Humilité : Cette photo de Serigne Mbaye Sy Abdou va vous rendre tellement fier !

Serigne Mbaye Sy Abdou, un homme religieux pas comme les autres : cette image ci-dessous nous en donne parfaite illustration. Le guide religieux, tel un jeune apprenant, s’est fondu dans la masse dans une des Daaras pour suivre le cours, comme tout le monde. Ce geste plein d’humilité en a plu plus d’un, sur la toile.

Né à Médina. Le cantique du Buurd est célèbre. Il est maîtrisé par tout Tidiane. Lui, il le chante merveilleusement bien. Voix grave qui distille une belle mélodie basse, il entonne, micro à la main, les louanges. En chœur, les panégyriques qui l’entourent reprennent le refrain de cette chanson, après chaque envolée de Serigne Babacar Sy alias Serigne Mbaye Abdou dit «Ndiol Fouta». Recroquevillé sur une des nattes du Zawiya Cheikh El Hadj Malick, il se laisse emporter par cette symbiose qui berce et dorlote. Ce matin de jeudi 15 novembre 2018, Serigne Mbaye Abdou fait ce qui lui plait le plus : «Adorer le Seigneur.» Dans son boubou bleu-ciel assorti de son éternel bonnet en laine (appelé aussi Lafa Banjul), aujourd’hui de couleur bleu-bic, il se balance légèrement. Cet homme, qui n’aimerait pas le connaître ? Source d’attraction de beaucoup de talibés, il n’aime pourtant pas parler de lui. Son parcours, inconnu du grand public, il ne faut pas compter sur le fils de Serigne Abdou Aziz Sy «Dabakh» pour le relater. Son ami d’enfance, EL Hadj Mansour Kane, lui rend ce service. Qui peut mieux le connaître que cet homme avec qui il s’accompagne depuis 69 ans ? Personne. Mais pour parler de sa personne, Serigne Mbaye choisit «himself» qui pour le faire. Et c’est logiquement que son choix s’est porté sur l’ami archiviste à la retraite, qui a fait 28 ans à la Direction générale du Port. Debout aujourd’hui sur ses 73 ans, EL Hadj Mansour Kane raconte son ami qu’il a eu la chance de connaître grâce à son «homonyme, EL Hadji Mansour (le premier), qui l’a emmené à Tivaouane en 1948». Dans l’entourage de la famille, il fait de Serigne Mbaye Abdou son pote, un an après son arrivée à la cité religieuse. Depuis lors, une grande complicité est née entre les deux hommes. Et lorsqu’il parle de lui, ses yeux brillent. Avec un sourire qui revient tout au long de l’entretien, M. Kane raconte son «jumeau»  né la même année que lui.

Cette histoire, l’archiviste la boit d’un trait : «Il est né la même année que moi. En 1945. Mais je suis son aîné de six (6) mois. Moi, c’était au mois de mai, lui en novembre-décembre à Dakar, à la rue 22 de la Médina.» Mais, Serigne Mbaye ne fera pas partie de ces enfants qui ont grandi dans ce populaire quartier de Médina. Sa famille, après avoir déménagé à la rue 37 du même secteur, pose ses balluchons à Liberté 5.  Fils de «El Hadj Abdou et de Sokhna Khady Ndiaye, son papa n’était pas encore Khalife quand on l’emmenait à Tivaouane. C’était sous le Khalifat de Serigne Babacar et d’El Hadji Mansour. Au rappel à Dieu des anciens, son papa est devenu Khalife.» Depuis lors, il est à Tivaouane…

