code général des impôts ; d’autant qu’elle porte sur des impôts retenus sur les salaires et émoluments du personnel, des députés et des prestataires, ou de la TVA précomptée à vos fournisseurs, dont le reversement n’a pas été effectué.

Monsieur le président, à l’orée de cette nouvelle législature, je souhaiterai, en tant que député, avoir l’assurance que de tels manquements graves à la gestion publique ont été correctement traités et ne se reproduiront pas.

Aussi, vous plaira-t-il de répondre aux questions suivantes:

· quel est le montant exact du passif fiscal dont la nouvelle législature pourrait hériter de celle écoulée et dont vous étiez le Président ?

· Quel traitement avez vous consacré à son apurement ?

· Les responsabilités dans ces manquements ont-elles été situées et, le cas échéant, quelles sanctions avez vous diligentées ?

· Quelles précautions avez-vous prises pour que ce honteux épisode dit de 《 l’impôt des députés 》 ne se reproduise sous la 13ème législature ?

Puisque l’heure est à la mise en place de commissions ad-hoc, notamment pour combattre l’absentéisme parlementaire, monsieur le Président, j’estime que cette affaire, plus que toute autre, mérite d’être prise en charge par une commission ad hoc car l’institution parlementaire doit être l’exemple achevé de civisme fiscal.

Me réservant le droit de saisir le gouvernement d’une question écrite pour ma propre gouverne et pour éclairer la lanterne de mes mandants (les citoyens sénégalais) sur cette question qui les intéresse au plus haut point vues les passions qu’elle avait déchaînées, je vous souhaite bonne réception de la présente et vous prie, Monsieur le Président, d’agréer l’expression de mon respect.

Je n’ai jamais reçu la réponse du président de l’Assemblée nationale.

A combien se montent ces sommes détournées aujourd’hui ? La question demeure entière et lancinante. Elle interpelle tous les citoyens car l’Assemblée nationale, détentrice exclusive de la compétence fiscale, ne peut et ne doit pas être une niche à fraude fiscale continue.

II – ABSENCE OU FAIBLE IMPOSITION DES REVENUS DES DÉPUTÉS.

Dès que j’ai perçu mon premier bulletin de paie de député de 2017, j’ai été heurté par une incongruité : sur la rubrique « impôt sur le revenu » il n y a aucune perception. Zéro (voir copie bulletin annexée). Il n’est retenu qu’un minimum fiscal (IMF) de 1500 francs.

Sidéré, j’adressai immédiatement une question écrite au ministre de l’Économie et des Finances pour l’interpeller. Cette correspondance dépassait le cadre des députés et impliquait d’autres rémunérations politiques ou administratives. Je vous la reproduis également in extenso :

Dakar, le 13 novembre 2017

Monsieur le Ministre,

Objet : Application intégrale des dispositions du code général des impôts en matière d’impôt sur le revenu.

Monsieur,

Il apparaît que les traitements publics, soldes, indemnités et primes de toutes natures, émoluments, salaires et avantages en argent ou en nature les plus importants échappent totalement ou largement à l’imposition. Ainsi en est-il des rémunérations des ministres, députés et autres conseillers, agents des impôts et des domaines, de la douane, du trésor, des magistrats, diverses indemnités de vacations dans les instituts d’enseignement privé, marine marchande… (la liste est très longue) ; avec des taux d’imposition variant entre 0% et 10% au plus, donc largement en deçà du taux minimal d’imposition de 25% retenu par le barème du code général des impôts.

Cette situation est née de ce que, pour chacune de ces catégories d’agents publics, la plus grande partie des revenus est « supposée » exonérée par des textes très anciens ou récents.

Cependant, toutes ces dispositions éparses, exorbitantes du droit commun, sont devenues obsolètes avec l’entrée en vigueur du code général des impôts le 31 décembre 2012, qui a institué un droit commun incitatif.

Ce nouveau référentiel prévoit les dispositions suivantes au titre des mesures transitoires :

Article 718. (…) Les dispositions relatives à l’impôt sur les traitements et salaires et la contribution forfaitaire à la charge des employeurs sont applicables aux traitements, salaires, indemnités et émoluments dus et versés à compter du 1er janvier 2013.

Article 720. Sont abrogées toutes dispositions légales de droit commun présentement applicables et afférentes aux impôts directs et taxes assimilées, et aux taxes et droits indirects internes, aux droits d’enregistrement, de timbre, de publicité foncière et taxes assimilées, notamment la loi 92-40 du 09 juillet 1974 instituant le code général des impôts modifiée.

