Il y a 30 ans, Abdou Diouf radiait 1500 policiers

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Il y a 30 ans, Abdou Diouf radiait 1500 policiers

De tous les présidents de la République du Sénégal, Diouf a été celui qui a pris la décision la plus inopportune, la pire, la plus cynique, la plus inique, la plus injuste, la plus inhumaine envers ses propres citoyens. En effet, le 28 avril 1987, sur ses instructions fermes, les députés socialistes de l’Assemblée nationale ont procédé au vote de la loi 87-14 portant radiation des cadres des personnels des forces de police.
En réalité, cette manifestation, a été une véritable occasion pour protester contre les conditions de travail humiliantes et avilissantes qui étaient le lot quotidien des policiers.

1485 Policiers ont été définitivement radiés au Sénégal. 1485 fonctionnaires de Police dont 3 commissaires divisionnaires tous titulaires de la médaille de chevalier de l’ordre national du Lion, 8 commissaires de police principaux tous cités à l’ordre du mérite, 20 commissaires de Police de 1e et 2e classe, 4 Officiers de Paix supérieur dont 2 colonels commandeurs de l’ordre national et 2 Commandants chevaliers de l’ordre du mérite,160 officiers de police et de paix, 280 inspecteurs de police et sous-officiers de Paix et 1016 Brigadiers chefs et gardiens de la paix dont la grande majorité était titulaire de la médaille d’honneur de la Police. A quelques rares exceptions près, aucun policier diplômé de l’enseignement supérieur n’a été épargné par cette purge.

Radiation des policiers : une directive de Bretton Woods

Le plan des Institutions financières de Bretton Woods qui demandait à l’Etat du Sénégal de dégraisser sa fonction publique. Le corps qui était visé à l’époque pour mettre en application les injonctions des Institutions de Washington, c’était la Douane. L’occasion faisant le larron, la police sénégalaise paya des pots qu’elle n’a pas cassés.

Cette mesure de radiation collective est intervenue à la suite des fameux événements des 13 et 14 avril 1987 que certains ont qualifiés de «grève des policiers». Cela fait suite à l’affaire du receleur «Baba N’Diaye» décédé en prison et non dans les locaux de la Police où il aurait subi un interrogatoire qualifié de musclé. En effet, pendant ces deux jours, certains membres des forces de police basés à Dakar (une infime minorité) ont cru devoir descendre sur la voie publique pour manifester apparemment contre une décision de justice condamnant cinq de leurs collègues à des peines d’emprisonnement fermes.

Concernant la mesure de radiation proprement dite, comme cela a été de tout temps dénoncé, elle était foncièrement anticonstitutionnelle en ce sens qu’elle a été prise par l’Assemblée nationale qui n’avait pas compétence en la matière si l’on part du principe que la radiation est une sanction disciplinaire et qu’il était dit dans la Constitution en vigueur au moment des faits, que le pouvoir de sanction appartenait à l’autorité investie du pouvoir de nomination.

Ainsi donc, il appartenait au président Diouf de prendre ses responsabilités pour sanctionner directement les présumés fautifs. Seulement, par ponce-pilatisme, suivant en cela certainement les conseils du puissant Jean Collin, il a laissé cette responsabilité aux députés socialistes. Et on se rappelle tous que les députés du Parti démocratique sénégalais (PDS) avaient ostensiblement quitté la salle pour ne pas être témoin de ce qui apparaît aujourd’hui, au vu de ses conséquences, comme un génocide.

Ensuite, il a été ensuite demandé aux policiers de formuler individuellement une demande de réintégration. Des commissions ont été créées à l’effet d’examiner, semblait-il, les dossiers cas par cas. A l’issue des travaux desdites commissions, des inspecteurs de police que des gardiens de la paix radiés et cantonnés dans les polices municipales ont été reversés à la Police nationale pour répondre à des besoins urgents de personnel, mais il n’en demeure pas moins le cas douloureux des anciens cadres radiés : ces commissaires de police et officiers de police que le pouvoir a oubliés comme des commandants de bateau sans bateau et sans matelot, dans de lugubres bureaux de Police municipale tout simplement parce que ces officiers sont plus gradés…

Ainsi, 1243 tous grades confondus, ont été jugés «indignes» de servir l’Etat du Sénégal. Des policiers formés dans l’une des meilleures écoles de Police d’Afrique occidentale, des officiers de police judiciaires au professionnalisme et à la compétence reconnus à travers le monde, aussi bien à L’Onu, à Interpol que partout dans le monde où leurs services ont été sollicités.
Par la faute du président Diouf, des milliers de braves et valeureux agents ont été brutalement privés de toutes ressources, de tous moyens de subsistance. Des agents dont on ne pouvait apprécier à leur juste valeur, la somme incommensurable de sacrifices de toute nature qu’ils ont eu à consentir durant leur carrière.