Après 11 ans au Fouta, 7 ans au Maroc, il prend la relève de son grand-père

Mais, dans sa quête du savoir, il a voyagé deux fois. Avant ça : «Il a été confié au nommé Lamine Kébé, le même qui a enseigné le Coran à Cheikh Tidiane Sy, Serigne Moustapha Sy, Serigne Mansour «Borom Daara Ji» et l’actuel Khalife, Serigne Mbaye Sy Mansour. Après avoir maîtrisé le Coran, il a effectué ces deux voyages pour approfondir ses connaissances. Le premier, c’est au Fouta. Il avait 18 ans. Il y passe 11 longues années durant lesquelles il a beaucoup appris le «Quran». Vous savez, il y a sept (7) manières de réciter le Coran. Il a franchi toutes les étapes auprès de Serigne Abdou Khadr Ly de Thilogne qui lui a même remis des diplômes à cet honneur.» Mais, du Fouta, il a ramené un autre diplôme : le surnom de «Ndiol Fouta». Son ami explique : «Les Toucouleurs étant des conservateurs, en le voyant parler leur langue mieux qu’eux, ils lui ont donné le nom de ‘’Ndiol Fouta’’.» D’ailleurs, «c’est un nom que son papa a tenté de faire disparaître. En vain. Tout le pays l’appelle comme ça. Et contrairement à ce que disent les gens, ça ne le dérange pas qu’on l’appelle ainsi. A son retour, son papa l’a emmené au Maroc en 1976. Il fait sept ans au Royaume chérifien. Après l’obtention de son Baccalauréat en Arabe, il est revenu au Sénégal pour des vacances. Mame Abdou «Dabakh» lui a demandé de choisir entre continuer ses études et rester au pays pour prendre la relève de son grand-père, El Hadj Malick. Il a choisi de rester, lui disant qu’il n’y a pas de différence entre apprendre et distribuer des cours coraniques. Tous les deux choix étant un approfondissement du savoir, le deuxième étant, selon lui, l’option la plus rapide, il l’a choisi. Etre entouré de vingt (20) enfants, chacun avec un livre, différent de l’autre, le savoir ne peut que s’accroître. Ainsi, au rappel à Dieu de son père, les anciens l’ont laissé poursuivre cette mission. Il est le responsable du daara, de la maison, du Zawiya El Hadji Malick, des cimetières… Il est à la tête de toutes ces entités. D’ailleurs, il est plus facile de passer par lui pour obtenir quelque chose à Tivaouane que par les anciens, car c’est lui qui est sur le terrain et connaît ses réalités.»

Un homme taquin, ouvert et social

Pour ceux qui pensent qu’il est l’aîné de Mame Abdou, M. Kane recadre : «Il vient après Maodo Sy et Thierno Seydou Nourou Sy (décédé).» Pour ce troisième fils de Mame Abdou, la famille est sacrée. Avec quatre épouses (sa première s’appelle Sokhna Lala Niang, fille de El Hadji Basssirou Niang, fils de la fille aînée de El Hadji Malick, la deuxième est la fille de Serigne Moustapha Sy Jamil, fils aîné de Serigne Babacar Sy, la troisième s’appelle Sokhna Penda Diallo, originaire de Ngayo au Walo, la quatrième s’appelle Sokhna Aïcha Sarr, domicilié à Dakar au quartier Patte d’Oie, fille de Boukalib Sarr de Kaolack et de la tante de Serigne Mbaye), Serigne Mbaye Abdou a une grande famille. Ses qualités de père ? «C’est un papa très affectueux. Je lui dis même parfois que tu gâtes tes enfants, car tu les aimes au point de ne pouvoir les corriger. Mais, quel que soit l’amour qu’il leur porte, si un d’eux commet certaines bêtises, il t’écarte au point que tu te demanderas ce que j’ai bien pu faire à mon père. Et s’il a ce comportement à ton égard, tu n’oseras plus l’approcher. A moins qu’il ne baisse la garde. Mais, il adore ses enfants. Ça, je peux vous l’assurer», raconte son ami avec un sourire. Décrit comme un homme de caractère, l’interlocuteur dira : «Le décrire, n’est pas chose facile. Son entourage connaît bien son caractère. Vous parlez d’un homme de caractère, nous on parle de «khaal». S’il est dans cet état, personne ne l’approche. Si ces yeux sont engorgés de sang, mieux vaut ne pas l’approcher. La solution est de le laisser tranquille jusqu’à ce que la colère s’apaise. Depuis l’enfance, il a toujours été comme ça. Il y a de ces caractères qui sont innés. Que tu le saches ou pas, ils sont en toi. Des fois, il se recroqueville sur lui et ne parle pas, tu sens qu’il y a quelque chose, le «khaal» vient. Par exemple, si quelqu’un de la famille se bat dans la rue, ou bat l’enfant d’autrui ou quel que soit l’écart qu’il aura fait, il prend ses distances. Mais, c’est un homme très taquin. Il aime taquiner les gens, discuter, faire rire. Seulement, quand il faut être ferme, il l’est. Il déteste le mensonge. Il ne supporte pas les menteurs et les fainéants. S’il découvre ces traits de caractère chez une personne, il coupe toutes relations avec elle. Il n’aime pas les futilités. Après un compagnonnage de 60 ans, il a toujours été cet homme exemplaire. Il ne se mêle pas de choses qui ne le concernent pas et vit selon les recommandations de la Charia et de la Souna. Si autre chose s’y ajoute, il s’en lave les mains. D’ailleurs, toutes ses conversations tournent autour de «Dieu.., le Prophète…» Ou bien : «Il te parle des écrits de son grand-père. Chose qu’il ne fait pas souvent parce qu’il a l’habitude de dire que chacun à un grand-père. C’est pourquoi, ses plus grandes sources sont le Coran et la Souna.»