Article 721. Sont rapportées toutes dispositions réglementaires antérieures contraires à la présente loi émanant des autorités administratives ou fiscales, notamment celles contenues dans :

– la circulaire n° 0006779/MEF/DGID/BLEC du 20 août 2004 ;

– les circulaires, notes, lettres et réponses administratives émanant du Ministère de l’Economie et des finances et de la Direction générale des Impôts et des Domaines.

Le défaut d’application de ces dispositions, hormis les énormes pertes de recettes causées au Trésor public, instaure l’injustice fiscale comme l’une des formes les plus exacerbées de l’injustice sociale.

En guise d’illustration, un député « ordinaire », qui perçoit un net de 1 300 000 (compte non tenu des avantages pécuniaires informels telle l’indemnité logement payée sur état à part, ni des avantages en nature tels le carburant et les véhicules…), ne subit qu’une retenue de 1500 francs sur les 221 787 francs dus si la loi avait été correctement appliquée.

En comparaison, quelques illustrations (voir annexe pour détail) :

– Un professeur psychologue conseiller subit une retenue de 230 500 francs sur un salaire imposable de 887 000 francs ;

– Un docteur médecin subit une retenue de 117 100 francs sur un salaire imposable de 673 000 francs ;

– Un ingénieur des parcs nationaux subit une retenue de 67 140 francs sur un salaire imposable de 378 000 francs ;

– Un ingénieur informaticien subit une retenue de 118 463 francs sur un salaire imposable de 596 000 francs ;

– Un professeur d’enseignement moyen subit une retenue de 61 420 francs sur un salaire imposable de 438 000 francs …

Questions : pourquoi vos services se sont abstenus, jusqu’à présent :

– de procéder au recensement exhaustif des revenus et corps concernés par ces exonérations indues ?

– De leur appliquer le régime fiscal idoine ?

Ousmane SONKO, Député

13ème Législature 2017-2022

Dans sa réponse (que je publierai plus tard), monsieur le ministre (qui est pourtant inspecteur des impôts) s’est contenté de reprendre les arguments farfelus avancés par le bureau de l’assemblée et certains députés : les députés perçoivent des indemnités et donc sont exonérés. Ce qui est totalement erroné. Et pour preuve, d’un bulletin à l’autre les services de l’Assemblée s’arrangent pour percevoir des montants d’impôt sur le revenu (voir le bulletin produit par l’honorable Decroix).

La vérité c’est qu’ils font n’importe quoi. L’État et l’Assemblée se sont entendus pour arrêter des montants fixes de rémunération d’un député selon qu’il soit membre du bureau ou non. A charge pour les services de l’Assemblée de se livrer à des gymnastiques en manipulant les différentes rubriques (FNR,

IPRES, IPRES « CADRES », Minimum fiscal, Impôt sur le revenu, Caisse de retraite des députés) sur aucune base technique. L’essentiel c’est d’aboutir au final au montant net convenu pour le député.

Ainsi, en tant que député simple percevant 1 300 000 et ayant droit à 5 parts, on me prélève zéro francs d’impôts à la place des 221 787 francs dus ;

Sur le bulletin produit par l’honorable député Mamadou Diop Decroix, il y est perçu, sur un revenu de 1 600 000, un impôt de 67 067 CFA alors que, même avec un quotient familial plafonné à 5, il aurait dû subir une retenu de 295 000 francs CFA.

Cette affaire est symptomatique d’un mépris total des règles élémentaires en matière de légalité fiscale. Au delà, l’Assemblée nationale du Sénégal est une zone de non droit budgétaire avec des fonds discrétionnaires de plus de huit milliards, votés chaque année sans débat par la majorité mécanique, et non soumis à quelque contrôle (ni IGE, ni Cour des comptes, …).

Le président et la majorité en font ce qu’ils veulent et refusent de rendre compte, même lorsque l’OFNAC se saisit à la suite du scandale des surfacturations des frais d’entretien du parc automobile.

Cette « immunité » fiscale est appliquée également, de manière illégale, à beaucoup d’autres rémunérations publiques au moment ou le petit gorgorlou lui ne peut en aucun cas échapper à la rigueur de la loi fiscale.

Rendez-vous dans les prochains jours pour l’examen de la LFI 2020, et le 19 novembre pour la plénière de la deuxième Loi de Finances Rectificative pour 2019.

Député à l’Assemblée Nationale, Président de PASTEF-les patriotes

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