Sa décision avait eu des conséquences terribles dans la vie de centaines de familles sénégalaises. Jadis, ces pères de famille, leurs épouses et leurs enfants vivaient avec les soucis, les préoccupations, les joies et les peines quotidiennes de n’importe quelle famille sénégalaise. Mais depuis sa décision cynique, injuste et inhumaine que de péripéties, que de vicissitudes, que d’aléas !

Des familles jadis unies, joyeuses, ont été disloquées ; des enfants qui, naguère, fréquentaient allègrement l’école avec l’insouciance de leur âge fait de rêves les plus osés, ont été contraints d’abandonner le chemin du savoir, seul garant de l’avenir. Des bébés prématurés ont grossi les taux de mortinatalité. Des femmes parturientes ont rendu l’âme au moment où elles mettaient au monde l’innocent sur qui le père radié fondait tout son espoir. La maladie pernicieuse, quelquefois dans toute sa virulence, conduira au cimetière des nourrissons, des enfants, des adolescents, des femmes et des hommes abandonnés à eux-mêmes parce que précipités brutalement dans une situation de désarroi et de détresse jusque-là inconnue, mais surtout insupportable.

Des cadavres ont séjourné dans les morgues davantage qu’il n’était nécessaire tout simplement parce que la misère et l’impécuniosité ne permettaient pas d’acheter le linceul et de procéder à la prière mortuaire. De braves pères de famille, agents émérites qui ont combattu pour l’intégrité du pays, pour faire obstacle au banditisme, se sont retrouvés à arpenter quotidiennement les rues, les boulevards, les venelles et autres recoins à la recherche de l’hypothétique pitance quotidienne.

 

Les policiers radiés que le gouverneur Malick Bâ avait traités de mauvaise graine se sont toujours montrés à la hauteur tant au niveau de la Police municipale que de la Police d’Etat où leur compétence et leur professionnalisme et surtout leur moralité ont été très appréciés. Ils étaient loin de l’ivraie. Ils avaient tout simplement le tort d’être des agents avertis, réfléchis, conscients de leurs devoirs mais aussi de leurs droits. On leur reprochait d’être des intellectuels, des têtes pensantes, des baïonnettes intelligentes.

Aujourd’hui l’image tenace du vieux Mandoumbé Diaw, policier radié domicilié à Grand-Dakar, atteint de cécité depuis bientôt 24 ans, doit hanter le sommeil du président Diouf et tous ceux qui ont été complices de cet arbitraire. Malgré l’abysse visuel dont il souffre, l’image monstrueuse du couple Diouf-Collin s’est incrustée à jamais dans sa rétine non fonctionnelle.
Que de démagogie que de crier et de dénoncer la fuite des cerveaux alors que des cadres Sénégalais formés à coût de millions sont inexploités et laissés en veilleuse pour des raisons de politique politicienne.

Célébrons quand même ce triste anniversaire en ayant une pensée pieuse pour tous les ex-policiers radiés disparus de chagrin. N’oublions pas qu’il y a eu beaucoup de suicides et de morts mystérieuses de policiers dans les mois qui ont suivi la radiation. Une pensée à l’endroit de ceux d’entre eux qui ont beaucoup souffert et qui continuent de souffrir de cette injustice. Compassion sincère avec tous ces radiés qui n’ont pas accepté d’en rajouter à leur humiliation en rejoignant une police au rabais, ces radiés qui ont préféré s’exiler aux quatre coins du monde.

Tous les Sénégalais reconnaissent que cette affaire dite des «policiers radiés» a été une grande injustice de la part de l’Etat sénégalais. Cette affaire n’aurait jamais pu se passer dans une démocratie occidentale, aussi, en appelons-nous à la réparation de cette injustice pour la dignité de ceux qui ont perdu leur poste, leur vie pour avoir été là au mauvais moment.

Serigne Saliou Guèye avec la documentation du commissaire Boubacar Sadio – L’Essentiel

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