Un savant, éternel talibé

C’est aussi «un homme accessible. C’est pourquoi il est apprécié de la génération. Si tel n’était pas le cas, les jeunes ne grouilleraient pas comme ça autour de lui. Avant-hier, il a dirigé le nettoyage des cimetières. Après le travail, les enfants lui ont dit : ‘’Tu es notre partenaire. Tu nous estimes et on te le rend affectueusement.’’ S’il faisait le gros dos, il ne serait pas le chouchou des jeunes. Et je peux vous dire qu’au Sénégal, presque tout le monde aimerait le connaître. Pourtant, il est plein de savoir. Il pouvait, comme d’autres le font, user de son «Baatine» pour drainer des foules. Mais son père le lui a interdit.

Mame Abdou lui dira d’utiliser le «Salatou Fatiya» qui soigne tout. Lorsqu’il revenait de Fouta, sur la route de Matam-Linguère, une personne d’âge avancée a arrêté la voiture «T-45» avant de dire au chauffeur de le déposer à Linguère. Le chauffeur lui a demandé de se mettre en haut. Serigne Mbaye Abdou, vu l’âge du vieux, lui a dit de prendre sa place à la cabine. Ils ont échangé de places. Après un kilomètre de route seulement, le vieux a demandé à descendre et lui a dit de reprendre son siège. Puis, il a griffonné deux noms de Dieu sur un bout de papier. Serigne Mbaye Abdou a glissé le mot dans sa poche de devant. Une fois à Dakar, il a pris un taxi pour Dieuppeul. Arrivé, dès qu’il a salué son papa avec la main droite, ce dernier a sorti le bout de papier avec la main gauche, alors qu’il ne lui a rien dit de cette mystérieuse rencontre. Surpris, Serigne Mbaye Abdou le regarde. Son papa lui dit que cette personne que tu as rencontrée n’est pas humaine, mais je vais te garder ce qu’il t’a donné. Certes, il t’apprécie et te souhaite un bel avenir, mais tu ne peux utiliser ce qu’il t’a donné. C’est trop tôt pour toi. Ce papier est toujours entre les mains de celui que Serigne Abdou l’avait confié. Mais, Serigne Mbaye ne va pas l’utiliser, car on ne le lui a pas redonné et jamais il n’ira le réclamer. Il connaît la personne qui le garde, mais il se limite aux directives de son défunt père. Et s’en limite là. Et ce n’est pas évident. Un jeune à la fleur de l’âge, la chance te sourit, mais tu choisis de la décliner. Tout le monde ne le fera pas. Aujourd’hui, on voit des jeunes, maîtrisant que le «Salatou Fatiya», se rouler la tête d’un voile et s’autoproclame ‘’marabout’’ empochant l’argent des gens après avoir formulé des prières qui ne sont même pas exaucées. C’est un péché.»

Le bizutage de Mame Abdou : Trois mois sans prendre de bain ni changer d’habits

«Après 69 ans de compagnonnage, l’anecdote qui m’a le plus marqué est celle-là : Une année, à la fin de ses vacances, il devait retourner au Maroc. Il est venu à Diaksao pour en informer son père. Il était habillé d’une tunique blanche et d’un pantalon de même couleur. Son papa lui a dit : ‘’Ah bon, tu rentres ?’’ Il lui a dit : ‘’Les enfants des autres sont en train de cultiver, toi, tu vas faire des études !’’ Il lui a interdit de repartir et il est resté avec lui durant trois (3) mois. Cet habit, il l’a porté durant tous ces mois. Il ne s’est pas lavé, la tunique aussi n’a pas été lavée. Chaque matin, il partait aux champs, à son retour à l’heure de «Timis (19 heures)», Serigne Abdou lui disait de s’asseoir au pied de son lit pour qu’il ne puisse pas aller prendre son bain. Quand l’heure de se coucher arrive, il lui dit de se coucher en bas du lit au point que si Serigne Abdou se lève le matin, son pied se posera sur son fils. Il a été sauvé par le début du Buurd. Serigne Abdou a donné l’ordre d’aller faire le Buurd. Cette année-là, il a perdu son année scolaire. Nous nous disions tous qu’il était en train de gâcher les études de Serigne Mbaye. Mais, c’était sa façon de préparer son fils afin qu’il puisse faire face à toute sorte de difficultés. Et qu’il puisse, en plus de savoir faire face à la précarité de la vie, savoir tolérer beaucoup de choses dans la vie. Il voulait lui faire comprendre qu’il n’est pas supérieur aux autres et qu’il était sur le même pied qu’eux. Il voulait lui apprendre à se contenter de ce qu’il a.» Des expériences de ce genre, il les a vécus avec son père. «Son papa l’a bien dompté avec ses deux grands frères aînés. Il les frappait comme s’ils n’étaient pas ses fils. Il lui arrivait qu’il leur prive de déjeuner et de dîner et pourtant, dans leur propre maison, on préparait des repas à distribuer aux démunis. Parfois, vers 23 heures, sachant qu’il ne restait plus à manger, il se rabattait sur le papa de Abdou Fall, Mansour Fall, un commerçant qui avait sa boutique devant la grande maison. Maodo disait à Mansour d’aller dire à son père de leur donner du pain sec s’il lui en restait. Ils le mangent avec de l’eau et du sucre. Des supplices qu’ils ont vécus dans la dignité sans pour autant chercher à plonger dans la délinquance. Ils n’en faisaient même pas un problème. L’actuel Khalife général, son papa distribuait à manger dans la ville, lui ne prenait ni déjeuner ni petit-déjeuner. C’est le papa de Abdou Aziz Mbaye de la Tfm qui lui donnait, en cachette, à manger. Sinon, il ne déjeunait pas. Ce sont des expériences à surmonter si tu es appelé à occuper cette responsabilité et à guider des gens.»

La culture et l’élevage, ses passions secrètes

«Il parle là où il doit prononcer. Il parle avec les gens, donne des cours, anime des conférences. Quant à se prononcer dans les médias, ce n’est pas sa tasse de thé. Il a peur des médias parce qu’il ne voudrait pas que l’on puisse interpréter ses propos dans un sens différent du sien. Il pourrait ne pas avoir le même entendement que son intervieweur. Et là, ça pose problème. C’est pour cela qu’il ne parle pas dans la presse. Et s’il se décide de le faire, il va réfléchir longtemps avant de plonger. Mais, si c’est lors du Gamou, là c’est différent. C’est toute la presse qui est présente. Et même si un organe biaise ses propos, les autres pourront relater ce qu’il a dit.»

Serigne Mbaye, c’est aussi un homme au douze métiers. «A part l’enseignement, il est aussi cultivateur et éleveur. Il a des champs au Djolof, dans le Sine, où est né son grand-père. Il a un champ aux environs de Daara Djolof, un autre à Fass Abdou. Il élève des moutons, des bœufs et quelques chevaux. Pour ses relations avec les autorités politiques, il a beaucoup d’amis parmi elles, mais vous ne l’entendrez jamais plaider pour qui que ce soit. Des talibés à lui ? Est-ce qu’il accepte d’en voir. Il vous aurait dit, si vous l’aviez appelé Serigne : ‘’Je ne suis pas un marabout, je suis un talibé.’’ Si tu veux, il peut te donner un «wird», mais s’en limite là.» Se voulant sage, il dit : «Je ne peux vous donner de noms, mais ils sont nombreux.» Une retenue, clef de la sagesse de son ami, cet homme qui force le respect.

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